Delarue-Mardrus: Derniers poèmes (dans Choix de poèmes) 1951
Derniers poèmes
(Dans Choix de Poèmes,1951, Lemerre, p. 97 et suivantes)
Claustrophobie
Je voudrais m'en aller de la maison hostile
Où des drames se sont produits,
Je voudrais m'en aller de la petite ville
Où j'ai tremblé des jours, des nuits.
Je voudrais m'en aller de l'ère qui s'annonce
Et qui n'est pas faite pour moi.
Je voudrais m'en aller du rêve où je m'enfonce,
Cauchemar où mon âme a froid.
Je voudrais m'en aller, trop longtemps exilée,
Pleine de peur et de dégoût,
Vieux corps désespéré, Vieille âme inconsolée...
M'en aller ? Mais pour aller où ?
Distances
Que longue sous les fleurs la route à parcourir
Entre l'enfance et la jeunesse !
Que de temps, elle met, cette enfance à mourir
Avant qu'un nouvel être naisse !
Longe aussi la jeunesse et tout ce qui la suit
De maturité séduisante,
Il semble que jamais ne descendra la nuit,
Tant la clarté présente.
Mais, dès que la vieillesse a fait son signe affreux,
Et si loin qu'elle semble encore,
Cette distance-là voici qu'on la dévore
En quelques pas vertigineux.
Nature ! Dieu ! Qui que tu sois, Toute-Puissance
Responsable de notre sort,
Fais qu'elle soit plus courte encore, la distance
Entre ma vieillesse et ma mort ,
Bella Vista
Une fente entre deux maisons
Dans cette rue en face
Me consent juste assez de place
Pour apercevoir les saisons.
Aujourd'hui c'est un bout d'automne
- Et rouge et brun et vert -
Que je vois, et ce ciel couvert
Qu'une branche jaune festonne.
Je songe aux octobres passés
Où, dans l'espace immense,
Je n'en avais jamais assez
De ce qui finit ou commence.
Cet autrefois n'est plus pour moi.
Adieu tout ce que j'aime !
J'ai devant moi l'image même
De mon destin mis à l'étroit.
Quoi ? Cette fente dérisoire
Entre ces deux maisons,
Serait-ce la fin d'une histoire
Riche de tous les horizons ?
Printemps
Un arbre que je vois de loin,
Un oiseau que j'entends à peine,
Le feu dont je ne prends plus soin,
Sur mon dos un peu moins de laine,
Le printemps, pour moi, c'est cela.
Puisqu'il faut que je souffre là
Toujours en dehors de la danse,
Mon Dieu ! Que me resterait-il
De la nature en plein avril
Si je n'avais la souvenance ?
NE VARIETUR
J'ai besoin chaque jour de revoir dans la glace
La triste maigreur de mon corps,
De regarder mes mains dont les gestes sont morts
De sentir qu'en mes genoux la force casse.
J'ai besoin de cela pour savoir qu') présent
Je ne suis qu'une vieille femme,
Car rien n'a révélé jusqu'ici dans mon âme
Ni même sur mes traits cet âge déplaisant.
Je suis jeune en esprit et presque de visage,
Jeune de mes cheveux foncés,
Jeune surtout d'avoir, en dedans, le même âge,
Le même flamboiement qu'en mes plus beaux passés.
C'est ainsi. Quelquefois, oubliant l'existence
Qui m'est faite dorénavant,
Je crois pouvoir bondir à cheval dans le vent,
Car tout mon être reste, à jamais, en partance.
SOUFFRIR
Le mal physique sourd et lourd
Sous lequel on gémit et ploie
N'est pas doté comme la joie
Du don d'échange par l'amour.
Même à l'être cher qui vous aime
On ne le communique pas.
Apprends donc à souffrir tout bas
Dans ta solitude suprême.
PAR MA FENÊTRE OUVERTE...
Par ma fenêtre ouverte où la clarté s'attarde,
Dans la douceur du soir printanier, je regarde...
Chaque arbre, chaque toit qui s'élance dans l'air,
Tel le roc qui finit où commence la mer,
Marque la fin d'un monde au bord de l'autre monde.
Ici la terre et là le vide où, toute ronde,
Cette terre, toupie en marche dans l'éther,
Sans sa pauvre ceinture d'air
Ne serait à son tour qu'une lune inféconde.
Je contemple ce toit et cet arbre, montés
Vers l'insondable énigme et ses immensités.
En bas, la rue est calme et le printemps tranquille.
Rien ne trouble la paix de la petite ville.
On entend au loin un merle. Il fait très beau.
C'est tout.
- Pourquoi mes yeux regardent-ils si haut ?
PÂQUES 1945
Ciel décoloré, Pâques sans lumière,
Citadins soumis au désoeuvement
Qui vont, gourds d'endimanchement,
Revisiter leur promenade coutumière.
Vacances sans but, fête sans plaisir.
Même les oiseaux taisent leur romance.
Et la ville a l'air de moisir
Dans l'humide printemps qui verdit en silence.
VIEILLESSE
Tant d'amis disparus et des miens au tombeau.
C'est déjà ma mort commencée.
Et ne portai-je pas le deuil, morne oripeau,
De ma jeunesse trépassée ?
Avais-je souhaité d'avoir mon âge ? Non.
Je devrais être dans la terre,
Car je deviens par la pensée, un cimetière,
Où ne manque plus que mon nom.
MORTS
Quelquefois ma pensée involontaire sombre
Et s'en va rechercher dans l'oubli, tout là-bas,
Mon enfance éblouie et ma jeunesse sombre.
- O temps ensevelis qui ne reviendront pas !
Tout est mort, aussi bien ces âges que moi-même,
Et tout, à chaque instant, continue à mourir,
Mort violente après les autres, mort suprême
Dans un fleuve de sang qui ne veut pas tarir.
LE SOUVENIR, CE REVENANT...
Le souvenir, ce revenant,
Vient me faire visite,
Puisque ma vie est maintenant,
Comme une Messe, dite.
Je suis seule, ma lampe luit...
Oh ! parle ! Parle encore,
Que ce murmure de minuit
Dure jusqu'à l'aurore !
Château-Gontier, 21 février 1945.
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