Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Picard (Hélène): Toi

Hélène Picard

 

Toi

 

Comme la Pègre, en toi, est subtile et fatale,

Je n’eus qu’à t’approcher quelques heures pour voir

L’homme soumis aux fleurs d’un corset de percale,

La femme dévouée à quelque tricot noir.

 

Comme, en toi, la Bohème, est abondante et douce,

Je n’eus qu’à te frôler, un instant, pour revoir

Ta jeunesse attablée aux cabarets de mousse

Quand ta pipe donnait quelques Anges au soir…

 

Comme, en mon coeur, ta voix trouble un céleste mâle,

Mon frère, il m’a suffi de prendre, à ton côté,

Un repas sous la hune et le ballon vert pâle

Pour signer avec toi le pacte d’amitié.

 

Comme ton rêve bat, d’une aile ardente et sombre,

Philène que la nuit trouble plus que le jour,

En ses jupes d’azur, toute lampe dans l’ombre,

Et sur ses quatre joues, la Lanterne d’amour…

 

Comme ton ironie est une perle gaie,

Ta folie un château de ballons, de liqueurs,

Comme tu sens la fille et la nuit et la haie,

Et, peut-être, parfois, le bel enfant de choeur…

 

Comme un comptoir t’exalte, un orgue te diffame,

O toi qui es l’ami du rude argent comptant,

Et faible, aussi, mon Dieu, comme une pauvre femme,

Et pire, ma chérie, ô toi qui pleures tant!…

 

- Ah?… - …Comme tu es chaud, pervers, cruel et tendre,

Charmant… - Cause toujours… - …Mystique à ta façon,

Que tu veux racheter ta vie et te défendre

- Nom de Dieu!… - …Jusqu’au bout, de moi, mauvais garçon…

 

Comme tu casses tout par rigueur éperdue,

Bien qu’un affreux remords soit ton plus cher hamac,

Comme, pour trente sous, tu m’as dix fois vendue,

Pour trente sous de gin, de pluie ou de tabac…

 

Comme tu es toujours en fuite sous la lune

Ainsi que le mulot velouté par le vent,

Comme tu m’es plus cher que tout, ô ma rancune,

Ma honte caressée et mon malheur vivant…

 

Comme, ô mon Dieu, la nuit que je te dois est faite

De tes assassinats avortés et divins,

De l’intense, chétive et chaste violette

Qu’à tes apaches noirs, offrent tes Séraphins…

 

Comme, en somme, tu es unique, ô détestable,

Et l’amant de la pluie au printemps des fortifs,

Comme toi seul sais faire un crime abominable

Avec un pur soupir et deux bluets naïfs…

 

Comme, multiple vent, tu me fais frémir toute

Ainsi que la feuillée et la Dame de coeur,

Comme tu es ma plus tragique banqueroute,

O bar où j’ai joué mon dernier pot de fleur!…

 

Comme… - Ben, quoi, encore?… - Oh! comme tu rachètes

Trop de bravade avec ton cri si inquiet,

Et comme, tous les deux… - …On crèvera poètes

Entre cinq sous d’amour et un petit bouquet…

 

- Comme tes yeux sont durs de légère lumière,

Comme, jamais, nous n’avons pu nous dire: “Vous”,

Comme tu pourrais être, avec ta mine altière

En ton rire un peu bas, le Roi des voyous…

 

- Mieux ça. Bravo!… Alors… - Eh! bien, alors… - On s’aime.

 

Pour un mauvais garçon (1927)



24/01/2014
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