Picard (Hélène): Les Innocents
Hélène Picard
Les innocents
Comment donc ai-je voulu
Hanter ton monde perdu
Où, malgré moi, je m'étonne?
Tout est si mystérieux.
Quand les yeux cherchent les yeux,
L'âme à l'âme se donne !
J'eus, soudain, tes goûts secrets
Pour la honte et les bouquets,
Pour la sensible gouttière
D'où, lorsque le vent a peur,
Parfois, tombe un pauvre coeur
Auréolé de misère...
J'acceptai docilement,
Comme une autre, son amant,
Le rire du fard barbare,
L'équivoque du passant
Qui, dans sa joie, a du sang,
Dans sa peine, une guitare.
J'acceptai tous ces voyous
Qui sont câlins pour des sous,
Méchants avec les caresses,
J'eus ta délicate horreur
Lorsque danse l'impudeur
Des vierges et des négresses.
J'étais là de bon matin
Pour partager ton butin
Et boire un coup de vin aigre,
Lorsque tes yeux, filets d'or,
Ramenaient l'affreux trésor,
O pirate de la pègre !
Mais, bientôt, j'ai reconnu,
O cher Indigne ingénu
Que mon soupir te délivre,
Et j'ai vite deviné
De quel rire infortuné
Tu payas ton droit de vivre.
Peut-être que ton tourment
Sera mon grand châtiment,
Et, moi, ta rançon très pure...
Déjà, tes tendres antans,
Et tes pluvieux printemps
Ont déchiré ma figure.
Déjà, déjà, j'ai compris
Que j'avais donné le prix
Qu'il fallait... Le prix sévère,
Chut! Pas de mots véhéments,
Les simples sont si charmants!...
Crois-tu à l'âme, mon frère?
Ah! Silence, coeur chéri!
Un ange, a, là-haut, souri,
Car sur notre déchéance,
Un matin de liserons,
Ensemble, nous pleurerons
Une larme d'innocence.
Pour un mauvais garçon (publié en 1927)
Déjà dans "Les Cahiers mensuels Illustrés" de 1926
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