Renaud (Suzanne)
Suzanne Renaud
1889-1964
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Document emprunté à Radio Prague
L'oiseau bleu
Le soir tombant, comme une cendre mauve et grise,
S'amasse lentement sur la ville indécise ;
Et sur notre âme éteinte, où nul espoir ne luir,
S'amasse lentement la cendre de l'ennui.
Fait de labeur sans charme et d'effort monotone
Ce jour fut un de ceux dont le rêve s'étonne ;
Tout nous est étranger ; rien ne souffre avec nous ;
Et nous cherchons en vain, d'un regard triste et doux,
Un sourire invisible au fond du vide espace...
Ah ! Ce nuage au ciel ; c'est l'oiseau bleu qui passe...
L'oubli
La mémoire s'éveille, inquiète et fidèle,
Et parle au coeur distrait de son émoi passé :
"Ecoute !... Un peu de lune argentait la tonnelle ;
On n'entendait ni pas, ni souffle, ni bruit d'aile ;
Tout semblait, comme vous, tendrement oppressé ;
Ecoute encor !... Je sais les heures en silence,
Où ta douleur saignait ainsi qu'un raisin mûr ;
Je n'ai rien oublié ; tendre magicienne
Je te rends chaque mot d'une lettre ancienne ;
Même, si tu veux, de plus humbles détails :
Un reflet sur le sable, un dessin d'éventail...
Reprends tous ces trésors et leur donne la vie !
Je ne puis, comme un pâtre au revers du talus,
Que nourrir, brin par brin, la flamme à l'agonie... "
Mais le coeur dit tout bas : " Ces choses sont finies ;
Je ne me souviens plus... Je ne me souviens plus."
I - Nocturne
La nuit, la pluie, un peu de vent...
O ma mémoire la plus vraie,
Qu'as-tu recueilli dans ton van ?
Si peu de bon grain, tant d'ivraie...
La nuit, la pluie, un peu de vent...
Triste coeur qui t'en vas rêvant
Ainsi qu'un vagabond avide
Que de fois, caché sous l'auvent,
As-tu trouvé l'auberge vide !
La nuit, la pluie, un peu de vent ...
Ah ! l'espoir a lui bien souvent,
Mais vacillante en est la flamme ;
C'est toujours, après comme avant,
Sur les chemins nus de votre âme
La nuit, la pluie, un peu de vent ...
II
Mon rêve, éveille-toi ! Voici l'heure opportune
Où la rumeur du jour s'éteint...
La jonquille se fane au pré du ciel lointain ;
Mon rêve éveille-toi ! Voici fleurir la lune...
J'ai pris mon humble part de la tâche commune,
J'ai subi mon humble destin !...
Qu'il est doux, sur son lit d'un si mauve satin,
Le corps harmonieux de la colline brune !
Nos espoirs sont pareils à des pas sur la dune
Qu'efface le vent du matin !
Voici qu'à l'horizon un reflet argentin
Fait déjà pressentir les étoiles. Chacune
Va couler, pleur divin, sur l'humaine infortune.
Tout astre est un ami lointain
Qu'implore tristement, dans l'ombre du jardin,
Le jet d'eau scintillant et pâle sous la lune...
Mon rêve, éveille-toi ! Voici l'heure opportune !...
III
Comme un guerrier trahi par sa brillante armure,
Le soir tombe, percé d'un javelot de feu,
Et l'on voit l'horizon s'assombrir peu à peu
Sous le flot empourpré qui fuit de sa blessure...
La Nuit s'approche alors : douce aux vaincus meurtris,
Sur sa funèbre couche elle épand des iris
Et pose, triste ainsi qu'une amante voilée,
Au front blême du Soir ses deux mains étoilées...
La Muse Française 1938
Poèmes
I - Barque
Cette ombre qui vole en silence
Vers un secret chéri d'avance
Comme la flèche du désir
Poursuivant son tendre ravage
Pénètre un frissonnant feuillage
Etoilé d'or et de saphir ;
Et toujours la fluide proie
Se dénoue en perles de joie,
Se prodigue en tremblantes fleurs ;
Et toujours la rame qui glisse
Y recrée un mouvant délice
Et l'aube d'un nouveau bonheur.
II
Ce long soir calme et blanc, tunique sans couture,
D'une fraîcheur de lin vêt toute la nature ;
Sous le ciel incliné comme un tranquille auvent
On entend chuchoter l'épi mûr et le vent ;
Ce soir la Parque rêve, à sa tâche infidèle,
Son noir fuseau s'envole et devient hirondelle.
III
Crépuscule est beau comme ceux d'autrefois ;
La lune encor lointaine irise un peu les toits
Et, fantôme enivrant que le vent tiède apporte,
L'odeur du foin coupé s'en va de porte en porte ;
La nuit vient ; l'angélus tombe sur le hameau
Comme un tremblant appel de l'invisible agneau
Et seule je m'en vais dans la pénombre accrue
Cherchant à mes côtés la forme disparue.
Ah! Sans doute il existe, interdits à nos sens,
D'éblouissants jardins sous les célestes dômes
Où l'âme après la mort par degrés fleurissant
Peut exhaler enfin son plus secret encens,
Mais prends aussi ta part de notre humble royaume,
Vois ! J'ai cueilli pour toi la fleur pâle du soir
Où brille encore un pleur de tristesse et d'espoir
Et je t'offre, à travers l'innombrable mystère,
Cette pauvre douceur des choses de la terre.
IV
Après avoir suivi tant de chemins hagards
Et si souvent saigné au trébuchet des ruses
Et longtemps écouté de grandes voix confuses
Et longtemps fait pleurer d'invisibles regards,
Repose ! L'ombre vient ; la paix dort sur la pierre
Et le vent porte au loin dans l'âme à l'abandon
Cette odeur de silence et de triste pardon
Qu'ont les rose de cimetière.
V - Songes d'hiver
Nous irons vers ces pays
D'incertaine aurore
Où ni les jours ni les nuits
Ne peuvent éclore ;
Où l'aube n'a pour berceau
Qu'infinis espaces
Où le temps comme un vaisseau
Est pris dans les glaces ;
Là ni pleurs, ni champs d'amour,
Ni cris de colère,
Rien que le vol mat et lourd
D'un oiseau polaire ;
Là nos coeurs pourront dormir
Dans le froid silence
Délivrés du souvenir
Et de l'espérance,
Là nous verrons au ciel lent
S'éteindre les astres
Comme un long reflet sanglant
Des humains désastres
Sur des champs toujours vermeils
Où rien ne peut vivre
Que de beaux rêves pareils
A des lys de givre
VI
C'est le jardin sans nom, c'est le jardin sans hôte
Où le rouet des jours s'est tu depuis longtemps
Follement enlacé de liane et de vent
Dans le triste parfum qu'ont les herbes trop hautes ;
L'araignée y suspend sa rosace flottante ;
Là notre enfance morte erre de l'aube au soir,
Notre enfance qui fut fraîche et confuse attente
Et divine buée au cristal de l'espoir.
O printemps ! O passé ! Ombres, sources, dédales !
Le rameau se balance et la fleur prend son vol ;
Il suffit tout à coup d'un poids de rossignol
Pour que pleuvent en nous tant de secrets pétales ;
Mais ce jardin sans nom, mais ce jardin sans porte,
Vasque d'où le bonheur ruisselait à pleins bords
Au parfum doux-amer qu'un vent de songe apporte
Est-il d'avant la vie, est-il d'après la mort ?
La Muse Française 1922
La Muse Française 1926
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