Osmont (Anne) ... ... ... ... 1872-1953
(1872-1953)
Novembre
Le ciel meurt, vert et rose en l'eau qui le reflète.
Comme une vapeur chaude autour d'un encensoir,
Dans la suavité douloureuse du soir,
Sous les bois dépouillés dort l'ombre violette.
L'Automne saigne à flots d'or rose et, lentement,
De ses fluides mains qu'une langueur décroise.
Effeuille sur l'étang ses joyaux de turquoise.
Voici la nuit d'adieux et le dernier amant.
Une à une, comme des pleurs, les feuilles noires
Sur le lac enflammé tracent de sombres moires;
L'Automne pleure, aux bras du silence pâmé;
L'heure invisible épand la cendre de son urne.
Seul un cygne éclatant dans le soir mi- fermé,
D'un sillage d'argent déchire l'eau nocturne.
Nocturnes.
Chants du silence
La forêt de Juin tressaille sous la nuit.
Des pas furtifs ont ployé l'herbe des allées
Et de confuses voix, sous les grottes voilées,
Disent tout bas des mots au vent jaseur qui fuit.
Le lac, parmi les branches basses, dort et luit,
Coupe de sombre azur aux vagues étoilées,
Et la chanson des eaux, par grandes envolées,
Domine la chanson du feuillage qui bruit.
L'haleine des foins mûrs enivre la nuit douce ;
Un long frémissement berce les nids de mousse
Que l'arbre paternel couve. D'un noir rameau
Part le cri velouté de la hulotte brune
Et, sanglot résumant ces soupirs, le jet d'eau
Tend son beau front qui penche aux baisers de la lune.
Les étoiles en fleur et la lune candide
Mirent leur froid regard dans le bassin des eaux
Et font luire, parmi les joncs et les roseaux.
L'étang plein de clarté que nul souffle ne ride.
Par les sentiers couverts, la chanson des amants
S'éteint. Leur double pas s'attarde sur la mousse.
Seule, j'entends rôder, dans l'ombre vague et douce,
Le nocturne troupeau des épouvantements.
La lune a peur d'errer toujours dans les ciels sombres,
Elle est pâle de voir toujours trembler les pins
Et d'entendre, mêlée à des soupirs humains.
L'eau gémir, prisonnière au lacis noir des ombres.
Les peupliers blafar'ds grelottent avec bruit.
Les grillons, les crapauds poussent de longues plaintes;
Troublant les vieux remords et ravivant les craintes,
Des morts mal éveillés trébuchent dans la nuit.
Un hibou monstrueux à la face hagarde
Frappe de son vol mou, nos vitres. Que veut-il?...
Il passe : A l'Orient où vibre un feu subtil,
Le visage du ciel est tout changé. Regarde.
Sur des brumes couleur de perle, frais coussin.
Le soleil nouveau-né s'éveille du mystère ;
Telle on voit se gonfler sur l'étang solitaire
La fleur du nymphéa, ronde comme un beau sein.
Voici le jour. Les nids le chantent, dans le saule.
Les fantômes vont fuir devant le dieu vainqueur,
Cache-moi dans tes bras et tout près de ton cœur,
Je veux dormir longtemps, le front sur ton épaule.
Soirs d'exil
Venez sous cette lampe amie et près du feu.
Parlez-moi du Berri, de la mousse câline,
De l' étang lumineux sur qui le jonc s'incline,
Paupière de velours où brille un regard bleu.
Je vous dirai l'ardeur de nos Juillets en feu,
Les vignes d'Août saignant à flots sur la colline,
Et, quand le vent le tord d'une étreinte féline,
Le grand pin qui nous parle avec la voix d'un dieu.
Au dehors, c'est la nuit, l'hiver, Paris hostile;
L'heure morne s'égoutte aux beffrois de la ville:
Évoquons la patrie et le passé charmant!
Un mirage en nos yeux met sa lueur qui tremble,
Et nous rêvons, muets, avec le sentiment
D'être moins exilés quand nous sommes ensemble.
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