Perdriel-Vaissière (Jeanne) 1870-1951
(Pseudo: Saint-Cygne)
(1870-1951)
L'été
Ecoute, c'est demain l'été; sens avec moi
Le goût de ce seul mot « l'été »... les roses pourpres,
La résine âpre et balsamique sur nos doigts,
L'héliotrope — odeur de vanille et de musc, —
Et, tissant avec le velours de son feuillage
La base des parfums dont l'intensité croît.
L'acre géranium dont la tiédeur propage
Une odeur de chair blonde et de miel à la fois.
Ce soir, dans la vallée ouverte sur la mer,
Près des sources dont se gorgèrent les ciguës,
La violente odeur des foins imprègne l'air
Et l'aspérule y joint des senteurs ambiguës.
Pénétrante, portée au large par le vent.
Chaude encor du désir accompli de la terre,
L'essence de l'été, sur ton front solitaire,
Peut-être, coulera son trouble enivrement :
Vague imprévue au flanc du bateau déferlée,
Saveur de volupté par ta lèvre goûtée,
Ressouvenir aigu des caresses passées
Et d'un visage ardent que pâlissait l'amour.
L'été ! deux mains vers toi, appelant ton retour,
Deux mains dont la chaleur bleuit encor les veines,
Deux mains dont tu comptais les bagues, confondant
Les gemmes qui dormaient et les ongles vivants.
L'été ! ta vision de la nature est vaine
Et j'ai gardé la clef du jardin qui t'attend:
C'est le jardin des lys, c'est le thème éclatant,
J'ai répandu sur moi sa musique amoureuse,
J'ai pressé sa douceur ardente sur mon cœur,
Je t'offre les frissons de la saison heureuse,
Cueille-la tout entière en une seule fleur !
L'été ! combien d'étés sentirons-nous encor ?
Il y a la douleur, la vieillesse, la mort...
La première est déjà l'hôtesse familière,
Les autres pousseront la porte quelque soir ;
Goûtons-nous assez fort la vivante lumière,
Que nos yeux sont si près — qui sait? — de ne plus voir?
Tous les divins instants que nous avons su vivre.
Les mots extasiés que tu n'entendis pas,
Ces mots, trop rayonnants pour condescendre au livre.
Et que pourtant je sais, et que nul ne dira,
Hallucinant fardeau, frissonnantes argiles.
Ce soir, se font si lourds que mon âme vacille,..
— Nocturne été ! mortels parfums vertigineux !
Ivresse des foins mûrs et souplesse des arbres ! —
Je me sens le sculpteur écrasé sous le marbre
Par la gestation impossible des dieux ! .
Celles qui attendent.
Epitre
La voici donc l'heure attendue et préparée,
L'heure par vous, ma sœur, âprement désirée.
L'heure libre où, dans la vierge lueur du jour,
Vous aviez résolu d'aller à votre amour.
Un hostile destin brusquement vous oppresse.
Attache un nœud de fer à vos pas libérés.
Et, parce qu'il devait tinter dans l'allégresse :
Jamais encor, ma sœur, vous n'avez tant pleuré.
Quelquefois, essuyant l'ambre de vos paupières.
Prenant le paysage attentif à témoin,
Comme un enfant pensif, vous regardez au loin ;
L'automne d'or poudroie en subtile lumière,
L'eau se moire au dessin des bateaux reflétés.
Et votre passion ressuscite l'été.
La Saint-Pierre allumait sur la Pointe-Espagnole,
Dans les ajoncs séchés, l'éclat païen des feux,
Et vers vous, s'allongeant comme vers une idole.
La flamme de l'amour montait, plus forte qu'eux.
Votre cœur primitif et vos sens de faunesse,
Pour la première fois ensemble subjugués,
Rejoignaient les courants tout neufs de leurs ivresses
Et vos lèvres tremblaient, brûlantes de caresses.
Sous des verbes nouveaux au présent conjugués.
Vous n'aviez ni l'odeur acide des verveines.
Ni le goût de la menthe aux mordantes fraîcheurs,
Ni le miel que tiédit le buisson du troëne.
Mais l'aurore pâmé des seringas en fleurs.
Et sans remords, sans souvenirs, telle un avare
Par le ruissellement de l'or fanatisé.
Vous saisissez, avec une ardeur de barbare,
Votre rêve obsédant, enfin réalisé !
Puisque ce souvenir, inscrit au paysage,
Prolonge dans vos yeux le trouble de l'amour,
Et que, vers son angoisse, il penche davantage
Votre profil ombré par des cheveux trop lourds,
Pleurez... l'heure, ce soir, est folle et décevante.
Vous en espériez trop de joie, et c'est pourquoi,
Surprenant votre cœur d'une intime épouvante,
L'émotion brutale a fait trembler vos doigts.
Pleurez... Sur le roman où leur esprit se leurre,
Laissez épiloguer naïfs et curieux:
Qui donc saura jamais pourquoi les femmes pleurent
Et la main qu'il faudrait pour essuyer leurs yeux?
Celles qui attendent.
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Anthologie des Matinées poétiques de la Comédie Française, Tome 2
Louis Payen 1927
Extraits du recueil "Vendée" dans "Le Toit sur la hauteur" (1923)
Les toits des villages, au loin,
Ont la pourpre exquise et déteinte
D'un bouquet de lilas fané.
Ils sont plats sur des maisons claires,
Leurs tuiles courbes et rejointes
Les ont froncés et godronnés;
Tous les murs, pignons ou façades,
Portent un lourd feston de vigne
Et les rameaux droits d'un poirier;
L'ambre liquoreux de l'autome
Coule en or sur le pampre insigne
Et se rouille sur l'espalier.
Les femmes sont brunes; leur bouche -
"Ah! bonnes gens!".." - courbe, attendrie,
Un parler flexible et chantant;
Leurs dents luisent, leurs yeux deviennent,
Quand ils s'étonnent et sourient,
Très doux, très froncés et très grands.
Entre la Loire et la Garonne,
Vêtus de forêts bruissantes,
Gemmé d'innombrables étangs,
Mîtré de chapelles romanes,
Vert comme un ruisseau plein de menthe,
Le pays bocager s'étend.
Agrafe d'émail qui reflète
En les rapprochant deux camées
Dont les profils sont différents,
Il rejoint sur la souple chaîne,
La Bretagne aux lèvres fermées,
La Guyenne aux yeux caressants;
Et dans la forme, dans la race,
Dans la saveur de la contrée
Fleurant la treille et le blé noir,
Se mirent jusqu'à se confondre
Les deux images séparées
Par l'or docile du fermoir.
La Vendée avec ses châteaux de Barbe bleue,
Ses tours de Mélusine et ses étangs païens,
Ses détours et ses creux qui cachent les chemins,
Ses collines, là-bas, sur tant et tant de leirues,
Ce pays t'est livré, son sommeil t'appartient.
Salut, Dame des soirs, chouette mystérieuse
Que ne séduisent point les appeaux et les lacs!
Abandonnant le jour aux bestioles peureuses,
Tu veux pour toi la nuit qu'on ne partage pas.
Dans les branches, la lune est prise par la corne,
La terre est violette où les labours sont frais,
Et l'automne qui tremble au feuillage des ormes,
Apporte un soir glacé comme une urne de grès.
Qui vous exprimera, longues nuits de Vendée,
Sinon l'occulte voix qui chevrotte, s'étend,
Semble à son propre écho se reprendre, attardée,
S'appelle et se répond, seule, indéfiniment?...
Chouette rousse! déjà, les noix sont écalées,
Les ronciers ont mûri le sang noir des saisons,
L'ombre ne bouge plus, de silence oppressée,
C'est l'heure!... insidieux et lugubre frisson!...
Je te salue, accent précis, âme sauvage,
Souveraine des bois et des châteaux hantés,
Marraine de Jean Chouan qui n'avait de bagage
Qu'un coeur rouge, une fourche et sa fidélité!
Vois qui reviens, lointaine et sournoise, des guerres...
Voix qui rôdais autour des partis embusqués
Et que tranchaient, surgis brusquement des clairières,
Le sifflement des faux et le feu des mousquets.
Vendée!... Ecoute: au creux des arbres fatidiques,
Rompant d'un coup l'anneau des jeteuses de sort,
Un cri cherche, tenace, il persiste, il s'applique,
Impérieux amant sur ta bouche qui dort,
Et tandis qu'au boutoir de sa corne aiguisée
La lune a défoncé le feuillage, voici, -
Enfin! - que te délivre, augurale Vendée,
Le long ululement qui possède la nuit.
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