Noël (Marie): Deux Chants de Guerre (1930)
Marie Noël
I
Chant de la Passion
La passion de Jésus-Christ,
Il est bon de l'entendre
(Chanson populaire.)
Aux morts de la Marne.
La Passion de Jésus-Christ,
Il est bon de l'entendre.
Quatre apôtres en ont écrit
Pour nous la faire apprendre.
La Passion de nos petits,
Qui nous la pourra dire?
De nos petits qui sont partis
Pour souffrir le martyre?
Ils ont quitté chacun leur toit,
Leur terre et, tête nue,
Ils ont pris le chemin tout droit
De la mort inconnue.
Ils ont laissé d'un coeur soumis,
Leurs vieux, leurs gars, leur femme,
Pour aller chez les ennemis
Se faire arracher l'âme.
Ils ont laissé le pain, le vin,
Le feu dans leurs demeures,
Pour avoir soif, pour avoir faim
Et froid le long des heures.
Dans le matin ils ont cherché
Loin, bien loin, quelque croûte
Et puis tout le jour ont marché
Sans connaître leur route.
Au tomber de la nuit, rêvant
A quelque toit qui fume,
Ils ont eu pour abri le vent,
Pour couvre-pieds, la brume.
Pour lampe, une étoile qui luit;
Pour lit, la terre dure.
La pluie a coulé vers minuit
Le long de leur figure...
Et soudain à l'aube - Holà!
Alerte! guerre! guerre! -
Ils les ont rencontrés ceux-là
Qui veulent notre terre.
Ceux qui veulent passer sur eux,
Passer avec furie
Pour aller derrière, les gueux!
Tuer notre patrie!
Mais nos hommes sont notre mur,
Nos hommes devant elle
Ont tenu bon, ont tenu dur.
L'ennemi les martèle.
Nos hommes sont notre rempart,
Et l'ennemi les broie.
Il fond sur eux de toutes parts
Pour atteindre sa proie.
A droite, à gauche, il fonce, il mord,
Recule, recommence.
Serrés, nos hommes, à la mort
Barrent la plaine immense.
Ah! pourvu, nos hommes, pourvu
Qu'ils soient assez solides!...
L'ennemi sort du bois touffu,
Il sort des guérets vides,
Il vient par mille et mille, il vient
Briser notre barrière...
Tenez! nos hommes!... Elle tient.
Et nous prions derrière.
Ah! pourvu qu'ils durent!... Deux jours
Passent sur la colline,
Deux encor. l'ennemi toujours
Se rompt sur leur poitrine.
Une semaine passe, et deux,
Et d'autres. Ils demeurent.
Et les jours en passant près d'eux
Les regardent qui meurent.
.......................................
O Dieu! Les balles ont percé
Leur coeur, leur front, leur face.
Le canon les a renversés
Et nul ne les ramasse.
Leurs bras, leurs jambes, de leurs corps
Sont tombés membre à membre
Comme le bois des arbres morts
Tombe d'eux en décembre.
Leurs têtes pâles ont roulé
Par terre, dans la boue;
Le sang de leur vie a coulé
Par terre, sous leur joue.
Le fossé maigre s'est repu
De tout ce sang superbe;
Longuement la terre l'a bu
Pour s'en faire de l'herbe...
....................................
Ah! campagnes, rassurez-vous
Maintenant. O nos villes,
N'ayez plus peur. Champs de chez nous,
Nos blés, poussez tranquilles.
Nos morts nous ont sauvés! Nos morts
Notre chair bien-aimée
Que voilà par terre. Nos forts,
Nos petits, notre armée.
Comme Jésus mourant en croix
Pour nous tant que nous sommes,
Nous a sauvés tous à la fois
De l'ennemi des hommes,
Pour nous délivrer des méchants
Ardents à notre perte,
Les voilà, nos morts, dans les champs
Avec leur plaie ouverte.
Dormez, maintenant, nos maisons,
Nos tombes offensées,
Reprenez, ô nos horizons,
Le cours de vos pensées.
Nous sommes sauvés tous! Voilà
Nos morts de souffrance,
Nos petits qu'on nous mutila,
Nos chers garçons de France.
Devant eux qui sont morts pour nous
Sans que rien les arrête,
Venons, mettons-nous à genoux,
Penchons sur eux la tête;
Essuyons avec nos cheveux
Leur pauvre front, leurs paumes;
Versons tout notre amour sur eux
Afin qu'il les embaume;
Baisons leurs mains, leurs pieds, leur sein,
Leur face endolorie
Comme on fait le Vendredi-Saint
Au Fils mort de Marie,
Car tous nos hommes, tous nos fils,
Aujourd'hui - venez femmes! -
C'est eux qui sont nos crucifix,
C'est eux nos sauveurs d'âmes.
Deux Chants de guerre
(dans les Chants de la Merci, 1930)
II
Chant de la Compassion
Stabat Mater dolorosa
L'heure m'éveille. Il est minuit...
Mon Dieu, peut-être cette nuit,
Mon fils à cette heure est mort.
Il gît peut-être pour toujours
Dans sa souffrance sans secours
Pendant que sa mère dort.
Il gît dans ses habits sanglants
Quand chez nous il a des draps blancs
Et son lit pour y guérir.
Il meurt tout seul pendant qu'il a
Dans sa maison moi que voilà,
Sa mère, pour le chérir.
Que dirai-je?... Mon cher petit,
C'est pour mourir qu'il est parti,
Pour mourir je l'ai donné.
Qu'ai-je fait quand il s'en alla?
Je l'ai moi-même ce jour-là
A la mort abandonné.
Et maintenant il a le temps,
Plus faible d'instant en instant,
Plus las, de crier en vain,
De m'appeler toute la nuit
En attendant, à bout réduit,
Que la mort réponde enfin.
Marie, ô Reine des Douleurs
Toi qui t'y connais en malheurs,
Pitié du ciel, mère aussi;
Soeur invisible, toi qui peux
Prendre le chemin que tu veux
Pendant que je reste ici;
Toi qui plus heureuse autrefois,
Assistas ton enfant en croix,
Debout, trois heures durant;
Le mien meurt sans amour, sans soins,
Il meurt sans moi... Mère, ah! du moins
Suis-le, toi, mon fils mourant!
Va l'aider... Je ne peux plus rien.
C'est dans la gloire, je sais bien.
Qu'il tombe, en train de courir,
Je sais bien, c'est pour le drapeau
Qu'il meurt, mais même quand c'est beau,
C'est toujours dur de mourir.
Va l'aider, Mère... D'où je suis,
Je pars avec toi, je te suis
Dans les bois glacés là-bas,
Là-bas dans les ravins ardus
Où seul avec les morts perdus,
S'éteint le coeur de mon gas.
Viens, mets-lui son sac pour appui
Sous la tête, Mère, et sur lui
Ramène son manteau bleu;
S'il pâme couché sur le dos,
Pour qu'il trouve un peu de repos,
Sur le flanc retourne-le.
Rassure-le. c'est un héros,
C'est en chantant, la fièvre aux os,
Qu'il courait à son devoir,
Je sais bien... Mais,la mort venant,
Peut-être il a peur maintenant
Qu'alentour tout devient noir.
Prends-lui la main et, l'endormant,
Fais-le descendre doucement
Au fond obscur de la mort;
Dans les ténèbres sans chemin,
Jusqu'à ta maison, par la main,
Emmène-le sans effort;
Reçois-le dans ton Paradis
Puisqu'il n'a plus d'autre logis
Pour se reposer en paix.
Garde-le, puisqu'n ma maison
Qui l'attendait à l'horizon
Il ne reviendra jamais.
Tu l'auras... Moi je n'ai plus rien...
A présent que le voilà bien,
Mère, ah! ne me laisse pas
Là, toute seule avec mon coeur
Qui va se briser de douleur
Avant que je fasse un pas!
Ne me laisse pas là dehors,
Là toute seule avec les morts
Qui gisent pareils à lui.
Mon enfant, lui qui m'appela,
Mon petit, encor le voilà!
Il est partout aujourd'hui!
Des fils, des joyeux, des hardis,
Des tendres, des doux, des petits,
En voilà plein les fossés.
Plein les champs... A faire ces morts,
Dans la fatigue et les efforts,
Nos beaux ans sont passés.
Nos fils, les voilà... Les douleurs
De notre enfantement, nos pleurs,
Notre espoir, notre souci,
Notre peine de chaque jour,
Nos veilles, nos soins, notre amour,
Les voilà par terre ici.
Ici...là-bas... Toujours des corps...
Ce ne sont pas les mêmes morts,
Ce sont les autres... Les champs
Saignent sous eux... Et les voici
Jeunes aussi, pâles aussi,
Brisés aussi, les méchants!
Les voici, les hautains garçons,
Les voici, les chers nourissons
Des nourrices de là-bas;
Leurs fils, les voici, leur amour
Et leur peine de chaque jour,
Auprès des nôtres en tas.
Aide-nous Marie! - En pleurant
- Le chagrin du monde est si grand -
Je ne sais où me tourner.
Aide-nous toutes! Dans le deuil,
Maintenant jusques au cerceuil,
Il nous faudra séjourner.
Nos fils ne sont plus... Désormais,
Dans la victoire, dans la paix,
Toutes, chacune en son lieu,
Coeurs noirs par les morts envahis,
Nous aurons le deuil pour pays.
Aide-nous, Mère de Dieu!
Deux chants de guerre
(dans "Les Chants de la Merci", 1930)
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