Pascal (Françoise): Les réflexions de la Magdeleine dans le temps de sa pénitence (1674)
Pascal (Françoise)
Les réflexions de la Magdeleine dans le temps de sa pénitence (1674)
Chapitre Premier
De ses vanités passée, et de sa conversion.
Qu'espères-tu de moi, malheureux souvenir,
Qui viens toujours m'entretenir
De mes félicités mondaines;
Va, souvenir persécutant,
Mon coeur contrit et pénitent
n'a plus que du mépris pour les choses humaines,
En vain tu viens toujours me les représenter,
Par quelque endroit que tu t'exprimes,
J'y vois l'image de mes crimes,
Et je ne les vois plus que pour les détester.
***
Eloignez-vous de moi, profanes courtisans,
Vous de qui l'erreur vaine et folle
Vous fit me regarder comme l'unique idole
A qui vous deviez de l'encens;
Mes yeux où vous trouviez des charmes,
Et dont vous éprouviez les dangereux attraits,
Pour se punir de leurs forfaits,
Ne sont plus occupés qu'à l'usage des larmes;
L'Amour Divin a triomphé,
Et mon coeur n'est plus échauffé
Que de l'ardeur qu'il y fit naître
J'ai plus de plaisir mille fois,
D'être réduite aux pieds de mon Souverain Maître,
Que je n'en avais eu de vous donner des lois.
Lorsque je faisais mes délices
De vos amoureux sacrifices,
Que j'abandonnais à tous mes sens révoltés,
Et que mon coeur nageait parmi les voluptés,
Par une force de la Grâce,
Par un secret désir qu'elle fit m'inspirer,
Je repris tout d'un coup la trace,
Dont un démon trompeur m'avait fait égarer;
Je fus entendre ce Prophète,
Dont la sainte Doctrine enlevait les esprits,
Et qui des plus obscurs et plus profonds écrits,
Etait le savant Interprète.
***
A son divin abord mon âme se troubla,
Le redoutable aspect de sa vertu suprême
Me mit dans un désordre extrême,
Et l'amour profane en trembla;
La honte qu'il eut de paraître,
Plein de vice et d'impureté,
En présence d'une si grand Maître,
Le fit aussitôt disparaître,
Et me laisser en liberté.
Mais quel pouvoir n'eut point cette Bouche divine
En nous expliquant sa Doctrine
Et quel charme n'a point la parole d'un Dieu?
Elle perça mon coeur de mille traits de flamme:
Je fus vaincue avant qu'il sortît de ce lieu,
Et quand il en sortit, il emporta mon âme.
***
Chapitre 2
Ses réflexions sur les vanités qu'elle foula aux pieds, et sur son entrée chez Simon le Lépreux.
Vous fûtes bien surpris, pernicieux Amants,
Lorsque je méprisai vos voeux et vos services,
Et que j'abandonnai les vices
Dont vous fûtes les instruments.
Dans la douleur vive et profonde,
Que me causa l'horreur de tant de maux commis,
Le coeur repentant et soumis,
Je fus fouler aux pieds les vanités du Monde;
ces pompeux ornements que j'avais affectés,
Pour relever les traits où vous vous laissiez prendre,
Dans un moment furent ôtés,
Et du moins autant détestés,
Que j'eus peu de regret de les réduire en cendre.
***
Mais pour toucher un Dieu ce n'était pas assez,
Pour avoir son amour il fallait être pure,
Le coeur sans tache et sans souillure,
Et lavé par un Dieu de ses crimes passés;
Pour obtenir cet avantage,
Et pour le mériter, je mis tout en usage,
Ne pouvant retenir cette sainte ferveur,
Je fus dans la Maison, où dinait le Sauveur,
De son Divin feu prévenue;
Et ne me réglant plus que par ce même feu,
d'aucun respect humain je ne fus retenue,
L'on eut beau murmurer de me voir en ce lieu,
Au moment que je pus jouir de cette vue,
Tout le reste me toucha peu.
***
Aussitôt que je fus entrée,
J'allai d'un onguent précieux,
Oindre cette Tête sacrée;
Chacun des Assistants tourna sur moi les yeux,
Et par une erreur sans seconde,
M'accusaient hautement de prodigalité,
Ignorant, faute de clarté,
Que cette libéralité
Se faisait au Sauveur du Monde.
ces aveuglés ne songeaient pas
Que l'Auteur de la Prophétie
Avait envoyé le Messie,
Et que le Saint Messie était de ce repas.
***
Pour moi, dont vos divines flammes
Eclairaient les esprits, et consumaient le coeur:
Moi, mon Adorable Vainqueur,
Je vous reconnaissais pour le Sauveur des Ames;
Et quand je vous offrais mes désirs et mes voeux,
En arrosant vos Pieds de deux ruisseaux de larmes,
Que j'essuyais de mes cheveux,
L'excès de ma douleur vous fit rendre les armes.
Ces aveugles témoins furent bien étonnés,
Lorsque pour soulager mon amoureuse peine,
Vous dîtes: Va, Magdeleine,
Tes péchés te sont pardonnés.
***
Vous osiez murmurer, témoins de mon bonheur,
Vous doutiez du pouvoir du Souverain Seigneur,
Vous ne crûtes pas des oracles
Prononcés par un Dieu si fécond en miracles,
Vous les aviez connus ses Miracles divers,
Et vous ne voyiez pas à travers leur Mystère,
Briller le divin caractère
Du Monarque de l'Univers.
Si vous eussiez connu cette Vertu secrète,
L'on vous eût vu moins empêchés
De savoir si ce grand Prophète
Pouvait pardonner les péchés.
***
Je vous laissai dans l'ignorance
Entendre du Sauveur quelque docte Sentence,
Qui pût éclairer vos esprits;
Et moi qui n'avais plus le monde qu'en mépris,
Je n'eus plus de désir que pour la Pénitence.
Je fus au sortir de ce lieu,
Pleine de ma douleur profonde,
Faire encor plus d'efforts pour m'acquérir un Dieu,
Que je n'en avais fait pour m'acquérir le monde.
***
Chapitre III
Ses réflexions sur son nouvel état, et sur les visites du Sauveur.
Après avoir livré la guerre
A tous les plaisirs de la terre,
Madeleine, ce fut alors,
Que ton divin Amant eut toutes tes pensées,
Que tu fis souffrir à ton corps
La peine des fautes passées;
Ce fut là que pour châtiment,
D'avoir tant usé de d'artifice,
Pour parure, et pour ornement,
Tu ne lui promis qu'un cilice;
C'est là, que méprisant les ouvrages de l'art,
Et que n'affectant plus les attraits, et les charmes,
Ton visage n'eut plus de fard
Que celui de l'eau de tes larmes.
***
Ce fut dans ce nouvel état,
Qui te fut comme un nouvel être,
Sans artifice, et sans éclat,
Que tu gagnas le coeur, et l'amour de ton Maître;
Il ne s'attachait point aux beautés du dehors,
Il demandait d'autres trésors;
Aussi quand tu brûlas de sa divine flamme,
Que la Grâce eut fait naître un si prompt changement,
Dans le désir de plaire à ce nouvel Amant,
Tu t'appliquais incessamment,
A négliger ton corps pour embellir ton âme.
***
Oh Dieu! que le regret extrême,
Qui fit naître en ton coeur ce mépris de toi-même,
Contentait ce divin Sauveur !
Son âme en ressentait une joie infinie,
Et pour nous combler de faveur,
Il venait dans la Béthanie,
Ha ! souvenir doux, et charmant,
Que tu me flattes doucement !
Fut-il jamais bonheur aussi grand que le nôtre ?
***
Un Dieu nous chérissait, ma soeur, mon frère et moi,
Ce Rédempteur mangeait parmi nous comme un autre,
Il prêchait devant nous l'Evangile et la Foi,
Et cet Auteur de la Nature,
Devant qui tous nos sens extasiés,
En prêchant le salut de la race future,
Nous donnait d'une nourriture
Dont jamais nos esprits n'étaient rassasiés.
***
C'était dans le temps que ma soeur
Lui disait: Hé ! quoi donc, Seigneur,
Sera-t-il dit que Madeleine,
Pour avoir dans soi-même un secret entretien,
Ne prenne le souci de rien,
Et me laisse toute la peine ?
Marthe, lui dit Jésus, L'on voit que par le soin
Qui te fait agir au besoin,
Tu te plais dans la vie active,
Mais laisse cependant Marie en liberté,
Elle a pris un parti dans la Contemplative,
Qui ne lui sera point ôté.
***
Chapitre IV
Ses réflexions sur la mort et sur la résurrection du Lazare.
Je me souviens lorsque Lazare,
Ce frère si chéri de ma soeur et de moi,
Subit, malgré l'excès d'une amitié si rare,
Du tribut de la mort l'impitoyable Loi.
Je me souviens enco combien je fus troublée,
Combien mon âme était de douleurs accablée,
Pour un si sensible malheur,
Que dans cet état pitoyable,
Lorsque je vis entrer mon Amant adorable,
Et lui dis, en poussant une amoureuse plainte:
"Vous soyez le regret dont mon âme est atteinte;
Seigneur, si vous fussiez ici venu d'abord
Produire votre vertu sainte,
Mon frère ne serait pas mort".
***
Les coeurs étaient atteints d'une douleur mortelle,
Chacun versa des pleurs quand Lazare expira.
Mais qui n'aurait pleuré la mort de ce cher frère,
Puisque le Seigneur la pleura ?
Quel avantage à sa mémoire !
Vit-on jamais un mort couvert de tant de gloire,
Et pour qui le Seigneur fit un si grand effort ?
Bien que Lazare fut dans une nuit profonde,
Qui n'aurait envié son sort,
Quand on vit honorer sa mort
Des larmes du Sauveur du monde ?
***
Ces larmes furent succédés,
Seigneur, d'un tel événement
Qu'il confond mon entendement,
Et la force de mes idées;
Ce ne fut pas assez d'avoir versé les pleurs,
Que vous voulûtes bien mêler à nos douleurs,
Pour manifester la puissance,
La gloire et la grandeur de ce Père et de Vous,
Qui n'êtes qu'une même Essence.
Vous forçâtes la mort, pour vous-même et pour nous,
A vous céder sans résistance
Celui qu'elle avait fait expirer sous ses coups;
Vous levâtes tous les obstacles,
Pour le faire sortir vivant de son tombeau,
Et l'on connut, à voir ce triomphe nouveau,
Que vous étiez savant à faire des miracles.
***
Quel espoir nous était resté ?
Ce corps dans une sépulture,
De qui déjà les vers faisaient leur nourriture,
Pouvait-on espérer qu'il revît la clarté ?
Cependant le Sauveur touché de notre peine,
Et par une vertu dont la force surprend,
D'une autorité souveraine,
Le demande à la mort, et la mort le lui rend.
Lazare reprenant le cours de ses années,
Ce prodige ravit les témoins de ce lieu,
Et leur fit avoiler qu'il fallait être un Dieu
Pour oser renverser l'ordre des destinées.
Chapitre V
Ses réflexions sur la dernière visite que le Sauveur leur fit avec ses disciples, après la résurrection du Lazare, et sur ce qui se passa pendant le repas.
Avant que la barbare et lâche calomnie
D'une populace ennemie,
Vous eut exposé sur la Croix,
Vous revîntes à Bethanie,Mais, mon Sauveur, ce fut pour la dernière fois,
Vous daignâtes encor honorer notre table
De votre présence adorable;
Lazare duquel le destin
N'avait pu contre vous faire de résistance,
Ni surmonter votre Puissance,
Avait aussi l'honneur d'être de ce festin.
Mais je reçus aussi le dernier avantage,
D'oindre vos pieds sacrés, avant votre départ
D'un précieux onguent de nard,
Qui d'un parfait amour était le pur hommage;
L'odeur de cet onguent se faisait admirer,
Il était regardé comme un pieux office,
Et quand vous receviez ce juste sacrifice,
Le malheureux Judas osait en murmurer.
***
Ce lâche monstre d'avarice,
Pour colorer son artifice,
S'écria: "cet onguent doit avoir trop coûté,
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