Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Picard (Hélène) 1873-1945: octobre

Hélène Picard

 

Octobre

 

Que nous fumes émus, en ce beau soir d'automne,

Par un peu de fumée errante au bord des toits!...

Nous devinions quelle âme ancienne et monotone

L'exhalait à travers un décor d'autrefois...

 

C'était, dans ces maisons de la campagne tendre,

Le poul secret du temps battant dans le foyer,

Et c'étaient les grillons au petit coeur de cendre

Qui charmaient la douleur d'un pauvre métayer.

 

Il restait du soleil, là-bas, dans des ruines...

Le crépuscule vint comme un semeur d'amour...

Avec les draps séchés sur le thym des collines,

Des femmes, dans leurs bras, emportèrent le jour.

 

Les arbres et les eaux avaient les mê:es vagues,

Dans un même frisson ils coulaient dans le soir...

Les taillis devenaient plus vaporeux, plus vagues...

C'était un paysage invitant à s'asseoir.

 

L'horizon lumineux était comme un rivage,

Et les profondes voix du silence désert,

Des gaves et du tempset du feuillage,

Dans l'automne faisaientle grand bruit de la mer.

 

Là-bas, le ciel était tout d'une cendre mauve,

Une étoile naissait de sa triste douceur...

En face, il était rose à travers l'arceau fauve

Des vignes que ployait un bras de vendangeur...

 

Un chevreau gémissait dans les herbes rougies,

- Que n'entendîmes-nous l'âme d'un tendre cor!...

Les peupliers tremblaient sous un vent d'élégies,

Et l'automne tombait dans une averse d'or.

 

Le couchant fut tout plein de gloire orientale,

On pensait au désert de lumière excédé,

Au Pharaon qui fut, dans l'Egypte fatale,

Par le Sphinx et le Nil à jamais obsédé.

 

Ce fut d'une splendeur toute jaune et funeste,

Le soleil n'était plus qu'une topaze d'or

Qui, liquide, coulait sur la pente céleste...

Et c'était triste et grand à désirer la mort.

 

L'enchantement du soir vint jusqu'à nos demeures,

La fumée, un nuage eurent un vol divin,

Et le large cadran qui regarde les heures,

Sur la ville, assombrit sa face de devin.

 

Ce fut la vie étrange, exquise de la rue

Où passe, en titubant, le rêve des faubourgs,

Ce fut la bonne lampe aux carreaux apparue,

Et les gammes mourant, tout à coup, dans leur cours...

 

Ce fut un chant de fille et d'orgue et de bohême,

La bouteille et le char, le fagot et le pain,

Et ce fut, émouvant, énamouré, suprême,

Cet air de l'ouvrier qui désire le vin.

 

L'Angélus s'endormit sur notre balcon sombre...

La lune comme un seau plongeait dans l'abreuvoir,

Les doux jeux des enfants se reflétaient surl'ombre,

Et leurs cent claires voix fusillaient le beau soir.

 

Oh! les ruisseaux aériens de la feuillée,

Le vieux coeur de Privas qu'un clairon réveillait,

Et l'avenue, au loin, par la lune mouillée,

Et la fontaine avec la cruche qui brillait!...

 

Les fillettes criaient sur les portes ouvertes,

La soupe chaude avait excité leur vigueur;

La nuit était sonore au fond des cages vertes...

L'odeur des résédas sous renversait le coeur...

 

Petite Ville... Beau Pays...

 

(Anthologie des poètes du Midi, 1908, p. 245)

 

Publié dans

La Muse Française 1938C Picard Murat 01.jpg

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22/01/2014
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