Olga Medvedkova: Poèmes (La Kabbale...)
- La pierre posée - En lisant Catulle - Pline l'Ancien - Florence, capella Pazzi
- La femme de Loth - Epochè - Europe - L'hysope - Le prénom - Tireur d'épine
- En quoi l'âme de femme - Je dirai ton nom - Avec ton genou - la nuit - Du haut de ta colline
La pierre posée projette une ombre,
Dans sa fraîcheur humide et sombre
Une plante pousse, de fleurs parée.
Ses branches souples et suaves
Attirent une chèvre aux cornes dorées,
Aux petits sabots liés d’entraves.
Entre ses longues lèvres douces
La plante aux souples branches qui pousse
A l’ombre de la pierre devient
La nourriture de l’enfant.
L’homme vient et prend le lait de chèvre
Au goût un peu amer et mièvre
De cette plante aux branches fières,
À l’ombre fraîche de la pierre.
Il porte le lait à son enfant,
Qui trempe dedans ses lèvres douces,
Et se nourrit en le buvant
De souplesse des jeunes pousses,
De fraîcheur humide de terre,
De la solidité de pierre.
Ainsi il pousse sans malice,
Et dans son corps son âme se tisse,
De la souplesse et de fraîcheur,
De la solidité de cœur,
Qui finalement par voie de lierre
Accède au lait de la prière.
Sa douce voix s’adresse aux cieux –
Ainsi la pierre parle à Dieu.
I.
L’espoir le plus ardent
Et le désespoir le plus odieux …
Est-ce possible de les ressentir en même temps ?
Descendre au fond de l’abîme
En montant au plus haut des cieux ?
Quelle réponse à cela ? Je ne la connais point.
Mais les éprouve tous les deux,
Là même, à l’instant en plongeant
Dans tes yeux sans aucune précaution.
II.
Etre, à la fois, une reine à la salle de festin
Et une esclave muette oubliée à la porte,
Sans permission de quitter cette porte néanmoins:
Voilà où j’en suis ! Les deux à la fois ! Comment ?
Est-ce possible ? Je ne le sais point.
Mais c’est la torture que j’endure.
Les Rois tournent les roues, pleins de rage,
Grincent les Princes, avides des prodiges,
L'Histoire s’avance, entourée de ses Mages,
Rome s'érige sur ses propres vestiges.
Mais pleure l'historien, enfermé dans la cage
Des présages funestes et du corps qui se fige.
A Philippe
C’est l’entonnoir du vin qui coule
Et se mélange avec le lait.
C’est l’œil du roi qui te regarde
De la hauteur de son palais.
Tu grimpes, tu grimpes.
Lui, creuse la voie.
Et ton ardeur lui sert de proie.
Quand la coquille lui sert de voile,
Ce haut cyprès lui sert de mat.
Alors que son meilleur appât –
Cet ange qui dort sur la dalle.
Tiens ! D’immenses dimensions
Démence.
Denses tensions d’enfance.
D’anses et de panses la danse.
Cesse de penser ! Avance !
Ne te penche pas en arrière !
Mince ! Zut ! En absence
De sens, chut !
Une prière…
Arrête-toi, assieds-toi,
Ne bouge plus, ne pense plus.
Oublie tout ce que tu as lu,
Ferme tes yeux, allonge-toi.
Suspends ton souffle, arrête-toi,
Ferme les yeux, pense le vent.
Pense la pluie, allonge-toi,
Ne bouge plus, longtemps, longtemps.
Suspends ton souffle, prends ton temps,
Apprends à tout abandonner,
Prends une branche dans ta main,
Attends avant de raisonner.
Apprends, arrête-toi, suspends.
Pends tes pensées au fil de vent,
Oublie l’ailleurs et le demain,
Oublie ton nom, oublie celui
Qui pend ses rêves au fil de vent,
Donne au suivant ce que tu tiens,
Patiente, arrête-toi, suspends,
Prends une branche dans ta main.
Arrête de penser en vain.
Ton rêve, apprends à l’oublier.
Allonge-toi : ton corps éteint
Saura lui-même pallier.
Ne t’endors pas, ne veille pas,
Ne pense pas, reste allongé,
Suspends et ton souffle et ton pas.
Arrête, évite de plonger
Dans le sommeil, la rêverie,
Ne pense pas, respire à peine,
Ne bouge pas, suspend ton cri,
Tais-toi, essuie tes larmes vaines.
Et cette branche dans ta main,
Tiens-la, regarde-la sans cesse,
Jusqu’à ce que, tout à la fin,
La rose rouge n’y paraisse.
Europe, une autre Belle,
Avec tes pâles épaules,
Vogue sur ton taureau.
Roses sont tes talons.
Quand, gracieuse et frêle,
Tu t’agrippes à sa peau,
D’âge en âge et – telle –
Brises les vagues mornes,
La femelle de Dieu –
Semelle de ses cornes,
Prunelle de ses yeux.
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I
Trempe-moi dans tes bassins,
Frotte de tes frottements.
Lave-moi de ta lavande,
Sans pourtant qu'on te la vende.
Lave-moi de lavements,
Gratte-moi et dans l'attente
De polir tes pavements
Prends-moi au fond de ta tente.
Tant de pans, de bruissements!
Lave de ton lavement,
De ta lave et de lavande,
De ta bonne huile d'amande.
Trempe, trempe dans le sang
Ce que fut jadis enfant,
Romps les liens et les attaches,
Blanchis, efface mes taches.
II
De poussière, de la miette
Qui récite la recette ?
De bouquet et d'arbrisseau,
De suc et de sang le seau.
Au vinaigre et à la laine,
A la pure marjolaine,
A l'hysope et origan,
Contre vents et ouragans.
Un bassin rempli de sang
Est gardé jusqu'au matin.
Trempez-y pour le banquet
De l'hysope le bouquet.
Aspergez de ce mélange
Le rideau, jusqu'à la frange,
Eclaboussez le linteau,
Marquez bien les deux poteaux.
Puis, nul n'entre, nul ne bouge,
Ne franchit la porte rouge,
Nul ne boit ni lait ni vin,
Nul ne sort jusqu'au matin !
III
Qui est pur face à l'impur
De rature et de râpure -
Il fera de la lessive
Dans un vase de l'eau vive.
De la cendre des victimes,
De brûlures légitimes,
En prendra la dose forte,
Mélangera et de sorte
Ajoutera de l'hysope
Et les cornes d'antilope,
Crachera de la salive
Arrosée d'huile d'olive.
Et de cette boisson sainte
Aspergera bien la tente,
De l'entrée jusqu'à la celle,
Ustensiles et vaisselles,
Les couteaux et les fourchettes,
Les bassins et les assiettes
Et les hommes dont le corps
A frôlé un jour la mort.
Qui touche les sépultures
Se mettra devant le pur,
Le pur l'impur lavera,
Ses habits purifiera.
Viendra le septième jour,
Au soir l'impur sera pur
Sous la douche, l'avalanche,
Blanc comme la Neige blanche !
IV
Viendra le septième jour,
Alors s'écriera le Pur,
Il demandera à boire,
Celui qui n'a pas de tare.
Il saura ce qui se passe:
Ils lui offriront la liasse
De l'hysope et une éponge
Sur une lance - rallonge.
Dans du vinaigre trempé
Pour qu'il ne puisse échapper.
La racaille, les impurs
S'amusent à laver le Pur.
Et le Pur dira: Enfin,
Je m'approche de la fin.
Que ce qui est dit se fasse,
Que leur saleté s'efface.
V
Lave-moi de ta salive,
Trempe-moi dans de l'eau vive,
Aveugle, neurasthénique,
Dans ton herbe antiseptique.
Lave! Enlève mes croutes,
Frotte dur et, goutte-à-goutte,
Trie les cris de ma sueur,
Mets dans ton bassin mon coeur.
Trempe-le dans ta mélasse,
Lustre puis rince, décrasse,
Râpe et ponce, à ta guise,
Jusqu'à ce que ce coeur brise.
Et pour ce que cela vaut,
Donne-moi un coeur nouveau,
De ce peu que Tu préserves.
Et, ensuite, ouvre mes lèvres !
Une petite parenthèse
Parmi les thèses des docteurs,
De pâquerettes et de fraises
Et de cerises la douceur.
Et des cerises les brochettes,
Les cueillettes dans les sous-bois,
De fraises de bois, de clochettes,
Pour le sourire de ton Roi.
Derrière ton lit – la cachette,
De quoi jouer aux saints ermites.
Ta tante dit qu’elle est inquiète,
Qui t’opposerait des limites ?
Pas même aveugle ! Ni à l’aise
Dans le préau de ton école :
Que tes camarades sont niaises,
Que c’est plus drôle d’être seule !
Ton dos ne touche pas la chaise –
Voilà l’ascèse des titans!
Les cheveux bien frisés, deux braises –
Les yeux, le port de tête hautain.
Mais que cela ne vous déplaise –
Attendre ? Non ! Que faire alors ?
Treize ans à peine : un beau malaise.
De retour de Rome, tu pleures.
Quand on décide d’être sainte
Sans posséder beaucoup d’atouts –
Il faut un raccourci, la feinte,
Un truc, astuce, passe-partout.
Ces autres, ces champions, martyrs,
Ceux qui grimpaient les falaises
Des Colisées et les faquirs
Qui s’effondraient en exégèse
Qu’attendaient-ils comme salaire ?
Ils ne voulaient qu’être aimés.
Alors ! Tu sais dès lors que faire !
Ton ascenseur est tout trouvé.
Si tu dors à la catéchèse,
La dernière, pourrie, gâtée,
Tu sais monter la note en dièse –
L’amour, eh oui, ça te connaît !
Des épîtres à la Genèse,
Tu sais toujours trouver ton miel,
Tu sais comment monter, Thérèse,
Sur la montagne du Carmel !
I.
Spinario, tireur d’épine,
Ton pied en l’air, ta boucle fine,
Sont des points d’interrogation
Aux temps futurs et aux nations.
Es-tu un dieu ? Eros peut-être ?
Distrait voyou, fidèle traître,
As-tu marché, archer narquois,
Sur la flèche de ton carquois ?
T’es-tu arrêté dans ta course,
T’es-tu assis près de la source,
Offrant aux yeux ton corps – canon ?
Est-ce que Phèdre est ton prénom ?
Est-ce que, pour plaire à ton maître,
Tu tentes d’ôter de ton être
L’écharde ancrée dans ton talon
Ou d’un frelon un aiguillon ?
Savant calcul ou innocence ?
La grâce de l’extrême aisance.
La souple épine de ton dos –
Talon d’Achille est ton cadeau.
II.
Ange accroupi, tireur d’épine,
Ton autre nom est Fidelino.
Serais-tu ce petit berger
Qui, au mépris de tout danger,
Courut délivrer la dépêche
Au pied – une blessure fraîche
Et n’arrêta l’alerte élan
Qu’au pied du mont Capitolin ?
Devins-tu le bronze hellénique
Pour cette conduite héroïque ?
Et pour ne rien citer de plus –
T’appelles-tu Gnaius Martius ?
Qui, simple comme un théorème,
Se joint au signe du carême :
Clair sans aucune traduction,
Un hiéroglyphe d’expiation.
III.
Le jour où, l’oiseau bien rare,
Le grand rabbin de la Navarre
Choisit passer par le Latran
Il y trouva ce bel enfant.
Qu’il lui sembla gracieux, suave,
Dans sa douceur toute concave,
Si parfait – de tête au talon –
Ne pouvant être… qu’Absalom !
Oui, dans sa misérable affaire,
Il reste encore cher au père,
Une équation du sacrifice –
Oh Absalom, mon fils, mon fils…
IV.
Spinario, antique Adam,
Marqué à vif par le serpent,
Oedipe face au pied enflé,
Encerclé dans sa propre plaie.
Avec l’épine dans ta chair
Tu fais l’énigme de l’impair.
C’est pour cela qu’elle te blesse –
Ta force est bien dans ta faiblesse.
En quoi l’âme de femme
Est-elle différente
De l’âme de l’homme ?
En quoi l’âme de l’homme
Est-elle différente
De l’âme de pomme ?
De la paume de la main
De cette âme infâme
Face à la femme en flamme ?
Est-ce qu’une belle âme
Est vraiment différente
De l’âme en panne ?
De cet Adam qui rame
En manque de manne
Et blâme sa dame ?
En quoi l’âme profane
Est-elle différente
De l’âme de l’âne ?
De l’oiseau, de la pomme ?
Du chat, de l’enfant ?
De l’âme du Royaume ?
En quoi l’âme de lame
Serait-elle toute autre
Que l’âme bigame ?
Quelle gamme jouait
Abraham affamé
A l’issue de sa trame ?
En quoi l’âme de l’âme
Est-elle différente
De ce qui entame
Doucement, qui proclame,
Qui sonne, qui donne,
Et qui se fond en larmes ?
Et de Celle, lointaine
Et proche et qui laisse
Espérer qu’Elle pardonne ?
Je dirai Ton nom, Yahvé,
Parce que Tu m’as sauvé,
Tu ne les as pas laissés
Piétiner mon corps blessé.
Quand je T’ai appelé fort,
Tu m’as guéri de mon tort,
Tu m’as sorti de mon trou,
Tu m’as laissé vivre encore.
Que Tes gens à Toi diront
De Ta gloire et de Ton nom,
Quand ne dure qu’un instant
Ta colère dans le temps ?
Quand la vie de Tes enfants
Est Ton souffle bienfaisant,
Quand des larmes de la nuit
Au matin, la joie jaillit.
Et j’ai dit : dans mon palais
Rien ne pourrait m’ébranler,
Car dans Ta grande pitié
Tu m’offres Ton amitié.
Mais quand Tu caches Ta face,
Je frémis dans ma disgrâce,
Là, je crie et je supplie :
Sauve-moi de ma folie !
As-Tu besoin de mon sang ?
Me veux-Tu dans le ravin ?
Transformé en immondice,
Chanterai-je Ta justice ?
Ta tendresse est à outrance :
Mon chagrin devient la danse,
Tu déchires ma tristesse,
Tu m’habilles d’allégresse.
Je ne me tairai plus guère,
Mon âme, guérie, entière,
Mes entrailles et mon cœur
Diront, Abba, Ta grandeur.
Avec ton genou, qui est presque gênant,
Si plein il est, et si vivement saillant,
Avec ta démarche, avec déhanchement,
Avec ton épaule, ton cou et ta main,
Athlète, boxeur, tu avances ton pas,
La terre frémit sous l'effet de ton poids,
Ton corps est drapé d'himation de carmin,
Aux plis de lumière, ton habit de géant.
Tes boucles dorées sont coiffées de rubans,
Tes lèvres d'un Grec et ton iris ardent.
Tu penches ta tête, tu marches en avant,
Tu ouvres le chemin, l'Ange Byzantin.
La nuit
Grand oiseau aux ailes de velours,
Gris papillon, ennemi de patience,
Noir chat montant la garde à rebours,
Ô nuit, pourquoi te ferait-on confiance ?
Du haut de ta colline hautaine,
Tu veilles, fière, sur tes enfants,
Ta lance brille, comme une antenne,
Serrée de masculine main.
Couleur du sable et de la graine,
Tes colonnades ataviques ;
Tu vogues en bateau, la Reine,
Parmi tes serviteurs doriques.
Jusqu’à tes deux portes lointaines,
Jusqu’aux demeures des potiers,
Tu comptes tes vivants, Athènes,
Les habitants de tes quartiers.
Au-delà, royaume de peine,
Tu vocifères pour tes morts,
Tes filles te tissent ta traine,
Tes pies jacassent sur tes bords.
La ville vit de ton haleine,
Jusqu’à la porte ton chiton
Ruissèle de plissures pleines,
Ondule en boucles et pythons.
De là, sous ton regard austère,
Ils partent, tes filles et fils,
De ton manteau – vers les mystères,
De ton plateau – vers Eleusis.
Vitebsk de Chagall
Des petites maisons pour les gens et les bêtes. Les gens vivent surtout sur les toits. Les bêtes, vaches et poissons, sont dans la rue. Les poissons sont comme sont les vaches. L’on joue aussi, à l’occasion, du violon. Le poisson n’a pas besoin d’être dans l’eau pour être. Le coq pour chanter n’a pas besoin d’un corps. L’homme ne s’appuie en marchant que sur la terre. La terre, de toute façon, est trop bleue pour une terre. L’homme et la bête se nourrissent de l’herbe quotidienne. La chemise est rouge comme est rouge le ciel. La palissade est complètement de travers. Et la chèvre est blanche comme immaculée.
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