Parthenay (Catherine de) ... ... ... 1554-1631
Catherine de Parthenay
1554-1631
Repères biographiques et historiques
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Catherine de Parthenay et ses filles,
Henriette de Rohan, 1577-1624?, (l'ainée)
Catherine de Rohan, 1584-1606? (la "petite denière", morte prématurément)
Anne de Rohan, 1583-1646
(Société d'émulation de la Vendée, 1873, p. 115)
- Calvinisme
- Mouchamps (Château du Parc-Soubise)
- Blain
- Le siège de la Rochelle, au cours duquel elle fit donner sa tragédie "Holopherne"
Stances sur la mort de Henri IV
Regrettons, soupirons cette sage prudence,
Cette extrême bonté, cette rare vaillance,
Ce cœur qui se pouvoit fléchir et non dompter,
Vertus, de qui la perte est pour nous tant amère,
Et que je puis plutôt admirer que chanter,
Puisqu’à ce grand Achille il faudroit un Homère.
Jadis pour ses haults faits nous eslevions nos testes ;
L’ombre de ses lauriers nous gardoit des tempestes,
Qui combattoit sous luy mesconnaissoit l’effroy ;
Alors nous nous prisions, nous mesprisions les aultres,
Estant plus glorieux d’estre subjects du roy,
Qui si les aultres roys eussent esté les nostres.
Maintenant nostre gloire est pour jamais ternie ;
Maintenant nostre joie est pour jamais finie.
Près du tombeau sacré de ce roy valeureux,
Les lys sont abattus, et nos fronts avec eux.
Mais parmy nos douleurs, parmy tant de misères,
Reine, au moins gardez-nous ces reliques si chères,
Gages de vostre amour, espoir en nos malheurs.
Estouffez vos soupirs, seichez vostre œil humide ;
Et pour calmer un jour l’orage de nos pleurs,
Soyez de cet estat le secours et le guide.
O Muses, dans l’ennuy qui nous accable tous,
Ainsy que nos malheurs vos regrets sont extrêmes ;
Vous pleurez de pitié quand vous songez à nous,
Vous pleurez de douleur en pensant à vous-mesmes.
Hélas ! puisqu’il est vrai qu’il a cessé de vivre,
Ce prince glorieux, l’amour de ses subjects,
Que rien n’arreste au moins le cours de nos regrets,
Ou vivons pour le plaindre, ou mourons pour le suivre.
- Stances de Médée
- Qui de Médée a ignoré le nom ?
- Qui n'a tremblé au bruit de son renom ?
- Qui ne me craint au ciel et en la terre ?
- J'ai de Phoebus le visage obscurci
- Quand il m'a plu, et de sa soeur aussi,
- Et à Jupin arraché son tonnerre.
- Je sais, comment, par un vers rechanté
- Ou le venin d'un herbage enchanté,
- L'on peut ôter ou redonner la vie.
- Témoin en est du renaissant Aeson
- Le poil doré, qui jadis fut grison,
- Trompant le temps, et la mort, et l'envie.
- Par mon secours, le parjure Jason
- Fut possesseur de la riche Toison,
- Dont je me suis derechef emparée ;
- Puis d'une gent je l'ai mise au pouvoir,
- Qui a dressé école à mon savoir,
- Et dont je suis à peu près adorée,
- Les miens vassaux, sur un fragile bois
- J'ai fait voler jusqu'au rivage indois,
- Sous autre ciel et nouvelles étoiles,
- Je les ai faits, par art autre qu'humain,
- Fiers des trésors cachés de longue main,
- À leur retour voguer à pleines voiles .
- Je veux encor, sous mes pieds honorés,
- Joncher la fleur des lys d'or azurés,
- Tant respectés en cette terre basse
- Car ma Toison, je prétends désormais
- Rendre plus belle et noble que jamais,
- Malgré les Dieux et des hommes l'audace...
LA PASCÏENCE
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A Madame, Madame la comtesse de Nassau
(Vers 1603)
Princesse à qui le ciel, entre mille malheurs. Pour adoucir l'aigreur de tes maux et douleurs, A donné un esprit armé de pascience, L'autre jour je resvoi à la grande inconstance De l'estât de ce monde, et tant je m'esgarai En ces miens pansemens qu'enfin je m'oubliai, Laschant bride à l'esprit qui prompt prit sa volée, Laissant le corps transi sur la voûte estoilée. (Je croi certainement qu'il s'envola dehors Fasché de demeurer en si fragille corps) (10 ) Mais lors il se souvint que ce grant Dieu qui darde Le foudre en son courroux, luy a donné en garde Le corps foible mortel avec commandement De demourer chez luy en ce bas élément, Jusqu'à tant que le bruit de la sainte trompette, (15) (Qui est son seul vouloir) lui sonne la retraitle.
Mon âme lors s'en vint, d'un vol comme forcé, Rentrer dedans son corps, desjà presque glacé, Faschée qu'il faloit encores estre hostesse D'un corps environné de travail et tristesse. (20) Alors tout estonné de ne scai quel esmoy, Peu à peu commançai à retourner en moy; Mes sens estoient perduz et ma vue esblouye N'avoit encor repris sa force défaillie, Qu'une sainte beauté se présente à mes yeux, (25) Fille, comme je croy, du grand ouvrier des cieux. Grave estoit son maintien, grave sa contenance, Son regard estoit doux et tout plein d'assurance. Il estoit humble ensemble et plein de majesté; Il estoit gracieux et plein de gravité ; 30 Sa démarche n'estoit à la façon humaine. Elle sembloit glisser comme en l'humide plaine
En un temps calme et doux les naufs on voit couler; Comme on voit les oiseaux doucement fendre l'air D'un vol lent et tardif, ayant l'aisle jà lasse ; 35 Ou comme on voit glisser sur l'hollandaise glace Les filles du pays estonnant l'estranger De veoir courir ensemble et voler et nager. Ses cheveux sur le dos lui floflotoient en onde, Un tortis encercloit sa chevelure blonde, 40 D'olive entremeslé d'un peu de vert laurier, Monstrant un cœur trop plus pacificq que guerrier. Auprès de la blancheur de sa robe trainante Le cigne méandrin, la neige blanchissante, Le haut des monts perdroit le lustre et sa couleur, 45 Tant estoit de divine et céleste blancheur. A son col luy pendoit une targe à champ sombre Semée hault et bas de croix blanches sans nombre Que plusieurs traits et dards contre elle descochez, N'ayans peu transpercer, y demeuroient fichez. 50 Elle avoit en sa dextre une guirlande verte Semblable à celle dont sa teste estoit couverte. Elle s'adresse à moy d'un visaige riant,
Et me dit : « lève toy, lève toi, mon enfant, Et repren tes esprits. Mon nom est Pascience, 55 Fille aisnée de cil qui est la sapience ; La parole et le filz qui une fois livré A la mort vous en a pour jamais délivré. Je suis celle qui rend l'homme heureux en ce monde, (Si rien y a d'heureux en terre, en l'air, en l'onde) Celle-là qui le rend riche en sa pauvreté, Sain en sa maladie et en prospérité, Quant plus il est batu de la fortune adverse Que la fureur des rois et la raige diverse (f. 76) D'un peuple mutiné se bande contre lui, 65 Si humble il me choisit pour soustien et appui, S'il prent ce mien bouclier pour sa garde et defence, Il est hors de danger et franc de toute offence. Certainement il fault que les pauvres humains A la sueur du front et le travail des mains, 70
Passent par les destroits, parcourent les carrières, Surmontent les sablons, traversent les fondrières, Brassent par les forests, s'extriquent des destours, Qui font empeschement au difficile cours De leur pénible vie; il ne leur fault attendre 75 Que la manne du ciel vienne sur eux descendre, Ayans les bras croisez, et qu'aux champs le froment Provienne non semé, et qu'encor le sarment Non cultivé rapporte un gracieux bruvaige. Depuis que l'homme fol, de sa femme peu sage 80 Se laissa abuser par ce fatal morceau, Ses enfants sont chargez de ce pesant fardeau De peines, de travaux, d'enuys et de tristesses f ; Et entre tous ces maux celui seul est heureux Qui peut pasciemment suporter ses malheurs. 85 Celuy là n'est heureux qui en son abondance A les espris boufiz d'orgueil et d'arrogance; Cestui là n'est heureux qui jamais ne sentant Le vent donner en proue, est toujours malcontent; Mais celui qui battu de tempesteux orage, 90 Demeure pascient et ferme en son courage,
Et mieux vault le content en son adversité Que le présomptueux en sa prospérité. Je sçai certes qu'il est très dur, très dificile D'aprendre aux fols humains cette doctrine utile. 95 Je sçai qu'ils veulent tous disputer curieux, Et subtils rechercher ce qu'es plus secrets lieux, De son saint cabinet l'Eternel tient en serre. filz de la poussière, enfans de la terre, statues d'argille ! que vos cœurs sont durs (f. 76 v.) 100 Vostre âme opiniastre et vos espris impurs ! Vous voulez donc sçavoir pourquoi Dieu vous chastie. Hé quand vous n'auriez fait jamais autre folie Que de trop enquérir, certes vous méritez Un chastimentplus dur que cil que vous portez. 105 Mais viençà (?) orgueilleux, peut la mesme justice Chastier la vertu, rémunérer le vice,Peut la mesme bonté honnorer les forfaicts, Coronner le péché et punir les bienfaicts ! Non Non ! Si vous sentez de Dieu la main pesante 110 S'agraver dessus vous, si vous voyez penchante Sur vos chefs menacez l'horreur de son courroux, Vous le méritez bien ; et si bénin et doux, Pour un temps il vous laisse exempts de sa vangeance, Atribuez ce bien à sa grande clémence, 115 Non pas à vos vertus; à sa bénignité, Bonté, douceur, non pas à vostre intégrité. Les grands débordemens de i'adamite race, Leur désobéissance, orgueil, fureur, audace, Donne à son grief courroux un sujet sufisant 120 D'exercer sa vangeance et son bras tout puissant. Armé de soufre et feu, de foudre et de tonnerre, Et de ces trois fureurs, peste, famine, guerre, Peut bien quand il luy plaist, punir l'iniquité Dont les ingrats humains blessent sa majesté. 125
Toutefois comme un père et pitoyable et saige, Souventefois il cache et couvre son visaige, Et destourne ses yeux sur la terre fischez, Pour ne veoir des humains les fautes et péchez. Moi j'oi gronder des chiens, des profanes athées 130 Qui ont les cœurs de fer, et de plomb les pensées. Ils disent que les maux et les punitions (fol. 77.) Que les adversitez et les aflictions Ne tombent sur nos chefs sinon à l'avanture, Par fortune envoyez ou bien par la nature, 135 Par un cours assuré, nécessaire et contraint (absence de rime à suivre) Aux constellations, que les maux et désastres Dépendent de la seule influence des astres. Car si Dieu, disent-ils, libre en ses actions, Estoit le seul aucteur de nos aflictions, 140 (Lui dont le saint vouloir ne fait rien que droiture Par ordre, par compas, par moyen, par mesure) Le pêche qu'une fois tu vois estre puny,Jamais ne demourroit en aulcun impuny, Vu qu'il n'est pas séant à sa haute justice 145 De moins punir en l'un qu'en l'autre l'injustice; Mais nous voyons souvent les pervers verdissans Comme un laurier branchu, et les bons languissans, Mattez de mille ennuis, rongés de mille peines. Mais jusquà quant, o fols, vos subtil itez vaines, 150 Vos disputes sans fruit, vos impies discours Se feront-ils ouir et entendre aux plus sourds? Certes de vos propos le lîel et l'amertume Descouvre de vos cœurs la puante apostume. Celui qui a d'un rien créé tout l'univers, 155 N'aura-il point pouvoir de punir les pervers ? Celuy qui a créé les cieux par sa puissance Assujétira-t-il à leur vaine influence Son vouloir libre et franc? Non non ce qui advient De mal en la cité, c'est du Seigneur qu'il vient. 160 Saturne courroucé, le fier Mars ni la lune,
Ni le front refrongné de la fausse fortune N'y ont aulcun pouvoir. Et si par quelque temps Nous voyons les pêcheurs impunis et contans, Si nous voions la faulte en aucuns impunye (f. 77 v.) 165 Qu'en autres nous voyons très griefvement punie, S'en faut-il esbahir, ou blasmer le Seigneur ? Un juge pourra bien sans blesser son honneur Et sans être taxé ou d'ire ou d'avarice, Ou d'aucune faveur, ne point punir un vice, 170 Et Dieu ne pourra pas sans se voir blasonner, Ce qu'en l'un il punit à l'autre pardonner? Quoi! si Dieu le pardonne à cil que l'ignorance A une fois trompé, mais qui a repentance, Et non pas à celuy qui estant coustumier 175 D'offenser son saint nom se plaist en son mestier; Quoi! s'il le veult ainsi, pour un petit d'espace, Pour après tout d'un coup retirer d'eulx sa face, Quoi! s'il le veult ainsi pour monstrer sa bonté, Usant en autre endroit de sa sévérité, 180
Que s'il le veult ainsi, qui es tu, o vermine, Qui l'establis pour juge à sa grandeur divine ? Je le veux, dira-il, tel est mon bon plaisir ; Et qui es-tu qui veux empêcher mon désir? Car ces mots sont séants à ce grand Roy céleste, 185 Dont orgueilleusement use un tiran terrestre. Que donc les faux discours de ces gens insensez N'ébranlent vos espris mattez et harassez De soufrir tant d'ennuis. Mais avec espérance Prenez pour vostre apuy mon autre sœur Constance, 190 Car puisque c'est de Dieu que vient le chastiment, Croyez que son courroux n'est pas si véhément Qu'en moins d'un tournemain son ire ne se passe, Faisant luire sur nous sa paternelle face. Or pour plus exciter vos magnanimes cœurs, 1 95 A porter, patiens, ces temporels malheurs, Sachez que le Seigneur non seullement envoyé Du ciel sur les humains la tristesse et la joye (f. 78) Mais que l'adversité, (tant Dieu ayme les siens)
Sert plus à ses esleus qu'abondance de biens ; 200 Plus leur est le repos que le travail contraire, Moins leur est le plaisir que l'ennuy salutaire, Plus le malheur que l'heur leur aporte de fruit, La maladie moins que la santé leur nuit. Monstre-toi attentif à ces grandes merveilles, 205 Ne bande point tes yeux, ne bousche tes aureilles; L'homme en son naturel a l'esprit si pervers Qu'il oublie qu'un Dieu gouverne l'univers, S'il ne sent sur son doz sa main apesantie ; Mais sitôt que le juste a sa verge sentie, 210 Il se retourne à luy, ainsi que les meschans, Se voyans chastiez prennent le frein aux dents, Despitans le Seigneur, au lieu de repentance ; Mais le juste en son mal s'arme de pascience; Il recongnoist sa faulte et soufre constamment 21 5 Tout travail tant soit grant, tout ennuy, tout tourment, Et humble va calant sa voile boursouflée
Qu'un vent trop à souhait avoit par trop enflée. MÉLANGES. 37 C'est pourquoi nous voyons que l'Esglise en sa paix N'a jamais tant fleury qu'oprimée du faix 220 De mille aflictions, et au temps d'abondance Les hommes sont enflez de vaine outrecuidance, Ainsi qu'au temps contraire, ayant les corps batus De la main du Seigneur, leurs cœurs sont abatus. Un expert jardinier souventefois retranche 225 D'un arbre trop touffu une vivante branche ; Pour donner et plus d'air et plus de nutriment Aux branches qu'il y laisse, il taille dextrement Sa vigne chascun an par trop luxuriante, Et s'il ne fait ainsi, la vigne languissante 230 Trop chargée de bois bientost s'abâtardit (f. 78 v.) Et au lieu de bon vin du verjust nous produit, Ou ne pouvant fournir la vitale substance, A tous ses bras rameus se meurt de desplaisance. Souvent le médecin, moins piteus que prudent, 235
S'il ne peut aultrement guarir son patiant, Aguysant son razoir et afilant sa scie, Pour sauver tout le corps, en coupe une partie. Dieu de mesme, voyant les superbes humains Par la prospérité lever leurs cœurs hautains, 240 Leur retranche tantost, o sagesse profonde, Ou leurs plus chers amys ou les biens de ce monde, Ou leur bonne santé ou mesme quelque fois Du corps estropié quelque membre il entame, Ou le perd tout entier, afin de sauver l'âme. 245 Si doncques quelquesfois vos espris irritez De se veoir à tous coups de tourments agitez, Se monstrent inconstans, alors qu'ils se souviennent Que c'est du tout Puissant que ces maux leur viennent, Et puisque sa sagesse et bonté ne fait rien 250 Que pour vostre salut, que c'est pour vostre bien Qu'il vous afflige ainsi, non pas pour vous destruire; ;;.,.. Car comment pourriez vous résister à son ire S'une fois sa fureur s'embrasoit contre vous ? Las comment pourriez vous suporter son courroux? 255
Mais on a beau prescher un esprit idolastre 38 MÉLANGES. Des vaines voluptez, toujours opiniastre, Il se plaint du Seignsur s'il lui oste ses biens, Sa femme, ses enfans, ses honneurs terriens, Son pays, sa santé, et ne peult point comprendre 260 Que s'il faloit enfin venir à compte rendre, Que lors il se verroit redevable au Seigneur (fol. 79) De cent biens pour un mal, cent heurs pour un malheur ; Car Dieu est aux humains un pitoyable père, Non un tiran cruel ou un juge sévère; 265 11 est chiche et escars (?) en envoiant le mal, Mais en donnant les biens très large et libéral. Mais l'homme impatient s'escrie en sa misère : Où est cette bonté, cette douceur de père? J'ai perdu tous mes biens, je suis abandonné, 270
Banni de mon pais, je suis pris, rançonné, Outragé en mon corps autant qu'en mes richesses; Où est ce Dieu dont tant on vante les largesses ? Je veux, impatient, congnoistre tes malheurs, Je veux ouyr tes maux, entendre tes douleurs, 275 Je veux d'un juste poids poiser ta doléance; Mais metant d'autre part à la contrebalance Les bienfaits du Seigneur qu 'ingrat tu vas cachant, Je voi que ce costé est plus que trébuschant. Ton Dieu veille pour toi et préserve ta vie ; 280 Ta femme, tes enfants languissent-ils de faim? Au travail de tes bras Dieu te donne du pain. T'a-il osté ta mère, il te laisse ton père ; Apelle-t-il ta sœur, il te laisse ton frère; Pers tu et père et mère et ton frère et ta sœur, 285 Dieu te laisse un mari pour ton consolateur. Mais je pers mon mari, le plaisir de mon âme; Mais je pers mon soûlas, ma tant aimée femme; Certes l'ennui est grand, mais Dieu, d'autre costé
Pitoyable et clément en ton adversité, 290 Te laisse des enfans pour soulaiger tes peines. Mais je suis vagabond en régions lointaines, Chassé, pillé, navré, où auray-je recours? C'est là que du Seigneur l'on espère secours; MÉLANGES. 39 T'est tesmoin sufisant de sa grande clémence, 295 Quand lors que tu n'a plus ni suport ni défense Il substante ton corps en pais estrangiers (f. 79 v.) Et préserve ta vie entre tant de dangers. Mais mon cœur, brave et hault, languit de desplaisance Et mon âme à tous coups bondit d'impatience ; 300 Mon sang bout dedans moy, mon généreux esprit Meurt mille fois le jour de chagrin et despit De ce qu'il fault qu'à tort je soy en moquerie A un peuple brutal, objet de sa furie,
Sujet de son courroux. Non je ne me puis veoir 305 Hay pour avoir fait de tout point mon devoir. Quoy ! veoir mes biens pillez et ma maison razée, Quoy ! de veoir des meschans ma vie pourchassée Pour n'avoir fait hommaige à la pierre et au bois, Et avoir adoré mon Dieu selon ses loix! 310 fol, que ton discours est ramply d'ignorance! Un payen philosophe a bien eu la prudance, Allant tout résolu à un indigne mort, De dire à son amy qui se plaignoit qu'à tort Il estoit condamné : M'aurois tu donc en haine 315 De vouloir qu'à bon droit j'endurasse la peine! Je seroi malheureux si j'avoi mérité D'ouir l'arrest de mort; mais avec gayeté Je soufre maintenant cette mort honorable, Congnoissant en mon cœur que je suis incoulpable. 320 Toi qui ne peus soufrir d'estre à tort afligé, Seras au jour dernier de ce payen jugé. Apren, apren de luy de prendre en patience Le mal non mérité, et pren ton innocence
Pour confort en tes maulx, joyeux que ton tourment 325 T'est causé pour avoir cheminé rondement; Non que l'homme affligé aucune playe endure Qu'il n'en mérite bien une sept fois plus dure, Non pas que le Seigneur laisse vaincre son cœur, D'un aveugle courroux, d'une injuste fureur, 330 Pour descocher ses traicts dessus l'âme incoulpable, Car devant le Seigneur, tout homme est redevable (f. 80). 40 MÉLANGES. Mais j'apelle innocent cil qui selon la loy Rend toute obéissance à son père, à son roy. J'apelle l'innocent à la façon humaine 333 Celui qui une vie irréprochable meine, Sans avoir offensé ceux dont injustement Il est persécuté, qu'en vivant saintement. Et certes en cet endroit mieux vault soufrir injure Sans l'avoir ofensé, desservy, que menant vie impure 340 Demourer honnoré et sans punition. Mais l'homme peu constant et plein de passion
Se chagrine en son cœur, se fasche en son couraige De veoir que les meschans contans passent leur aage Sans de l'adversité esprouver les rigueurs; 3 15 Qu'au contraire les bons sont mattez de langueur, Chassez de lieu en lieu, saus presque avoir une heure En un mesme pais asseurée demeure. Mais voyons, je vous pri, d'un œil non partial Balançons justement, poisons d'un poids esgal 350 Les biens dont les meschans ont pleine jouissance, Et les maux qu'en ce monde endure l'innocence. Certes nous trouverons que la félicité Des pervers n'est qu'une ombre, et que la malheurté Des justes n'est que jeu, car si l'âme est heureuse 355 Qui contemple de Dieu la face glorieuse, C'est à dire si l'homme en ce monde est heureux, Qui connoit pour Seigneur le monarque des cieux, Et c'est ce qu'entendoient vos docteurs platoniques Qui sublimant l'esprit, célestes empiriques, 360
Ailoient les cœurs humains qui sur les cieulx volans Alloient ce monde bas d'un pied vaincueur foulans, Comment n'est n'afligé s'il a la cougnoissancé De son Dieu bienheureux, ou commant l'abondance Des biens extérieurs peut elle bienheurer 365 Celui qui ne congnoist son Dieu pour l'adorer? (f. 80 v.) Non, ne t'abuse point; les honneurs, la chevance, Ni la puissance encor n'ont aucune puissance Pour rendre l'homme heureux, et la félicité Ne gist en des amys ni en la volupté, 370 MÉLANGES. 4! Ainsi qu'aspre douleur, pauvreté ennuyeuse, Perte de chers amys, impuissance hontense Et deshonneur ne rend un homme vertueux, Plus misérable au monde et moins chéri des cieux ; Toutes ces choses cy ne sont qu'indifférantes, 375 Profitables aux bons et aux meschants nuisantes, Et comme la vipère alimente son fiel De l'herbe dont l'abeille engendreroit du miel, Ainsi l'homme pervers tourne en poison mortelle Les biens extérieurs dont une ame fidelle 380 Fait bonne nourriture, et l'homme patient Avance son salut par les peines qu'il sent, Ainsi que le meschant avance sa ruine, Sentant dessus son dos la vengeance divine. Mais bien prenons le cas que les biens de dehors 385 Et félicitent l'âme et bienheurent le corps, Pensons qu'ils soient vrais biens desquels cil qui abonde Ait en partie atteint le bonheur de ce inonde. Les hommes n'ont-ils pas tout receu du Seigneur? Leurs biens et leurs amys, leur santé, leur honneur, 390 Leur sont ils adjugez par le sort d'un partaige? Sont ce bien paternels escheuz enhéritaige? Non, non, les hommes n'ont rien en propriété Que le péché, la mort, misère et malheurté. Ce qu'ils ont d'abondant, c'est la main liberalle 395 Du Seigneur qui là bas ses richesses estalle Qui le leur départit. C'est un don gratuit, Non acquis par travail, non par cas fortuit. C'est un don gratuit que le Seigneur révoque Quand vostre ingratitude à ire le provoque (f. 81) 400 Donné non simplement ains sous condition Que Dieu le reprendra quant luy semblera bon. Si donc vous provoquez le Tout Puissant à ire, Ne vous estonnez pas si ses dons il retire, Ains le remerciez que paternellement, 405 De verge il vous chastie, envers vous plus clément Que n'a pas mérité la grandeur de l'offense, Et humbles rendez grâce à sa grande clémence 42 MÉLANGES. De ce que si longtemps sa debonnaireté Vous a permis jouyr du bien non mérité. 410 Je ne puis point assez admirer la manye Qui de ces insensez les pensées manye. Sitost qu'ils ont perdu leur santé, leurs parens, Ou quelque bien mondain, on les voit murmurans Disputer contre Dieu. Peust la mesme droiture, 415 rebelles, o fols, vous faire quelque injure, S'il vous avoit promis que vous vivriez là-bas En jeus, en passetemps; en plaisirs, en esbas, Sans rien voir ny ouir qui ne fust agréable, Rien goûter ne sentir qui ne fust désirable. 420 Fouillez vos cabinets, recherchez vostre escrain, Voir si vous trouverez, signée de sa main, , Scellée de son scel quelque escristure antique, Quelque vieil parchemin, quelque letre autantique, Qui le rende obligé : non vous ne verrez point 426 Que le Seigneur vous soit tenu en quelque point. Bien estes vous tenus à sa haulte justice De l'obligation qui naist du maléfice. C'est l'obligation qui vous tient obligez A endurer la mort, loyer de vos péchez, 430 Cela doit inciter vos cœurs à patience, Vous reposant sur Christ et sur sa bienveillance, Voyans qu'il a rompu cette obligation Qui vous tenoit subjects à condamnation. Loue donc le Seigneur, admire sa sagesse, 435 Aymé sa grand'bonté, adore sa hautesse (f. 81 v.) Et croi qu'en l'univers rien n'advient aultrement Que par sa volonté, congé, commandement ; Que ce que tu pensois t'estre le plus contraire, Pour ton bien et salut est plus que nécesaire ; 440 Que s'il te vient du bien il vient de sa bonté, Que s'il te vient du mal, tu l'as bien mérité. Ainsi tu passeras par la mer orageuse De ce monde le cours de ta vie joyeuse, Sans que ni les rochers, ni les vents, ni les flots 445 Puissent aucunement troubler ton doux repos. 460 MÉLANGES. 43 Le dur temps ne fera amaigrir ton visage, Et la prospérité n'enflera ton courage. Tu verras sans bransler, bransler tout l'univers; Tu verras sans despit prospérer les pervers ; 450 Tu perdras tes amys sans pleindre oultre mesure ; Tu perdras ta santé sans chagrin et murmure; Rien ne contristera ton esprit patient; Rien ne surmontera ton courage constant ; Adoucis donc tes maulx d'une ferme espérance; 455 Soulage tes douleurs armé de patience ; Enfin, après avoir surmonté mille maulx Tu mettras, bien heureux, fin à tous tes travaux, Jouissant sur les lieux d'une gloire immortelle, D'ua repos accomply, d'un joye éternelle, D'un plaisir tout divin, d'une félicité Qui sera permanente à perpétuité ». Voylà les beaux propos, vertueuse princesse, Dont cette sainte vierge allégeoit ma tristesse, Charmoit tous mes ennuis, me redonnoit vigueur, 465 Desgourdissoit mes sens et ravissoit mon cœur D'un saint entousiasme. vierge descendue Du hault ciel, dis-je alors, tu sois la bienvenue; céleste beauté, que tes propos sacrez Sont doulx à mon aureille, à mon palais sucrez ! 470 vierge, chasse deuil, domte mal, charme peines (f. 82) Qui par l'estroit sentier au ciel les hommes meines, Qui auront mesprisé, d'un esprit généreux Et les maux et les biens du monde malheureux. Cependant qu'icy bas je feray demeurance, 475 Soi moi mon garde corps, mon fort, mon asseurance; Fai que par ton moyen, mon courage constant, Au monde et à la mort et ses dars résistant, Participe en la fin de cette vie heureuse Dont jouyt des esleus la bande glorieuse. 480 M'estant teu, elle dit : «je m'en vay visiter Une princesse à qui je voudroi présenter
Au premier de janvier cette belle couronne Semblable a celle là qui mon chef environne. Adieu, pour cette fois je la veux aller veoir 485 Et loger, si je puis, avec elle ce soir. Et toi tu demourras en grâce et souvenance De moy et mes deux sœurs Espérance et Constance. » Adieu, dis je, mon bien, adieu vierge, mon heur. Mais devant que partir, fai moy une faveur. 490 Elle, baissant le front : « j'octroye ta demande. » Qui est donc celle là qui de cette guirlande Coronnée sera par tes célestes mains? Certes elle est heureuse entre tous les humains ! « C'est, dit elle, une dame à qui l'expérience 495 A apris combien vault en ennuy patience. Une dame suivant le chemin peu batu Qui par aspres roschers conduit à la vertu, Et qui sans mon secours n'eust eu ni paix, ni trêve, D'un grand père orpheline et d'un grand mary vefve. » 500 Si je ne suis trompé, dis-je, souventefois J'ai regardé sa face et entendu sa voix. Elle est vefve, je croi, du grant prince d'Orange, Grand non pas en trésors mais très grand en louange, En vertu, en bienfaicts, fille comme je croi 505 De ce grand Colligny qui la nef de la Foi (f. 82 v.) Vray et saint amyral, de tous vents agitée, A guidé courageux, sur la mer irritée Des persécutions. Mais fay moi cet honneur, Ottroye moy ce don, cet heur, cette faveur, 510 Et je te serviray de fait et de pensée; Que sur son noble chef par mes mains soit posée Cette couronne ci. Ne me refuse pas ; Et d'un lien estroit obligé me rendras A t'estre obéissant tous les jours de ma vie. 51 5 Elle se souzriant : « si tu as tant d'envie De faire mon message, or sus aproche toi Et de ma chaste main la coronne reçoi. Puis allant visiter celle à qui elle est due, De par moy et mes sœurs humblement la salue. 520 MELANGES. 45 Et luy fai le présent. » Je m'aproche soudain Et reçoi le présent de sa divine main. Je le tourne et retourne et le baise et rebaise, Sautelant dedans moy mon cœur transporté d'aise. Mais soudain disparait et elle et son présent ; 525 Mon extase finit comme un songe passant. Princesse, par ces vers, je t'offre la coronne Dont cette grand' beauté tes mérites guerdonne, Car puisqu'elle m'a fait tant de grâce et honneur De m'avbir accepté pour son ambassadeur, 530 Je serois accusé de trop d'ingratitude, Si je n'exécutois en toute promptitude Ce qu'elle m'a enjoint, veu qu'il m'est mesmement A ma requeste enjoint, non par commandement. Mais mon esprit grossier, ma langue peu diserte, 535 Mon stille mal coulant, ma plume peu experte, N'ont peu sufisammenl descrire ses propos, Ni assés proprement agencer ses beaux mots, Pourtant je te supli, n'aye esgard, ma princesse, Tant à l'ambassadeur qu'à sa dame et maistresse. 540
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