Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Perdriel-Vaissière (Jeanne)

Jeanne perdriel-Vayssière

 

Ne pleurez pas femmes en noir!

 

Pour l'album de la "Journée du Finistère"

 

Puisqu'ils ne pouvaient pas emporter leur presqu'ile

Avec ses bas chemins tout creusés pour l'affût,

Ses Menez rocailleux, griffés d'ajoncs hostiles,

Ses vallons retranchés, ses milliers de talus;

 

Puisqu'ils ne pouvaient pas rouler à la frontière

Les monstres de Pen-Tir et les géants du Raz

Et tendre, comme un rets de ronciers et de pierres,

Les récifs de l'Armor, les forêts de l'Arc'hoat,

 

Ceux qui savent des flots, du roc et des calvaires,

Comment croire et durer, comment vivre et souffrir,

Fils d'un sol entêté, les gars du Finistère

Ont offert leur poitrine et sont venus mourir.

 

Ils arrivaient: cités, faubourgs, châteaux, campagnes.

Les uns portent du pain noué dans un mouchoir,

D'autres, des léonards, qu'un vicaire accompagne

Ont un grand Sacré-Coeur peint sur leur gilet noir;

 

Ils viennent de la côte et sente la saumure,

Alourdis de sabots, leur béret sur les yeux,

Ils montent des vallons où l'Isole murmure,

Feutres bouclés d'argent, velours, et chupens bleus;

 

Ils traînent derrière eux, comme pour une offrande,

Les chevaux de Morlaix et de Ploudalmézeau,

Hier encor dansant, bondissant sur la lande

Avec le vent du large en plein dans leurs naseaux;

 

Tout ce pays levé s'avance, bien en ordre.

Vois le hérissement de nos caps, ô Teuton!

Mesure le granit sur lequel tu vas mordre,

Passe, si tu le peux, sur le corps des Bretons!

 

*

 

Eux encore, eux toujours aux tournants les plus rudes:

- "Tenez bon! mes enfants, les bretons vont charger!"

Eux, comme un ouragan sous l'enfer de Dixmude,

A l'abordage, entrant dans l'immortalité!

 

Eux, debout sur le pont des navires en flammes:

- " Vive la France!..." Eux, qu'aux rivages étrangers,

Les roses, les parfums et les larmes des femmes,

Ont, comme des dieux morts, embaumés et vengés!

 

*

 

Ne pleurez pas, femmes en noir, l'heure est trop grande!

Ce crêpe, sur vos fronts, flotte comme un drapeau,

Il est, à la victoire, une sombre guirlande,

Baisez sur les plis neufs l'âme de vos héros!

 

A vous voir, dans sa chair qui se révolte et tremble,

Chacune d'entre nous se dit: à quand mon tour?

Nos angoisses, vos deuils, élevons-les ensemble,

Trempons nos faibles coeurs dans un plus large amour!

 

Restons debout, haussant jusqu'à notre courage

Ces tout jeunes enfants dans nos bras abrités;

Sur nos mains, aujourd'hui, pèse leur héritage:

Qu'ils apprennent de nous à savoir le porter.

 

Pen-Hat, en Camaret.

Septembre 1915

 

 

Noël aux Blessés

 

Pour les blessés des salles 5 et 9.

Hôpital de la marine, Brest.

 

Soldats, lorsque ceux de mon âge étaient petits,

Ils écoutaient, grimpés aux genoux de leur père:

" Baneilles, Champigny, Patay, Sedan, Paris..."

Ils tremblaient de douleur, de honte et de colère.

 

Etre fils de vaincus pesaient sur nos poitrines,

Devant nous s'effarait, rouge, la vision

Des soleils poignardés, des gloires qui déclinent...

Et comme elle emplissait nos yeux, nous les baissions.

 

Quel miracle a passé? l'impérieuse haleine

Souffle, hâte la vie en notre sang qui bout...

Au pressoir, vignerons, la vendange est prochaine.

Déjà nos fils n'ont plus les mêmes yeux que nous!

 

Regardez-les, eux, votre amour, votre espérance,

Eux dont vous défendez le pain en vous battant,

Ils sont sûrs, ils appuient à vous leur confiance:

Quelle fierté s'allume en leurs yeux innocents!

 

Cette fierté, soldats, c'est votre oeuvre: plus belle

Que les chants, les discours, les palmes, les présents,

Je vous l'apporte, gardez-la! voyez en elle

Votre gloire, le prix sacré de votre sang!

 

Vous me repousseriez si, devant vos blessures,

Je gémissais, plaintive, et d'un coeur affaibli,

Non! à votre vertu je me hausse et mesure.

Selon votre grandeur, celle de mon pays!

 

Salut, ô faces balafrées,

Bras amputés, pieds en lambeaux,

Muscles rompus, chairs déchirées,

Haillons pareils à des drapeaux,

C'est  vous seuls que nous trouvons beaux!

Salut et Noël!

                       Vers la gloire,

Astre du mage et du berger,

Sois leur étoile, conduis-les!

Et vous, Seigneur, quand la victoire,

Rude vierge qui se débat,

Par eux sera prise à pleins bras,

Pour Noël prochain, je Vous prie,

A leur foyer, ramenez-les!

Dans la douceur de leur Patrie,

Donnez-leur, - Vous la leur devrez

Car, pour nous, ils l'auront conquise, -

La Paix que vous avez promise

Aux gens de bonne volonté!

 

Décembre 1914

 

 

Jean Thésée

Poète et soldat, mort au service de la France à l'âge de 19 ans.

 

Entre tes doigts, le vers courbait ses joncs flexibles,

Et ce n'est qu'à travers leur réseau frémissant

Que nous pouvions surprendre, ombrageux et sensible,

Le rythme de ton coeur, farouche adolescent!

 

Une blanche fierté qui point ne condescend

Te gardait, - rien ne vaut qui nous soit accessible, -

Et, du cadre où la vie inscrit des jours paisibles,

Ton esprit s'évadait, obstinément absent.

 

Sans doute, tourmenté par un obscur génie,

Tu savais!... au versant des moissons infinies

Ton matin se chargeait d'un épi déjà mûr,

 

Et nous croyions voir luire une gloire nouvelle

Quand, distrait, tu tournais vers l'Aurore Eternelle

Ton visage orgueilleux et pur!

 

In Memoriam

 

Le toit sur la hauteur, 1923



17/03/2014
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