Picard (Hélène): Cauchemar
Hélène Picard
Cauchemar
Aux cous, aux mains, aux coeurs, aux yeux, des émeraudes,
Et, dans l'immense bar, pas une autre lueur...
Tu m'écartes de toi, de tes grandes mains chaudes,
Ivre comme un cocher, mais, au smoking, la fleur.
Des nègres, conduisant les danses aboyantes
Qui brisent les jarrets et vident les cerveaux,
Se font passer ton nom, et leurs dents rayonnantes
Te promettent le gin, le ring et les couteaux.
Et, comme tu souris à des garçons très pâles,
Que je veux t'arracher à leurs banjos trop doux,
Nous sommes séparés par de vertes cymbales
Parcourant le bal noir comme des soleils fous.
"... Dites, sombre marin... ce quai de solitude?...
Dorment-ils, sont-ils morts, les Anges de l'alcool
Parmi leur chevelure étincelante et rude?..."
Sirème... Adieu... Brouillard...
Mais, toi, ma Multitude,
Où donc étrangles-tu filles et rossignols?
...C'est toi?... Sous les festons d'une flore funèbre,
Au creux d'un lit profond gardé par le Serpent,
Toi, fils de mon Azur, toi, mon enfantement,
Quoi! tu serais perdu dans la grande ténèbre
D'une femme sans yeux ainsi que le néant?
Indignement, comme j'ai pu souffrir en rêve!
Mais, puisque tes portraits aspirent un air pur,
Oublions le péché entre l'ombre et le mur,
Et que l'âme nocturne, affreuse bulle, crève
Dans la réalité suave de l'azur!
Oublions notre songe aux cinq métamorphoses:
Les éphèbes légers ainsi qu'une vapeur,
L'incube couronné de la mort de ses roses,
Ce Vampire muet au souffle de douceur...
Le dur Satan du cuivre... et vos paupières closes,
Célestes matelots d'un port sans caboteur...
Mais comme les douleurs du coeur sont déloyales!
L'amertume est en nous, ferment originel...
Pour ma rancune sombre, injuste, à l'oeil cruel,
Tu ne quitteras plus les hontes triomphales
Qu'inventa, cette nuit, mon vieux démon charnel.
Pour un mauvais garçon, 1927
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