Paulin (Louisa): Poèmes français (Rythmes et Cadences)
Louisa Paulin
Poétesse peu diffusée.
Cependant, Jeanine Moulin en citait 5 poèmes. Et surtout, la prestigieuse anthologie américaine "French Women Poets of Nine Centuries" de Norman R. Shapiro (2008), la reconnaît comme l'une des plus grandes et propose 14 poèmes (10 en français et 4 en occitan), accompagnés de leur traduction en anglais. Précisons que la page qui suit est aujourd'hui, sur un millier qu'il contient, la plus quotidiennement consultée de ce blog. Un talent enfin reconnu. Consulter le site qui lui est consacré
Poèmes français
(tirés de "Rythmes et Cadences" 1947)
Lune
Arc léger
qui nous fait songer
un peu plus haut que l'écuelle,
magie dela lune nouvelle.
Le jardinier quitte sa terre
et son chien l'ombre d'une feuille.
Le ciel couvre nos pauvres toits
et posant le front sur ses doigts
l'ange des mondes nous accueille.
Chanson de la colombe
Bonjour! Bonsoir! Madame la Lune,
Qu'avez-vous vu?
Qu'avez-vous vu dans vos voyages
Qui vous ait plu?
- J'ai vu une blanche colombe
Bonjour! Bonsoir!
J'ai vu une blanche colombe
Dans le ciel noir.
- Oh! Dites-nous que cherchait-elle,
Si loin de nous,
Oh! Dites-nous que cherchait-elle,
Le savez-vous?
- Elle cherchait un nid tranquille
Bien à l'abri.
Elle cherchait un nid tranquille
Pour ses petits.
- Où est-il, Madame la Lune,
Le nid si doux?
Où est-il, Madame la Lune
Le savez-vous?
- Dans votre coeur d'enfant peut-être,
Bonsoir! Bonjour!
Si votre coeur pouvait bien être
Tout plein d'amour.
- Comment s'appelle la colombe,
Le savez-vous?
Comment s'appelle la colombe,
Dites-le nous.
- On la nomme la Paix di Monde,
Bonjour! Bonsoir!
Ses ailes couvriraient le monde
D'un vol d'espoir.
Chanson pour le vent du Sud
O brise du Sud, viens boire la neige,
nous sommes repus de gel et de vent,
un doux pissenlit a tiré de terre
un petit soleil tout en or vibrant.
O brise du Sud, viens boire la neige,
nous sommes repus de froid et de pluie.
une pâquerette a tiré de la terre
un petit soleil frangé de sang vif.
O brise du Sud, qu'Amour te protège,
nous avons tous faim et soif d'être heureux;
chaque oeil de bourgeon épie, tout peureux,
ton souffle d'azur qui boira la neige.
Chanson d'avril
Je sais un nid dans les bois, au couchant,
avec trois oeufs dedans
où dorment trois petites vies
et qui sont nés d'un clair de lune
et d'une branche de lilas;
je sais trois oeufs là-bas.
Ils sont bercés au doux rêve des feuilles,
- ce sont, je crois, trois oeufs de rossignol -
le chant du soleil les éveille,
le chant de la pluie les endort.
Et c'est un chant d'amour qui va les faire éclore,
le chant du premier rossignol,
tout frissonnant de nuit, tout ébloui d'aurore:
trois oeufs là-bas, trois petits rossignols.
Le chant du coq
Chaque matin le coq demande:
Heu! eu eu eu!
Fait-on mon feu?
Chaque matin le coq demande:
Ha! a a a!
Qui me me cuira?
Chaque matin le coq demande
Ho! o o o!
Est-ce bientôt?
Hé! grand nigaud!
C'est pour Noël,
Pour fêter la terre et le ciel.
C'est Mélanie qui va te cuire,
Découpé en friands morceaux
Dans un joli vin de coteau,
Tout doucement tu vas bruire
Embaumé d'oignons et de thym
Et tu seras un coq au vin.
Chaque matin le coq demande:
Heu! eu eu eu!
Fait-on mon feu?
Chaque matin le coq demande:
Ha! a a a!
Qui me me cuira?
Chaque matin le coq demande
Ho! o o o!
Est-ce bientôt?
Hé! grand nigaud!
Pour la moisson.
Et c'est la vieille Louison
Qui va gonfler ta maigre panse
D'une farce - quelle bombance! -
Dorée d'oeufs frais, parfumée d'ail,
Hâchée bien fin - ah! quel travail -
Et dans l'arôme des poireaux
Tu seras une poule au pot.
Chaque matin le coq demande:
Heu! eu eu eu!
Fait-on mon feu?
Chaque matin le coq demande:
Ha! a a a!
Qui me cuira?
Et l'écho, fatigué, lui mande:
Ho! o o o!
Tais-toi, nigaud!
La chanson de maman
A mon petit garçon
je donnerai deux pommes:
une pour la main droite,
une pour la main gauche.
dans l'une un sou d'argent
pour partir le dimanche
et dans l'autre un sou d'or
pour payer le passage.
Nous irons au pays
où tout le monde chante
des chansons de silence
et des chansons de bruit.
des chansons de soleil
et des chansons de lune,
des chansons de rivière,
des chansons de lumière.
Deux pommes du verger
une verte, une rouge
la verte, un sou d'argent
et la rouge un sou d'or.
Montrez votre main droite,
montrez votre main gauche
la verte n'est pas mûre
et la rouge non plus.
la rouge est patience
et la verte, espérance:
où es-tu, bel automne?
Cherchez, mon petit homme!
Chansonnette
Petit oiseau, que dit le peuplier ?
- Qu'il est amoureux de la lune -
Et l'eau qui soupire à ses pieds ?
- Mais qu'elle aime le peuplier.
Petit oiseau, dis, que chante la terre ?
- Qu'elle aime le fleuve qui fuit -
Et le fleuve, lui, que dit-il ?
- Qu'il est amoureux de la mer.
Et la mer que chante sa voix ?
- Qu'elle aime d'amour un nuage -
Mais le nuage fuit là-bas,
- il aime une étoile en voyage.
L'oiseau sauvage
Ils te prendront, petit oiseau sauvage,
- Père, mon père, je reste au bord du nid.
Ils te prendront, petit oiseau sauvage.
- Père, mon père, notre arbre est trop petit.
Ikls te prendront, petit oiseau sauvage.
- Père, mon père, je reste auprès du nid.
Ils te prendront, petit oiseau sauvage.
- Père, mon père, je vole près d'ici,
Ils te prendront, petit oiseau sauvage.
- Père, mon père, je vois encor le nid !
Ils te prendront, petit oiseau sauvage.
- Père, mon père, que le monde est joli !
Ils te prendront, petit oiseau sauvage.
- Père, mon père, ô mon père, ils m'ont pris !
Chanson joyeuse
Chantons la joyeuse rivière
si belle en abril,
suivons tous le fil
de l'eau
toute vive et toute riante
qui se souvient du temps des ruisseaux
et d'avoir bondi sur les pentes
toute gazouillante
et comme gonflée d'un peuple dòiseaux.
- Voici le Printemps, nous dit-elle,
écoutez la bonne nouvelle,
je viens de l'apprendre au coucou
et le coucou à l'hirondelle,
l'hirondelle l'a portée partout.
Le monde est couleur d' espérance,
tout semble revêtu d'enfance,
tout est léger, joueur et fou,
venez chanter et danser avec nous! -
Et tout a répondu à la bonne nouvelle,
tout a suivi
la joyeuse rivière,
tout a jailli
hors de l'hiver,
tout est vètu de neuf, de clair,
comme pour entreprendre un merveilleux voyage,
comme pour suivre ce nuage
qui navigue, là-haut, dans les eaux bleues du ciel.
Voyage du printemps en route vers l'été
ouvrant nos coeurs à la bonne nouvelle;
le monde est jeune et nous prête ses ailes !
Beau voyage d'avril, beau voyage de mai
où tout est pavoisé de chansons, de lumières.
Heureux qui, comme toi, ô vivace rivière
sait voyager toujours et n'arriver jamais !
Le ramier
Un ruisseau né des pluies d'orage
roucoule devant le jardin
et les pigeons viennent y boire
gonflés d'amour et de vie sage.
Les roses les regardent boire,
roses Lourdes gorgées d'amour,
trop de chair et trop de velours,
les roses les regardent boire.
Et l'aigrette du cyprès se balance
au vent du Sud
et se détourne
vers le passage d'un ramier.
O vent léger,
le ramier ne viendra pas boire...
Mon coeur ne sait où se poser.
La colombe
Petite fille d'autrefois,
te souvient-il du temps
où tu avais peur de perdre ton âme ?
Le temps où tu ouvrais tes doigts
comme un réseau fragile
sur ton coeur tout tremblant
pour la garder captive ?
Quand l'angélus de midi tout là-haut
faisait s'envoler les colombes
ah ! quelle peur de la voir au plus haut
voler belle colombe
au milieu des colombes
et si loin de tes doigts !
Petite fille d'autrefois,
le temps n'est donc plus
de ces frissonnants angélus...
Où donc s'est enfuie la colombe ?
Sonate du matin
Ton ciel d'Avril espérait un vol d'anges,
petit village,
tes lilas bleus caressaient le matin,
ton cimetière était un paisible jardin
et les cyprès le pur élan des tombes
vers un azur qui n'était plus lointain.
Tes pigeons blancs jouaient aux divines colombes
sur ta plaine aux jeunes arbres de printemps,
grêles ramures blondes,
prières du matin, frémissantes offrandes
et chant étincelant.
Et jusqu'à tes joyeuses fumées,
sentiers furtifs vers les grèves du ciel,
et jusqu'à ta rivière,
vif chemin de lumière;
départs heureux, impatiences des ailes
enfin délivrées de la nuit.
Tant de beauté spirituelle
petit village du matin
que l'on croyait voué au seul pain quotidien,
et tant d'art
pour nous jouer cette sonate de Mozart !
Soir de Fête-Dieu
Soir de Fête-Dieu
roses effeuillés,
verdures mouillées,
agonie des fleurs
et cette prière enroulée au coeur.
Soir de Fête-Dieu
et le ruban bleu
de ces saintes filles
noué sur le coeur,
ce ruban trop lourd
sur l'espoir décu des fêtes d'amour.
Soir de Fête-Dieu
ce désir d'amour meurtri dans les roses,
dans la robe en feu des enfants de choeur,
dans la robe en fleur des petites filles,
dans celui, là-bas, qui serre les dents
sous le poids mortel de ce Dieu vivant.
Soir de Fête-Dieu,
roses effeuillées,
verdures mouillées, ce désir peureux,
ce tendre désir blessé dans le soir
aux rayons de feu du lourd ostensoir.
Le beau voyage
Rivière, rivière, arrête-toi,
emmène-nous dans ton voyage,
nous les gens du pauvre village,
les chiens, les poules et les oies.
Nous sommes las de notre terre
et nous voulons voir du pays;
embarque-nous grands et petits
pour faire le tour de la terre.
Nos maisons seront des bateaux
et nos bèches seront des rames,
nous prendront des robes de femmes
comme voilées`à des rameaux.
Nos grands boeufs haleront les barques,
nos ânes chanteront l'amour,
nos lapins joueront du tambour
et nos araignés de la herpe.
Rivière, rivière, nous sommes las
de te voir prendre les nuages
et d'emporter dans tes voyages
le ciel et tout son tralala.
Nous, on est collé à la terre
dans le travail et le fumier,
à présent on veut s'en aller
et quitter la vieille misère.
Qu'on navigue enfin une fois
avec des mains à ne rien faire,
grands et petits, pères et mères,
bercés dans ta robe de soie.
Marguerite la vieille
Marguerite la vieille,
dites, d'où venez-vous?
Tordue comme une souche
et branlant de partout !
- " Je viens du cimetière,
j'y voudrais bien rester:
là-bas sous la bonne herbe
on doit se reposer.
Mon pauvre homme y demeure.
On avait bien trimé;
des cris, de la misère,
des coups et des baisers.
Un enfant chaque année
des grands et des petits.
Je n'en sais plus le nombre
et s'ils sont morts ou vifs.
J'ai lavé des lessives,
j'ai bêché des jardins,
j'ai vendangé des vignes
et je n'ai rien aux doigts,
et je n'ai rien à moi
que du noir et du triste,
de la faim et du froid;
une bête finie...
Quand Dieu viendra me prendre
moi, pauvre dépouillée,
il verra tout de suite
tout le mal qu'on m'a fait.
Le mal sur cette terre
est plus fort que mes mains.
Que le Seigneur me prenne
et qu'il me garde enfin !"
Chant de neige
L'Ange de la géométrie, mon coeur,
Ce matin d'hiver veut nous prendre au piège.
L'Ange étincelant nous ouvre, mon coeur,
Le blanc paradis des cristaux de neige.
Et nous sommes là, fascinés, mon coeur,
Par sa merveilleuse et pure science.
Et nous sommes là, prisonnier, mon coeur,
De son ineffable et cruel silence.
Chant de Noël
Achetons de fiers sabots rouges,
des sabots blancs, des sabots verts,
des sabots gris, des sabots roses
pour la belle nuit de Noël.
Partons faire le tour du monde
vite, vite, voici Noël
à tous les enfants de ce monde
ouvrons le porche bleu du ciel.
Dans leurs sabots ou blancs ou rouges
dans leurs sabots dorés ou verts,
dans leurs sabots ou gris ou roses,
dans leurs sabots couleur de ciel
nous poserons une colombe
fraîche éclose du colombier
apportant pour sauver le monde
un jeune rameau d'olivier.
La nouvelle année
I
Nouvelle année, année nouvelle,
dis-nous, qu'as-tu sous ton bonnet ?
- J'ai quatre Demoiselles
toutes grandes et belles;
la plus jeune en dentelles,
la seconde en épis,
la cadette est en fruits
et la dernière en neige,
voyez le beau cortège !
Nous chantons, nous dansons
la ronde des saisons.
II
Nouvelle année, qu'as-tu dans ta besace ?
Douze garçons tous forts et courageux;
Douze garçons pour vous servir, Madame,
Douze garçons pour vous servir, Monsieur;
Les trois premiers sont souvent en colère,
les trois suivants savent rire et chanter.
Les trois suivants remplissent vos corbeilles,
Monsieur, Madame, et même vos greniers.
Les trois derniers font ce qu'ils ont á faire
tout en pleurant, ils enterrent leur mère.
Ne pleurez plus, holà ! mes douze mois,
morte l'Année, l'Anné vit, me voilà !
Sagesse limousine
Terre, ô terre, ma mère,
Hâtez-vous, il est temps !
Vous ne serez pa prête,
Encore ce printemps.
Là-haut, les oies sauvages
En vain ont appelé.
Ma mère, êtes-vous sourde ?
Vous n'avez pas bougé.
Tous les oiseaux du monde
Vont venir pour leurs nids:
Nous n'aurons pas de feuilles
pour cacher leurs petits.
Et là-bas, dans la plaine,
Ils ont tout achevé !
Fleurs et feuilles, ma mère,
ils ont tout déployé.
Et vous, rien, ô ma mère,
Ne peut vous éveiller !
Votre robe est bien vieille,
Bien vieille et bien trouée.
Mettez-vous à l'ouvrage,
O ma ère, il est temps !
Vous ne serez pa prête,
Encore, ce printemps.
+
Fille, ô fille impatiente,
Laisse les plus pressés,
Les gens du pays pauvre
Ne peuvent rien risquer.
Va voir à la lisière
Nos plus vieux châtaigniers;
S'ils ont gonflé leurs branches,
Nous pourrons commencer.
Regarde bien la branche,
Si tu vois un bourgeon,
Alors, ma fille,
Nous nous préparerons.
Regarde bien, ma fille,
Si quelque feuille est née,
Alors, alors, ma fille,
Nous pourrons travailler.
Quand doucement
s'émeuvent
Les prudents châtaigniers,
Alors, alors, ma fille,
Le printemps a sonné.
Leur profonde sagesse
Mesure terre et ciel,
Et sait découvrir l'heure
Au cadran du soleil.
Allons, allons, ma fille,
Hâtons-nous, il est temps,
Et, dans ma vieille robe,
J'aurai bientôt vingt ans.
Printemps
Déchirante douceur d'une haie d'aubépine
dans l'humaine douleur d'un printemps massacré,
blanche profusion de fragiles étoiles,
candide voie lactée dans la terrestre nuit,
parfum, seul souvenir d'un univers détruit
où tremble le secret des mondes disparus
d'un bonheur végétal de silence et de paix,
de sage volupté dans des terres de mai,
ô terre méconnue et partout profanée,
toi seule te souviens des paradis perdus,
toi seule et les errants amoureux de leur âme,
eux qui voient impuissants monter la mer sournoise
qui déferle âprement sur leur rêve d'amour.
Ah ! te sauverons-nous printemps de notre terre
si frêle et si heurté dans le torrent des mondes
et que naïvement nous rêvons éternel ?
Joies du matin
Accourez, accourez, vives joies du matin.
Beaux arbres s'ébrouant dans l'azur enfantin
et d'un souffle échappant à l'étreinte nocturene,
oiseaux fous d'une aurore, ah ! si lente à mûrir,
angélus échappé d'un clocher taciturne
et tout au bord du coeur se posant pour mourir,
tendre pulsation d'une source dans l'ombre
qui retient une étoile en son creuset d'azur,
élan des peupliers hors du rêve de brume
dans le ruissellement des gouttes de soleil,
échelle de jacob posée au bord du ciel
où frissonne invisible un frais battement d'ailes,
air léger revêtant la terre d'innocence,
souffles purs qui puisez la vie à sa naissance,
enfance d'un jour vierge où l'âme enfin s'éploie,
recomposez pour nous un univers de joie.
Roses
I
Mère, je ne sais quelle rose
au jardin ce matin cueillir ;
la plus tendre est la moins éclose
la plus ardente va mourir.
La plus douce est demi-fermée
mère, mère, comment choisir ;
la plus amoureuse est fanée
et la plus belle est à venir.
II
Rose, belle rose,
voici venir l'amour,
rose, belle rose,
et tu n'as qu'un jour.
Rose, belle rose,
l'amour est venu,
rose, belle rose,
ma rose, où es-tu ?
III
Ce poison lent que tu composes,
rose,
ce parfum, silence et délice
qui se glisse,
caresse et froisse,
jusqu'à l'angoisse,
vers quelle lointaine Arabie,
vers quelle volupté meurtrie
entraîne-t-il mon désir nu
et mon âme triste qui tremble
au bord d'un printemps inconnu ?
IV
Quelque part fleurit une rose
enclose dans l'azur
d'un jour de Mai si pur !
Quelque part un signe d'amour
magiquement l'appelle à la lumière
et délivre, aimantée, son âme prisonnière,
ce parfum, le chant de sa vie,
lisse et baignée de l'harmonie
d'un souverain bonheur...
Quelque part une âme espère, rose,
et lentement se meurt.
V
Etrange ami d'un jour
ton amour
s'est posé sur ma vie
comme l'aile de l'oiseau migrateur
qui se repose une heure
et repart.
Je te donne, au départ,
la rose épanouie
dans la coupe du jour goutte à goutte épuisée,
cette rose attentive à son divin secret,
son rêve qui t'effleure
et sa lente agonie.
VI
Une rose ronde et serrée
prise au jardin de Dulcinée
avec sa goutte de rosée
- ô jeunesse du monde ! -
une rose secrète et ronde.
Et Sancho l'a mise à sa bouche
- elle avait fleuri pour ton coeur
ô Don Quichotte !
La vie se trompe chaque jour
las ! mon triste Seigneur
- et notre amour. -
VII
Et c'est toujours la même rose
qui n'est plus.
Ma Mère me l'avait donnée
un jour de Mai
déjà fanée à peine éclose,
rose mauve de gris ourlée,
et ce parfum
aucune rose
jamais ne l'eut
et le rosier n'est plus...
Pour l'âme
Le chant de l'eau dans l'herbe rare
Du Causse nu, sévère et pur,
Un bouleau dans la pierre avare
Sa fragilité sur l'azur,
Ravissant l'âme délivrée
Aux grâces de l'essentiel
Et la laissant toute enivrée
De clair dénuement et de ciel.
Saint Jean de mon village
Au Docteur Jean Aussenne
et à jean-Christophe
Saint Jean de mon village
mal taillé, mal vêtu,
Toutes le herbes folles,
toutes les filles sages
espèrent vos pieds nus,
vos pas légers de pâtre de village
dans nos chemins perdus.
Nous allons l'allumer, notre grand feu sauvage
et nous danserons tous, saint jean de mon village,
la danse de l'été et des brèves amours,
la danse du soleil et de l'unique jour.
Saint Jean de la Saint Jean et des chevaux de bois
superbement cabrés dans l'azur de l'enfance
et la poussière d'or de la fête votive,
nous avons attendu tout un an votre eau vive
sur les flammes de nos bûchers.
Nous aimerions être purs et fidèles
mais la terre d'ici est grasse et maternelle,
tout est riche de suc et lourd de beaux péchés.
Saint Jean des belles nuits, ayez pitié de nous !
Vous ne nous laisserez, hélas ! qu'un peu de cendre !
Vous nous retrouverez dans un an
bon Saint Jean,
pauvres âmes d'enfants naïvement rebelles
et nos joies en guirlande aux cornes de Satan.
Saint jean, pâtre des lis, délivrez la lumière !
nous savons bien que l'hiver nous attend !
Etoiles
au Docteur G. Rieunau
I
Viens, allons voir la nuit qui sourit au couchant,
La voix du rossignol s'élève souveraine
Et la terre n'est plus dans sa courbe sereine
Qu'un fruit d'amour issu de cet unique chant.
Nous entendrons le soupir de l'eau vive.
De l'herbe en fleur qu'un souffle heureux vient enivrer.
De la mort que la vie a voulu délivrer
Et de la vie, ô mort, que tu retiens captive
Et puis, dans cette nuit du limpide juin,
Blottis dans l'humble paix du terrestre jardin
Des astres, nous suivrons l'ardent troupeay sensible
Sur les voies où le mène un berger invisible.
Oh ! Viens, les belles nuits ne sont pas au sommeil !
La terre nous convie à la danse des mondes,
La même loi d'amour mène leur pure ronde
Et tient magiquement notre coeur en éveil.
Le secret, que la voix du rossignol devine,
Sous nos fronts obstinés tremblera de désir
Et ce qui dort en nous de poussière divine
Rêvera de s'épanouir.
Nous serons dans la nuit deux ombres bienheureuses.
Noyant des univers dans leurs yeux trop étroits
Cependant, pour bercer la pauvre âme peureuse
Si tu veux, nous joindrons les doigts.
II
Ne te tourmente plus de cette neuve étoile :
Ce matin, le soleil a reconquis l'azur.
Béni soit-il, d'avoir sur nous, tendu ce voile
Candide et caressant et d'un vide si pur !
Ce matin, mon amour, est un matin d'enfance
Tout est vif et léger.
Et nous aurons au coeur la jeune confiance
Des arbres du verger.
III
Le matin à nous frémissant d'allégresse,
Oublions cette nuit qui nous laisse accablés:
Rassurons nos regards à la splendeur des blés
Qui balancent au vent leur tranquille richesse.
Cette nuit sans pitié fourmillante des mondes
dans nos âmes a réveillé la vieille peur
Mais le rayonnement de ce matin vainqueur
Nous berce ingénuement dans la paix de ses ondes.
Industrieux matin qui retisse sa toile
D'un bleu naïf sur nos vignes et sur nos bois !
La fanfare des coqs ébranlant nos vieux toits
met en fuite, là-bas, une dernière étoile.
Notre âme que la peur, cette nuit, avait close,
Sent la lourde terreur peu à peu s'apaiser
Tandis que sur nos fronts passe comme un baiser,
Le chant du rossignol éveillant une rose.
Forêts
A Pascale Olivier, déesse.
Quelquefois, dans la nuit, une bête sauvage
galope, en mon sommeil, dans les forêts du songe
et moi, contre son flanc, je vais toute pareille.
Rien ne peut arrêter la course fraternelle
de nos sabots, mis dans un rythme d'amour.
Nous nageons dans le vent comme dans une eau vive,
la neige des torrents porte nos bonds joyeux,
nous traversons les troncs lisses et vaporeux
des hêtres qui n'ont plus leur densité native.
Quelquefois nous luttons, poitrine sur poitrine
mélangeant nos deux corps ductiles et légers,
et nos bouches alors connaissent des baisers
lents et silencieux comme ceux des racines.
Quelquefois nous dansons au repos des clairières
qui sont des lacs de lune ou de douceur stellaire.
Quelquefois nous courons sur de blancs promontoires
dominant des vallées de brouillards accroupis ;
nos sabots font un bruit de fins galets d'ivoire
comme s'ils résonnaient aux rives de la nuit.
Puis l'enivrante odeur d'une source prochaine
oriente nos fronts rayonnants de désir ;
nous buvons à longs traits la force souterraine
et le mystère vif de l'eau à sa naissance,
nous ruisselons de vie allègre et de puissance ;
rien ne peut altérer la souveraine aisance
de nos corps délivrés du lourd passé humain.
O lointains souvenirs des forêts maternelles
qui jaillissent touffus à l'ombre du sommeil,
où le corps libéré se souvient de ses ailes,
où l'âme jeune et nue, ivre de merveilleux,
se rappelle un amour qui enfantait des dieux.
Nocturne
Un seul oiseau, ce soir apprivoise la nuit,
cette lente nuit de septembre
si tendre
avec ses feuilles nues
dans les calmes eaux de la lune,
un pauvre oiseau captif et solitaire,
le vif jet d'eau s'échappant de la terre
comme un secret trop longtemps contenu.
Les arbres du parc se sont tus ;
un seul oiseau, ce soir, s'est souvenu
de l'azur décevant de l'été qui n'est plus.
Son chant fuse, éclatant en fragiles étoiles
et puis, vaincu, se résout en soupirs,
en vaines fleurs de feu qui vont s'évanouir
si loin de tes soleils, azur qui nous ignores.
Pourtant sur des routes d'aurores
notre terre, si belle ce soir,
semble bondissante d'espoir
et cherche obscurément un bonheur à venir.
Chante, jet d'eau têtu, voix prisonnière,
poète jamais las d'un rêve de lumière
qui caresses la nuit d'étincelantes désirs.
Moins bien-aimées
Ce que j'ai vu de plus beau dans ma vie,
c'est vous qui n'avez pas vieilli,
mains de ma vieille mère,
mains qui avez cousu mes beaux souliers d'enfant,
mains qui avez pourvu
aux jours sans pain,
aux jours sans feu,
aux jours sans fêtes,
mains de la pauvreté - ô sources de richesses -
vaillantes mains que rien n'a pu lasser, ô comment vous baiser
sans larmes ?
Mains de lumière,
toujours prêtes à secourir,
mains toujours prêtes à servir,
ô mains bien-aimées de ma mère,
mains de lumière,
m'abandonnerez-vous quand il faudra mourir ?
Complainte de la pauvre fille
La belle dame de la tour
la belle Dame avait sept robes ;
une robe pour chaque jour,
la belle Dame de la tour.
Moi, j'étais une pauvre fille
et je n'avais qu'un tablier,
un tablier trop long, trop court,
le tablier de chaque jour.
Le lundi, la robe des lunes,
le mardi, la robe des brumes ;
et les hommes rêvaient d'amour
devant la Dame de la tour.
Le mercredi, la robe d'or
en faisait un vivant trésor ;
et les hommes tremblaient d'amour
devant la dame de la tour.
Le jeudi, la robe de feu,
le vendredi tout en ciel bleu ;
et les hommes pleuraient d'amour
devant la Dame de la tour.
Le samedi, la robe en fleurs
faisait s'épanouir les coeurs ;
et celui que j'aime d'amour
baisait la dame de la tour.
Et dans sa robe de baisers
le dimanche, elle ensorcelait ;
et les hommes mouraient d'amour
devant la dame de la tour.
Moi, j'étais une pauvre fille,
je n'avais que ce tablier :
il ne valait rien pour l'amour
le tablier de chaque jour.
Chant de la vieille dame
Triste roi, qu'as-tu fait de tous ces jeunes hommes
que notre amour t'avait donnés ?
Cette pourpre de vie
de tous abandonnée
la voici chaude ensevelie.
- que ferons-nous de nos remords ? -
dans la vaine pourpre des morts.
Nul ne t'avait appris ce qu'il faut de science
et d'amoureuse patience
pour épanouir un printemps,
ni la douce chanson d'angoisse
de la feuille qui se défroisse,
de la fleur qui résiste au vent,
ni la sourde et poignant ivresse
du grain déchiré de tendresse
dans le pli du sillon fervent.
O vieux Roi, qu'as-tu fait de nos vierges lustrées
dont l'amour espérait comme un fruit dans la fleur
ceux que tu as roulés en de poisseux linceuls ?
Le doux reflux du sang qui flagelle leurs veines
eût peut-être nourri quelque vie souveraine
et voici que tu l'as sénilement désespérée...
Qu'as-tu fait de l'amour que nous t'avions donnée ?
Pour la "Valse triste"
I
Puisque
ton âme est triste
ce soir, Sibelius,
veux-tu que je te donne
ma petite plaine d'automne ?
Vois, toute la lumière
vient, ce soir, de la terre.
des peupliers, allégés au bord de la rivière
avec leur ombre blonde allongée à leur pied
comme une âme fragile
tout en feuilles dorées,
comme une âme docile
au signe radieux,
au court moment harmonieux
qu'un souffle détruira...
Sibelius, le Printemps reviendra.
II
Et regarde là-bas
les blés
obstinés,
cette toison de verte et vaillante lumière
au ras de notre plaine,
cette patience souveraine
sur nos pièces de terre
recousues, reprisées par les mains de nos frères :
notre plaine d'automne déjà rêve aux moissons
Sibelius, tous nos blés lèveront.
III
Tous les vivants ruisseaux des Printemps à venir
Sibelius, écoutons-les frémir
sous la sensible écorce de la terre d'ici.
Dans mon pays
la neige n'est qu'un rêve,
une robe de noces qu'on ne porte qu'un jour,
et nous sentons toujours
la terre nue et son travail de sève
sous nos pieds lourds.
Nos pas et nos travaux la creusent et la signent :
c'est la terre du blé et de la folle vigne
et nous l'aimons d'amour.
Notre terre s'en souviendra...
Sibelius, le Printemps reviendra.
La Ville heureuse
Je voudrais bâtir une ville heureuse
avec des arbres et des eaux,
de grands arbres, serrés sur de secrets oiseaux
comme dans nos vieux livres d'images
quand nous étions des enfants sages,
de ces arbres gonflés d'étranges sèves
et qui savaient nourrir et bercer tous nos rêves.
Avec des rues comme des nids tout en rumeurs
où la vie coulerait dense et généreuse
pour ceux qui ont peur du bruit de leur coeur.
avec de très hauts ciels et des espaces purs
charriant de l'azur
et des cargaisons de nuages
au bord de lentes plages.
des solitudes claires
pour les silencieux,
pour tous ceux
qui ne savent pas replier leurs ailes.
Je voudrais bâtir une ville heureuse
et qui déferlerait joyeuse
tout autour de la terre.
L'ion n'y verrait que de beaux visages
pareils et divers comme ceux des dieux
et qui semblent porteurs de messages
mélodieux.
Où êtes-vous, les hardis bâtisseurs,
vous qui saurez vaincre sans armes
et qui naîtrez de quelques fiers rêveurs
et de toutes nos larmes.
Fragments de la
Chanson des regrets
Dans la nuit
Depuis que l'on t'a pris le ciel de ton enfance
Avec ses grands nuages glorieux
Où se glissaient les doigts de Dieu
En purs rayons décelant sa présence,
De Dieu le père avec sa barbe emmêlée comme un nid
Où se glissait innocent et contrit
Le vol divin de tes mains en prière ;
Avec ses arcs-en-ciel précis et vaporeux
que les anges victorieux
Déroulaient en ouvrant leurs ailes de lumière ;
Depuis que la voûte des cieux
ne s'appuie plus sur nos bonnes collines
Et que les étoiles ne sont plus ces fleurs divines
A la mesure de tes yeux,
Tu as perdu le chemin d'espérance
qui te livrait les jardins de la nuit
Et tu pleures, dans l'ombre, un royaume détruit.
A un ange musicien
Lorsque mes yeux vous considèrent
Mains de beauté, mais de lumière
J'ai honte du poids de ma chair.
J'ai honte de mes yeux, j'ai honte de mes lèvres,
J'ai honte des péchés que je n'ai pas commis
Mais que j'ai caressés comme des chiens soumis
En des heures de tristes fièvres.
Me délivrerez-vous de mon corps exécré
Léger comme un baiser et lourd comme une étreinte,
Me délivrerez-vous de l'invincible empreinte
De l'amour de ma chair et du goût du péché ?
Je suis une prison suave et redoutable
Où les désirs têtus viennent tous se heurter
Et je souffre, ma soeur, de vainement lutter
Et d'aimer malgré moi ce vil corps délectable.
Je voudrais ne chérir que mon âme d'enfant
Tout enivrée de ciel et de vie éternelle
Et le goût déchirant de cette chair mortelle
Ramène le péché dans mon corps triomphant.
Mais lorsque je vous considère,
Mains de beauté, mains de lumière,
Mon âme exténuée à la vie se reprend.
Dans l'ombre désolée il lui semble pensive
Sentir sur ses péchés en un frisson d'eau vive
Eclore tendrement sur l'aride chemin
Le poids mélodieux de vos divines mains.
A un cyprès
O cyprès clos et pur à la sensible aigrette
Sur l'azur du ciel d'oc tu t'enlèves sculpté ;
Tu donnes au jardin un air d'éternité
Fin cyprès enivré de nostalgie secrète.
Sur la terre brûlée par l'amour de l'été
D'un fuseau lisse et froid ton ombre impose l'heure
Et la blonde beauté du jour ardent s'apeure
De ce noir javelot dans sa lumière enté.
Parfois les vents du sud émeuvent ton antenne
Fin cyprès exilé au pied de la cévenne
Et, tendrement joueurs, ils semblent te leurre.
Ils chantent rayonnants de grâce élyséenne
Ta divine patrie méditerranéenne
Et l'on entend la mer, dans tes rameaux, pleurer.
Jeux de lune
Vous souvient-il de ce soir de bonheur
où nous allions au clair des étoiles
dans la barque du pêcheur
sans mâts ni voiles,
- en faut-il tant ?
Pêcher la lune dans l'étang ?
La lune a glissé dans nos doigts.
Ce n'était qu'une lune morte,
- en faut-il tant ?
Quand on a le coeur tout brûlant ?
La lune a glissé dans nos doigts,
unis pour la première fois
et qui ne surent se déprendre
Surpris d'une telle douceur.
Vous souvient-il de ce soir de bonheur
où nous allions au clair des étoiles,
dans la barque du pêcheur
sans mâts ni voiles ? -
Noyer nos deux coeurs dans l'étang ?
Mesure
J'ai le désir, ce soir, d'un bonheur inconnu
Qui ne peut être en toi ô mon pauvre village !
Tu n'es à mes yeux las qu'un vieux livre d'images
Trop longtemps feuilleté et trop longtemps relu.
J'ai le dégoût, ce soir, de ta vie lente et morne,
De ta plaine endormie, de ton horizon clos,
De tes noires maisons accroupies au repos
Etroitement serrées, en d'immuables bornes.
Je te voudrais ouvert comme un port au matin
Tout frissonnant d'espoirs, de bateaux en partance.
Tout chanterait alors l'heureuse délivrance
Du joug quotidien dans l'azur du lointain.
Je te voudrais brillant comme une ville heureuse,
De guirlandes de fleurs parant ses folles nuits,
Enivré de chansons, de rires et de bruits
Et nourri chaque jour de vie neuve et joyeuse.
Mais tu es là, terne et fermé, toujours pareil,
Ancré dans tes sillons, tes prudentes routines,
A peine curieux des grand'villes voisines,
Avide seulement de pluie et de soleil.
Tu es fait pour le pain, pour le vin, pour la laine,
Pour des bonheurs précis , limités et certains,
Ton horizon étroit replie les désirs vains
Et limite les joies au cercle de la plaine.
Tu bornes ton destin au rythme essentiel
A la faim, à la soif, aux humbles servitudes
Qui t'imposent la loi des vieilles habitudes
Et mesurent ta vie à la courbe du ciel.
Et c'est pourquoi, toujours, ô mon pauvre village,
Ton austère beauté me ramène vers toi :
De nouveau tendrement, j'aime ta dure loi
Et les feuillets usés de ton livre d'images.
Le pays perdu
Quand vous baisez ces mains que la vie a froissées,
quand vous abandonnez vos plus chères pensées
entre ces lentes mains, soeurs des ailes blessées,
sur l'eau morte des temps affleure un souvenir.
Je retrouve un moment une vie abolie,
je revoie deux bouleaux au bord d'une eau polie
tendrement curieux de leur double reflet.
Leurs racines célaient au secret de la terre
les sourds cheminements où se cherchaient leur sève,
le poids léger du ciel leur jetait un oiseau
et dans ses chants d'azur frissonnaient leurs deux rêves
tandis qu'un souffle errant caressait de lumière
l'effusive douceur qui mêlait leurs rameaux.
Plus rien n'aborde en moi de cette obscure vie,
L'éclair du souvenir n'a surpris l'eau polie
que le temps d'un baiser.
Lointain rêve
Mon Dieu, qu'il sera doux d'être une vieille dame
avec des cheveux blancs très flous,
avec des robes d'un gris mauve
comme les ramiers de septembre,
avec des joues un peu froissées
comme les roses de novembre
dans le jardin abandonné.
Avec un coeur tout apaisé
et qui ne sera plus tremblant
comme une herbe battue de vent.
Mon Dieu, qu'il sera doux d'être une vieille dame,
assise à l'ombre de sa vie,
avec de fines mains pâlies
et jointes sur des souvenirs,
avec de lentes mains lassées
comme deux ailes repliées
sur le pur silence de l'âme.
La pauvre morte
Quand le Prince viendra, adieu ! je serai morte
- Beau jeune homme étourdi s'est trompé de saison -
Tu viendras quand sur moi on fermera la porte,
La porte de la vie et de l'humble maison.
Je tissais pour tes pieds un doux tapis de laine,
Je tissais pour tes yeux un doux tapis de fleurs.
Mais le soir est venu qui a noyé la plaine,
Mais la nuit est venue qui a noyé mon coeur.
Tu n'es pas le soleil, je ne suis pas la rose ;
Tous deux suavement accordent leur plaisir :
Tu resteras muet devant ma porte close
Et je n'aurai pas su le nom de mon désir.
Mai 1933
Le poème des bonheurs perdus
Non, ce n'est pas ta jeunesse
que je pleure,
J'aurais voulu t'aimer à l'heure
où la vie blesse,
à cette heure où l'on sait enfin, que l'on est seul.
Oui, c'est alors que je serais venue
moi, l'inconnue
qui dormais dans ton coeur.
J'aurais eu ton regret pris aux filets du rêve
quelquefois, quand tu aurais eu soif d'eau bleue ;
J'aurais eu la caresse
de tes mains sur mes yeux
quelquefois, quand tu aurais eu faim de tendresse.
Assise à tes pieds, dans ton ombre
j'aurais été la timide soeur de tes songes
et tu les aurais baisés sur mon front.
J'aurais eu le secret frison
de ta voix
prise à la magie d'un poème
alors, j'aurais su que tu m'aimes...
Et tu aurais su que je t'aime
à ma joie effleurant tes doigts...
Fin décembre 1937
Berceuse pour mon ami
Légère feuille de bouleau
ton enfantin sommeil qui se mire dans l'eau
et se joue aux rideaux d'une lune indolente,
ton sommeil lisse et frais qu'aucun souci ne hante
prête-le moi, ce soir, ton sommeil de lutin
pour de beaux yeux de brume et de lointain,
les yeux de mon ami toujours clos sur des larmes.
Légère feuille de bouleau,
si sage dans la paix de la lune et de l'eau,
enchante-le de ton fragile charme,
emporte-le dans ton royaume aérien :
que l'eau de tes reflets caresse ses paupières
comme autrefois les baisers de sa mère
ou le souffle d'amour de son ange gardien.
Réalmont, 25 août 1939.
Pleureuse
Pleureuse, qui convoies obstinément ton mort
Loin des rives de la lumière,
Renonce à l'émouvoir au secret du suaire,
Qu'une paix sans défaut le mène à l'autre bord.
Laisse-le dériver aux brises inconnues,
Ne l'importune pas de souvenir glacé,
Laisse le bon sommeil détruire le passé,
Et le conduire au seuil de neuves avenues.
Que l'eau pure du temps, seule, le vivifie,
Que pour lui se distille un nombreux devenir
Puisque tes vaines mains ne surent retenir
Celui qui s'évada, Pleureuse, de ta vie.
Réalmont, 21 août 1939
Quelqu'un
Quelqu'un d'un doigt léger m'a touchée à l'épaule...
Je me suis retournée mais il s'était enfui ;
Peut-être es-tu celui que je n'espérais plus
et dont le souvenir confus
trouble encor quelquefois le miroir de mes songes ?
Ou bien
L'Ange gardien de mon âme d'enfant
alors que résonnait aux jardins du Printemps
le doux éclat de nos deux rires ;
je froissais quelquefois tes ailes dans nos jeux,
blanches ailes au reflet bleu
comme tes yeux, comme mes yeux,
comme l'enfantine journée,
Viens-tu, comme autrefois, poser mes pieds lassés
sur la divine échelle où palpitaient les anges ?
nous la sentions vibrer d'amour pur sous nos doigts,
mais c'était le temps d'autrefois...
Ou bien
es-tu tout simplement celle que chaque jour j'attends,
la patiente Silencieuse,
avec le fil aiguisé de ta faux
dissimulé derrière ton épaule ?...
Est-ce donc en ce soir d'automne
et dans sa fragile beauté
qu'il faut partir pour l'incertain voyage ?
O Mère du sommeil, prends-moi donc par la main,
ne faisons pas de bruit et ne troublons personne.
partons comme s'envole une feuille en automne.
Réalmont, 7 octobre 1943
Fin
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