Pascal (Jacqueline)... ... ... 1625-1661
Jacqueline Pascal
(Soeur de Pascal)
1625-1661
Epigramme
pour remercier Dieu du don de la poésie
(Août 1638)
Je ne suis pas si fort saisie
Des faveurs de la poésie,
Que je ne reconnaisse humblement devant tous,
Grand Dieu! que ce n'est pas l'étude
Qui m'a donné cette habitude,
Et, sans la mériter, que je la tiens de vous.
Stances
pour remercier Dieu, au sortir de la petite vérole.
(1638)
Moteur de ce grand univers,
Inspirez-moi de puissants vers;
Envoyez-moi la voix des anges,
Non pas pour louer les mortels,
Mais pour entonner vos louanges
Et vous remercier au pied de vos autels.
Votre souveraine bonté,
Du haut du ciel, a visité
Le plus chétif ver de la terre,
Et garanti du coup fatal
Un corps plus fragile que verre,
Parmi tous les excès d'un incroyable mal.
Ainsi l'on voit qu'en vérité,
Grand Dieu! votre bénignité
S'est montrée en moi bien extrême,
Me garantissant d'un péril
Où, sans votre bonté suprême,
Mes ans allaient finir dans leur plus bel avril.
Oh! que mon coeur se sent heureux,
Quand au miroir je vois les creux
Et les marques de ma vérole:
Je les prends pour sacrés témoins,
Suivant votre sainte parole,
Que je ne suis de ceux que vous aimez le moins.
Je les prends, dis-je, ô souverain!
Pour un cachet dont votre main
Voulut marquer mon innocence;
Et cette consolation
Me fait avoir la connaissance
Qu'il ne faut s'affliger de cette affliction.
Mais, grand Dieu! mon travail est vain;
Il faut un esprit plus qu'humain
Pour bien raconter vos merveilles;
Et ce grand excès de bonté,
Charmant les yeux et les oreilles
Excède mon pouvoir et non ma volonté.
Sonnet
fait après les rimes
(octobre 1643)
Vos discours rigoureux me donnent de la peur;
Mais malgré vos mépris j'aurai cet avantage,
Que votre oeil a toujours la douceur en partage
Pour adoucir mon mal par un regard flatteur.
Je sers vos doux attraits avecque tant d'ardeur
Et trouve tant de charme en leur rendant hommage,
Que quand j'y souffrirais un insigne dommage,
Je croirais en mourant recevoir de l'honneur.
Mon âme est pour vos coups une illustre matière
Qui pour vous contenter se donne tout entière
A des traits qui jamais ne furent sans effet.
Je meurs pour satisfaire à votre injuste envie;
Mais jetez un soupir, et mon âme ravie
Recevra le trépas comme un bonheur parfait.
Chanson
(1643)
Sombres déserts, retraite de la nuit,
Sacré refuge du Silence,
Un malheureux à qui le monde nuit
Ne vient pas par ses cris vous faire violence.
Son tourment est si doux, qu'il n'en veut pas guérir:
Il ne vient pas se plaindre, il ne vient que mourir.
Par son trépas dans les lieux fréquentés
On saurait les maux de son âme,
Mais dans ces bois toujours inhabités,
Il vient cacher sa mort pour mieux couvrir sa flamme.
Ne craignez pas ses pleurs en le voyant périr:
Il ne vient pas se plaindre; il ne vient que mourir.
A Madame de Morangis
Sonnet
(Juillet 1638)
Pour bien peindre Philis, vrai miracle des cieux,
Ses divines vertus qui n'ont point de pareilles,
Les appas de son corps, qui captivent nos yeux,
Et ceux de son esprit qui charment nos oreilles,
Je dirais que son oeil, toujours victorieux,
Fait que tous les mortels lui consacrent leurs veilles,
Que ses attraits sont tels qu'ils captivent les dieux,
Et les font étonner de leurs propres merveilles.
Mais pour bien exprimer ses rares qualités,
Ma peinture n'a pas d'assez grandes beautés;
Toujours de mes couleurs quelqu'une est mal plaisante.
Quittons donc ce dessein plein de témérité,
Car je ressens pour peindre une divinité
Mon pinceau trop grossier et ma main trop pesante.
Stances sur le miracle
de la Sainte Épine
Fragments
Invisible soutien de l’esprit languissant,
Secret consolateur de l’âme qui t’honore,
Espoir de l’affligé, juge de l’innocent,
Dieu caché sous ce voile où l’Église t’adore,
Jésus, de ton autel, jette les yeux sur moi ;
Fais-en sortir ce feu qui change tout en soi ;
Qu’il vienne heureusement s’allumer dans mon âme,
Afin que cet esprit qui forma l’univers,
Montre, en rejaillissant de mon coeur dans mes vers,
Qu’il donne encore aux siens une langue de flamme !
Au fond de ce désert, et ne vivant qu’en toi,
Je goûte un saint repos exempt d’inquiétude.
Tes merveilles, Seigneur, pénétrant jusqu’à moi,
Ont agréablement troublé ma solitude :
J’apprends que par un coup de ta divine main,
Trompant l’art et l’espoir de tout esprit humain,
Un miracle nouveau signale ta puissance.
Ce miracle étonnant, dans un divin transport,
Me presse de parler par un si saint effort
Que je ne puis sans crime être encore en silence.
... Ô mortels, écoutez avec un juste effroi
L’effet miraculeux d’une vertu divine,
Et jugez du pouvoir de votre divin Roi
Par celui que reçoit une petite épine.
Cet oeil défiguré, cet os demi-pourri,
Ce mal que le feu même à peine aurait guérit,
Ce mal qui surpassait tout ce qu’on en peut croire,
Par le pouvoir secret d’un saint attouchement,
Se trouve anéanti dans le même moment,
Sans qu’il en reste rien que la seule mémoire.
Qui n’a senti, Seigneur, dans cet événement,
Cette sainte frayeur qu’excite ta présence ?
Qui s’est pu garantir d’un secret tremblement,
Te voyant dans l’effet de ta toute-puissance ?
Que s’il est vrai qu’ici, dans l’ombre de la foi,
Ta présence secrète imprime tant d’effroi,
Lorsque tu ne parais que pour être propice,
Que sera-ce, Seigneur, alors qu’au dernier jour,
Couvrant de ta fureur l’excès de ton amour,
Tu ne te feras voir que pour faire justice !
Cette épreuve, Seigneur, me fait voir clairement
La raison qui te porte, en des choses pareilles,
Comme pour prévenir ce juste étonnement,
À faire quelquefois pressentir tes merveilles.
Ainsi, malgré l’hiver et la rude saison,
Un arbre fleurissant dans ta sainte maison 1
Nous y fit voir l’espoir d’une chose étonnante.
Ainsi, quand le soleil tenait tout en repos,
Par des songes de nuit qui n’ont rien que de faux,
La vérité parut à ton humble servante.
... J’ai satisfait, Seigneur, l’impétuosité
D’un zèle dont l’ardeur condamne le silence.
Je n’ai point captivé ta sainte vérité,
J’ai suivi le transport de ma reconnaissance,
J’ai dit ce que l’esprit a daigné m’inspirer.
Et maintenant, Seigneur, si je puis espérer,
Selon que tu promets, grâce pour cette grâce,
Pour salaire, ô mon Tout, fais-moi cette faveur
De rentrer dans mon antre avec plus de ferveur
Et de ne plus sortir du secret de ta face.
Extrait de Jacqueline Pascal, premières études
sur les femmes illustres et la société du XVIIe s.,
par Victor Cousin, Paris, Didier, 1856. (Biblisem)
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