Peignot (Colette) 1903-1938
Colette Peignot
1903-1938
- Georges Bataille
Poèmes empruntés au site Mémoire du vent
Je l'ai vue
Je l'ai vue - cette fois je l'ai vue
où ? à la limite de l'aube
et de la nuit
l'aube du jardin
la nuit de la chambre
avec un sourire qui craque
une patience d'ange
elle m'attend
Et je le sais bien
Puis d'une voix lointaine
elle m'a dit
Ah mais non
Tu ne deviendras pas folle
Entends-tu, tu ne te conduiras pas comme cela,
Tu feras ceci et cela. Elle parlait parlait sans que je ne
comprenne plus rien
Je la suivais malgré moi
Dans un froufrou de soie une robe à traîne avec beaucoup de
volants qui rebondissaient sur chaque marche.
elle a disparu
brillante bruissante
par un escalier étroit
et délabré
En haut
c'était le rayon d'hommes, des milliers de vêtements
Une pièce toujours fermée, surchauffée
Seule présente vivante :
elle
elle parcourait les espaces vides entre les mannequins
portant tous son masque.
Le corbeau
C’était dans la forêt
le silence et le secret
d’une étoile à multiples rayons.
Loin, à l’orée du bois
dans cette allée
que des arbres bas
couvrent en arceau
un enfant passa
perdu
effrayé, émerveillé de me voir
comme je l’apercevais lui-même
tout enchâssé dans une sphère à flocons de neige.
Les tourbillons nous rapprochaient
comme pour se jouer de lui et de moi.
Un soleil violet, hors d’usage
et des lueurs d’orage
nous glaçaient d’épouvante.
Les fées et les ogres se disputant décidément
notre commune angoisse
voulurent que la foudre déchirât
non loin de là
un grand arbre
qui s’ouvrit
comme un ventre.
Je bramai.
L’enfant, jambes nues zébrées de froid et capuchon
bien réel (à tordre)
rouvrit les yeux.
A ma vue, il s’enfuit.
Renonçant à le poursuivre
ramassant dans l’ornière un étrange destin
somme toute fort logique
je rebroussai mon chemin
« comme si de rien n’était »
mais je sentais à mon épaule
ce frôlement lourd et discret
de l’oiseau aux ailes noires
et le considérant avec douceur
j’eusse voulût que partout il m’accompagnât et
toujours me précédât
comme un chevalier son héraut.
De plus en plus perdue
heurtant les pierres
glissant sur les feuilles mortes
m’enlisant dans la vase d’un étang
j’arrivai à une maison abandonnée
un puits de mousse et vert de gris
un seuil défoncé
j’entrai.
Le papier à fleurs et moisi
ondulait par vagues
vers un plancher pourri
une cheminée béante
exhibait les traces encore intactes d’un feu éteint
cendres, tibias calcinés de frênes et de bouleaux.
Je poussais des portes sans gonds
dont la chute me terrifiait
j’ouvrais des fenêtres sans carreaux
comme si l’air me manquait.
Enfin, je montai un escalier dérisoire.
Les murs, couverts de graffitis étranges, inconnus
jamais vu
mettaient ma vie à nue
avec mon nom en toutes lettres mêlé à des crimes :
« et de quel droit ?
du droit des pauvres ».
Dans ce grenier souillé
l’oiseau me rejoignit
de son cri
pour fouailler les vivants
de son bec
pour dépecer les morts
l’ombre noire projetée sur moi
semblait élire une proie
La nuit ma trouvée
étranglée au fond du bois
Elle m’a enveloppée d’un halo de lune
et bercée dans la brume
une brume blanche, mouvante et givrée :
« je connais ton étoile
va et suis-la
Cet être sans nom
renié tour à tour
par la nuit et le jour
ne peut rien contre toi
et ne te ressemble pas
crois-moi
Lorsque demain à l’aube
ta tête sera jetée
au panier des guillotinés
souviens-toi
Assassin
Que toi seul
as bu à mon sein
« tout le lait de la tendresse humaine »
D'où viens-tu
D’où viens-tu avec ton cœur
déchiré aux ronces du chemin.
Les mains calleuses de casseur de pierre
et ta tête gonflée comme une
outre piquée ?
.
Nous sommes ceux qui crient dans le désert
qui hurlent à la lune.
.
Je le sens bien maintenant : « mon devoir m’est remis. » Mais
lequel exactement ?
C’est parfois si lourd et si dur que je voudrais courir dans la
Campagne.
Nager dans la rivière
oublier tout ce qui fut, oublier l’enfance sordide et timorée.
Le vendredi saint, le mercredi des cendres.
l’enfance toute endeuillée à odeur de crêpe et de naphtaline
L’adolescence hâve et tourmentée.
Les mains d’anémiée.
Oublier le sublime et l’infâme
Les gestes hiératiques
Les grimaces démoniaques.
Oublier
Tout élan falsifié
Tout espoir étouffé
Ce goût de cendre
Oublier qu’à vouloir tout
on ne peut rien
Vivre enfin
« Ni tourmentante
Ni tourmentée »
Remonter le cours des fleuves
Retrouver les sources des montagnes
les femmes les vrais hommes travailleurs
qui enfantent
moissonnant
M’étendre dans les prairies
Quitter ce climat
Ses dunes, ses landes sablonneuses, cette grisaille et
ses déserts artificiels,
Ce désespoir dont on fait vertu,
Ce désespoir qui se boit
se sirote à la terrasse des cafés
s’édite… et ne demanderait qu’à nourrir très bien son homme
Vivre enfin
Sans s’accuser
ni se justifier
Victime
ou coupable
comment dire ?
Un tremblement de terre m’a dévastée
.
On t’a mordu l’âme
Enfant !
Et ces cris et ces plaintes
Et cette faiblesse native
Oui –
Et s’ils ont vu mes larmes
Que ma tête s’enfonce
jusqu’à toucher
le bois
et la terre
texte établi par J. Peignot et le collectif Change
Editions Pauvert
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