Renée de Brimont : L'Essor (1908)
Renée de Brimont
ou Baronne Antoine de Brimont
L'Essor (1908)
(Je chante)
Je chante un chant qui, tour à tour,
Est gris et terne ou clair et rose ;
Je chante un coeur lourd et morose
Ou vibrant de joie et d'amour ;
Je chante ce qui fait la vie,
Les jours tristes et les jours gais,
Jours de fête et jours fatigués,
Jours de soleil et jours de pluie ;
Je chante le temps qui s'enfuit
Avec tous les lambeaux du rêve...
Car tout sombre dans la grande nuit ;
Je chante la chanson de l'heure
Qui sonne naissance ou trépas,
De l'heure qui ne revient pas,
Qu'on la regrette ou qu'on la pleure ;
Oui, je chante le souvenir
Qui nous fait l'âme plus amère,
Mais je chante aussi la chimère
Des yeux tournés vers l'avenir !
La fantaisie
Elle est déconcertante, elle est capricieuse,
Son charme ensorcelant est souvent mensonger,
Mais ses yeux sont si doux, son pas est si léger,
Elle est si finement irrévérencieuse !...
Des dieux, elle est l'enfant adorée et joyeuse
A qui tout est permis sans crainte et sans danger
Et qui vient ici-bas renverser et changer
Au gré de son humeur, mainte chose ennuyeuse.
Elle s'en prend aux us figés et surannés,
Aux sentiments mesquins des coeurs trop tôt fanés,
A tout ce qui pourrait s'orner d'un peu de grâce.
Elle sème, en passant, le rêve et le désir...
Mais elle est déjà loin lorsqu'on la croit saisir
Et que s'égrène encor son rire dans l'espace !
Hellé s'éveille...
La petit Hellé, lenfant rieuse et drôle,
S'éveille doucement dans ses voiles soyeux ;
Elle bâille - et d'un geste écarte de ses yeux
La boucle ébouriffée et sombre qui les frôle.
Les voiles ont glissé de sa mignonne épaule :
Son buste apparaît nu, délicat, gracieux...
Et voici que s'approche à pas silencieux
Son chat d'Egypte, qui la regarde et qui miaule.
Hellé, se soulevant sur sa couche à demi,
Sourit, tend sa menotte au matinal ami,
Veut l'attirer contre elle et chatouille ses pattes ;
Mais l'esclave, qui craint les yeux du matou blanc,
Prompte, a saisi l'enfant - et, sur son bras tremblant,
L'emporte jusqu'au bain parfumé d'aromates.
Byblis
Byblis, fiévreusement, marche depuis laurore.
Qu'est devenu Caunos, le frère bien-aimé ?
Ses cris frappent en vain le bois inanimé,
Mais elle ne veut pas désespérer encore.
"Caunos, frère chéri, toi que mon âme adore,
Pourquoi n'entendre plus ton rire accoutumé ?
Notre innocent amour n'a-t-il pas désarmé
Les jalouses fureurs du faune et du centaure ?..."
Or voici qu'elle arrive en des lieux inconnus.
Il fait nuit. Les cailloux déchirent ses pieds nus
Et son coeur est empli d'une indicible peine ;
Soudain, les pleurs brûlants qui venaient l'aveugler
Lentement, sans arrêt, se mettent à couler...
Et Byblis par les dieux est changée en fontaine.
Nausicaa
C'est le matin. Nausicaa, par la prairie,
Sur un char attelé de mules, lentement
Passe et s'en va là-bas baigner son corps charmant
Dans le fleuve qui fuit au-delà de Schérie.
Sa main rajuste mal ses cheveux, que le vent
Dénoue et fait flotter comme une draperie ;
Taille souple, bras nus, lèvre fraîche et fleurie,
Nausicaa se sent belle, confusément...
Le char enfin s'arrête à l'ombre sur la rive,
Quittant le blanc péplos, la ceinture massive,
Les cothurnes, Nausicaa se plonge alors
Au sein profond du fleuve amoureux de son corps,
Car, lorsqu'après le bain à partir elle est prête,
L'on entend murmurer le flot qui la regrette...
La danseuse
Le temple de Vénus s'élève, portes closes,
A l'abri des vents froids et du faune malin,
Au bord de l'archipel, sous le dôme opalin
De la nuit qui s'étend, calme, sur toutes choses.
La danseuse sacrée a caché ses seins roses
Sous les plis vaporeux de son voile de lin,
Car, devant la déesse au regard sibyllin,
Très souple, elle se penche en de classiques poses.
Elle marche en cadence et lève ses bras blancs,
Et tous ses mouvements sont rythmiques et lents,
Faits pour s'harmoniser avec l'âme nocturne ;
Et la déesse rit, sans daigner se fâcher,
En la voyant, confuse et prompte, rattacher
L'étroit ruban d'argent qui retient son cothurne.
Le triomphe de Phryné
Celui qui poursuivit la Beauté souveraine,
Praxitèle, a taillé dans un marbre très blanc
La forme de Vénus-Astarté déroulant
Ses longs cheveux bouclés au doigt d'une sirène;
Le Maître, pour modèle, a pris le corps troublant
De Phryné qui sourit, immobile, sereine...
Et toujours le ciseau que son génie entraîne
Dans le marbre sans tache avance, sûr et lent.
Et voici que la Vénus s'achève.
Praxitèle, chassant la fatigue et le rêve,
Contemple tour à tour et son oeuvre et Phryné ;
Mais sur la Femme enfin son regard obstiné
S'arrête, ayant jugé l'Image décevante
Et qu'il n'est de Beauté que la Beauté vivante !
INO
"Les voiles de la nuit tombaient, sombres et lents,
Et ses lèvres alors cherchèrent sur mes lèvres
La fugitive ardeur des baisers violents,
Des baisers capiteux de désirs et de fièvres.
Il m'a prise en disant des mots que j'ignorais,
Mots dont le souvenir résonne à mon oreille,
Mots vivants, palpitants comme les ruisseaux frais,
Mots bourdonnants ainsi que la guêpe ou l'abeille :
" - Ino, j'aime tes yeux clairs comme des miroirs,
Ta juvénile peau qui rougit sous le hâle.
Laisse-moi dénouer, Ino, tes cheveux noirs,
Laisse-moi dégrafer ta robe virginale..."
Il m'a prise. Son coeur a battu près du mien
Et nous avons mêlé notre amour fort et libre ;
Depuis lors, mon coeur bat plus rapide, un lien
L'enchaîne et le retient au coeur ami, qui vibre ;
Par les sentiers étroits nous allons tous les deux.
- Le passant se retourne en croisant notre couple. -
Lui, soutient de son bras nerveux ma taille souple,
Moi, je laisse le vent souffler dans mes cheveux ;
Nous allons au hasard, grisés par notre course,
Nous allons devant nous, inattentifs et gais,
Puis, quand ma gorge est sèche et mes pieds fatigués,
Nous faisons une halte au bord de quelque source ;
Ou bien, sur l'herbe molle allongés, et tandis
Que la terre s'endort sous la lumière chaude,
Nous goûtons la langueur pesante des midis
Où l'on n'entend nul bruit, où nul souffle ne rôde...
O dégager mon front du voile enveloppant,
Aspirer les parfums des corolles écloses,
Arracher aux buissons des guirlandes de roses
Pour en fleurir la stèle immuable de Pan !...
Ouvrir mes yeux ravis sur l'étang solitaire
Dont rien ne vient troubler l'apaisement uni :
C'est un reflet du ciel qui parle d'infini,
Tandis que la forêt me parle de mystère...
Le rêve évoque en moi d'étranges horizons,
Et mes vagues désirs partent à l'aventure...
L'éternel renouveau des changeantes saisons
Chante un hymne d'amour au sein de la Nature,
Et toujours c'est Eros au regard radieux
Qui me dit le pourquoi des choses de la vie -
Eros en qui se perd mon âme inassouvie,
Eros, le plus puissant et le plus beau des dieux !"
Rondel de la danse
Terpichore, petite muse de la Danse,
Enfant rieuse et folle et qui ne vieillit pas,
C'est toi qui nous appris la divine cadence,
La grâce souveraine et le rythme des pas.
Tes poses ont chacune un sens, une nuance,
Et tu passes légère, en levant tes deux bras,
Terpsichore, petite muse de la Danses,
Enfant rieuse et folle et qui ne vieillit pas.
Ton pied mince tantôt glisse, tantôt se lance,
Imprévu, provocant, rapide, jamais las,
mais sur ta blanche épaule et sur tes blancs appas
Un voile tissé d'or s'attache avec prudence...
Terpsichore, petite muse de la Danse !
La statue
"Eternellement droite et pure,
Je vois palpiter la Nature,
Mais je suis insensible et dure
Et mon corps n'a rien enfanté ;
"Au pied de mon socle de pierre
Serpente et verdit un lierre,
Mais le soleil, de sa lumière,
N'a pas terni ma chasteté.
"Je suis vierge et cependant nue
Car la main restée inconnue
Qui prit un coin de blanche nue
Pour modeler mon sein neigeux
"Ne couvrit point d'une tunique
Mon épaule fière et pudique ;
Je reste le vestige antique
Qui brave les jours orageux.
"Les révolutions humaines
Passèrent toutes - choses vaines
Comme les mois et les semaines,
Sans m'émouvoir ou me flétrir ;
"Mais lorsque s'en vont dans lavie
De beaux couples que l'amour vit
Je connais un instant l'envie
Je voudrais aimer - et mourir.
Florence
Mars 1904.
Florence est la cité fière
Rutilante de lumière
Sous le soleil amoureux.
Des filles de l'Italie
Florence est la plus jolie,
La plus douce aux coeurs heureux.
Vaniteusement diverse,
Dans l'Arno qui la traverse
Elle mire sa beauté ;
Cité de grâce suprême,
Le lis rouge est son emblème,
Son gage de royauté !
Elle a des palais, des marbres,
De blanches villas, des arbres
Ombrageant des parcs fleuris,
Des églises, des musées
Pleins de merveilles usées
Par des siècles incompris.
Les poètes l'ont vantée,
Et c'est la ville enchantée
Des grands peintres d'autrefois,
Car dans sa veile artistique
Frémit le charme mystique
Des Vierges aux jolis doigts...
ses oeuvres lui font cortège
Et sa gloire la protège
Des tristesse de l'oubli.
Sous le soleil qui la dore
Florence conserve en core
L'âme de Botticelli !
Soirée vénitienne
Avril 1904
Ma gondole glissait, légère, au fil de l'eau,
Et le soir descendait, superbe, sur Venise.
L'air fraîchissait... C'était l'heure que divinise
Phoebus disparaissant dans son rouge halo.
Un chant dans le lointain - fantastique solo -
Résonnait en mon coeur où l'amour agonise...
Et j'ai cru voir surgir de la lagune grise
Et planer sur Saint-marc l'ombre de Dandolo. -
Longtemps, au fil de l'eau profonde et clapotante,
J'ai laissé s'égarer ma nacelle flottante
Et par d'étroits canaux j'ai lentement glissé,
Tandis que s'avançait l'heure crépusculaire,
Estompant peu à peu le Lion séculaire
Dont les ailes s'éploient au souffle du Passé !
La campagne romaine
La "campagna" s'étend, muette, autour de Rome,
Comme une mante ouverte aux plis mystérieux,
Et le soleil d'Avril se lève, glorieux,
Sur l'antique cité - vaste et lointain fantôme...
C'est l'heure matinale où tout, à l'horizon,
Se détache moins net sous des gazes de brume,
Où s'en vont par troupeaux, fumants et blancs d'écume,
Les buffles du pays à la rude toison ;
Où, su lac de Némi l'onde calme s'irise,
Telle lorsque Diane y mirait son front pur,
Et c'est l'heure où descend des forêts sur Tibur
Le souffle caressant et léger de la brise.
Mais rien ne vient répondre aux appels d'autrefois,
Car le temps a semé la Mort sur son passage.
Les palais des Césars s'effritent d'âge en âge
Et des dieux oubliés nul n'entend plus les voix.
Le Latium déchu de sa splendeur païenne,
Qui n'est plus aujourd'hui que ruine et que deuil,
Que temples écroulés du faîte jusqu'au seuil,
Que souvenirs épars sur la voie Apienne,
Le Latium s'étend muet, inconsolé,
Sous la blanche lueur du soleil qui se lève
Et semble s'abîmer dans la douceur du rêve
Où rit une bacchante au torse dévoilé !
Némi
J'aime les lacs, les lacs bleus, verts ou gris,
Leur splendeur sombre ou leur grâce pâlie...
J'aime les lacs dont la face polie
Prend, le matin, d'étranges coloris.
J'aime les lacs, car mon coeur est épris
De solitude et de mélancolie...
J'aime les lacs d'Ecosse et d'Italie...
j'aime les lacs, les lacs bleus, verts ou gris.
Némi surtout, que chanta Lamartine,
Némi perdu dans la plaine latine,
Némi, qu'enserre un irréel décor ;
Le vent s'apaise en soufflant sur ses ondes
Où le soleil jette des paillons d'or...
Némi toujours songe aux déesses blondes
Et semble un oeil ouvert sur d'autres mondes !
Nocturne
Rome, avril 1907.
Sereine nuit d'Avril qu'argente le croissant
De la lune... Douceur de la ville apaisée
Dans un souffle d'amour tiède et frémissant...
Lourd silence qui plane au pied du Colisée...
Passé mort qui surgit encor, majestueux,
Sur un temple détruit dont la pierre est usée...
Tibre profond qui fuit le long des quais brumeux,
Qui garde le secret des choses en allées
Et qui semble un ruban fluide et sinueux...
Fotmes vagues, que l'ombre a lentement voilées...
Souvenirs évoqués, somptueux et divers,
Et splendeurs que le temps barbare a mutilées...
Toits, dômes et clochers... jardins de chênes verts
Qui frissonnent au vent venu de la campagne...
Vieille Rome endormie au sein de l'Univers...
Sereine nuit d'Avril dont la langueur me gagne...
L'opale
Enigmatique et froide pierre
Aux reflets glauques et divers,
En vain je cherche la lumière
Dans tes yeux bleus, roses et verts.
Tu dois jeter des maléfices
De ces yeux faux et décevants,
Pierre étrange, emblème des vices,
Des baisers les plus énervants.
Ta lueur troublante et profonde
Fait songer au charme des mers,
Aux ensorcellements de l'onde,
A ses envoûtements pervers.
Aux jours mauvais l'on te retrouve,
Ton souvenir hante et poursuit,
Et ta bizarre flamme couve
Mystérieuse, dans la nuit ;
Et je songe aussi que la Femme,
Comme toi, garde dans ses yeux
L'intime secret de son âme,
Ensorcelant - mystérieux !
Légende
L'Amour voulut un jour s'élever dans l'espace,
Conquérir l'Idéal - le suprême Trésor -
Et, dans un magnifique et glorieux essor,
Tel l'aigle, regarder le soleil face à face.
Il monta - frémissant, grisé de son audace,
Déployant dans l'azur ses larges ailes d'or...
Mais sur terre un lien le retenait encor,
Et les désirs humains semblaient suivre sa trace ;
Et le soleil, jaloux de son divin regard,
L'éblouit d'un rayon brûlant -perfide dard
Plongé dans ses yeux clairs où tremblaient des pensées...
Il retomba, déchu, dans l'éternelle nuit.
Et, depuis lors, l'Amour qu'on adore ou qu'on fuit
N'est plus qu'un vieil aveugle aux deux ailes cassées !
La Tristesse
La Tristesse a jeté sur moi les plis sans nombre
De son voile d'ennui, de misère et de deuil.
Un soir, furtivement elle a franchi mon seuil,
Et depuis lors, toujours j'ai marché dans son ombre.
Et depuis lors, mon coeur désabusé s'encombre
Des souvenirs d'antan auxquels je fais accueil...
Mais les vieux souvenirs demandent un cercueil,
Le sourire d'hier est un sourire sombre.
Hélas ! mon coeur est triste ; en silence je suis
Cette Soeur de mes jours , cette Soeurs de mes nuits
Dont les yeux désolés ont pourtant de grands charmes,
Et c'est sans un regret, en lui donnant la main,
Que je vais achever de gravir le chemin
Qui m'apparaît si long au travers de mes larmes !
Le Silence
Le Silence est un dieu fatal, plein de mystères,
Qui m'envahit parfois de sa sérénité.
Seul, il sait apaiser dans mon coeur tourmenté...
Il est le compagnon des âmes solitaires.
C'est un dieu méconnu, car ses yeux sont austères,
Suprême, redoutable est son éternité...
Et pourtant quelques-uns, rêvant de sa beauté,
Vont le chercher au fond des tristes monastères.
Il étreint l'Univers d'une invisible main.
C'est en lui que s'anime et que palpite en vain
Un monde passager, mouvant comme le sable ;
C'est en lui que tout vibre et tout sombre ici-bas,
Et c'est pourquoi j'attends qu'il ferme mes yeux las
Et m'assure à jamais sa paix inaltérable.
Le bonheur
Qu'est-ce que le Bonheur que l'on poursuit sans trêve ?
Le bonheur inconnu, magique, décevant,
Illusion suprême - espoir toujours vivant,
Vaste comme le monde et vague comme un rêve...
Qu'est-ce que le Bonheur ? Est-ce l'amour fervent,
L'amour né d'un sourire et qu'une larme achève ?
Est-ce l'humaine gloire impondérable et brève,
Ou n'est-ce qu'un fétu balayé par le vent ?...
Qu'est-ce que le Bonheur ? une vaine chimère,
Une ombre, un souvenir, une joie éphémère,
La folle inanité d'un éternel désir ;
C'est un roi détrôné, chassé de son domaine,
Et qui, depuis ce jour, sans sujets et sans reine
Nous a laissé pleurer dans les bras du Plaisir !
Cantique d'amour
(Traduit du Candide of Love d'Ow Meredith.)
Une nuit, j'entendis un Ange dans les cieux
Qui, sur sa lyre d'or, chantait un chant très tendre ;
Les étoiles et moi, dans l'air silencieux
Nous restions muets pour l'entendre.
Et son chant résonnait en des accents si doux,
Sa lyre d'or vibrait en des notes si belles,
Que tous les séraphins l'écoutaient à genoux,
Cachant leurs têtes dans leurs ailes.
Or, ce chant qui m'avait en extase perdu,
C'est l'Amour. Et déjà je l'avais entendu,
Car je fus une nuit au sein des Enfers sombres,
Sur un roc isolé dans le soufre brûlant ;
J'y vis un pâle Esprit, qui chantait à des ombres
Le chant, le mêm chant très lent...
Et de ce chant vibraient des notes si funèbres
Que l'Enfer gémissait comme un monstre blessé
Et qu'un fantôme ouvrit ses ailes de ténèbres
Pour en voiler son front baissé.
Or, le chant qui se chante au fond du gouffre noir,
C'est l'Amour - mais l'Esprit se nomme Désespoir !
Rondel de la cantilène
je chante bien souvent pour toi ma cantilène
Lorsque l'ombre descend, furtive, sous les toits,
Et que le vent qui souffle, engourdissant mes doigts,
Emporte au loin ma plainte en sa puissante haleine.
Jamais tu n'as rien su de ma tristesse vaine,
Des soupirs de mon coeur ou des cris de ma voix,
Lorsque l'ombre descend, furtive, sous les toits,
Et que je viens chanter pour toi ma cantilène.
Et tu ne sauras pas que souvent je te vois
Traverser mon chemin, belle comme une reine ;
Qu'en secret je te guette... Et que les jours, les mois
Passent, sans qu'un regard vienne adoucir ma peine...
Mais je chante toujours, pour toi, ma cantilène.
Rondel de l'indifférente
Ah! Belle, mes baisers n'ont pu laisser de trace
Sur votre lèvre rouge et sur vos yeux si doux.
Vous avez méprisé le coeur qui bat pour vous
Et que rien ne changea - ni le temps, ni l'espace...
Car votre petit coeur, à vous, est fait de glace,
Et ceux qui l'ont cru voir ému sont de grands fous !
Sur votre lèvre rouge et sur vos yeux si doux,
Ah! Belle, mes baisers n'ont pu laisser de trace.
Et d'ailleurs ici-bas tout s'oublie et tout passe,
Et le bonheur lui-même a de tristes remous.
Le soleil, qui brillait sur ce miroir, s'efface
Lorsque tombe le soir, morne, sombre et jaloux...
Ah ! Belle, mes baisers n'ont pu laisser de trace !
Rondel du portrait
Ce sont les traits pâlis d'une femme inconnue
Dont le regard me suit partout, obstinément.
Elle tient une fleur fraîche dans sa main nue,
Et me la tend d'un geste immuable et charmant.
Le sourire est figé sur sa bouche menue
Qui semble rose encor des baisers d'un amant...
Ce sont les traits pâlis d'une femme inconnue
Dont le regard me suit partout, obstinément.
Et nul ne sait son nom, nul ne l'a reconnue -
Furtive silhouette animée un moment...
Dans l'ombre du Passé j'évoque vainement
Celle que ce pastel ici-bas continue :
Ce sont les traits pâlis d'une femme inconnue.
Rencontre
Je ne sais pourquoi ni comment,
Par quel motif, pour quelle cause...
Je ne sais, hélas ! qu'une chose,
C'est que je songe à vous souvent.
C'est que je revis notre histoire,
L'histoire des beaux jours passés
Si fugitifs et si pressés...
Mais qui restent dans ma mémoire !
Fallait-il que le hasard mît
Cette rencontre dans nos vies,
Nous invitant aux causeries,
Aux longs regards dont on frémit ?...
Je crois entendre, enchanteresse,
La valse qui rythmait nos pas
Lorsque nous dansions, un peu las
Et pénétrés de sa caresse ;
Je nous revois tous deux assis
Dans la forêt sereine et sombre ;
Il faisait chaud, - c'était à l'ombre
Des grands arbres déjà roussis.
Nous avions lu les mêmes livres
Et nous pensions de même un peu ;
Il nous semblait qu'un même feu
Brûlât, joyeux, dans nos coeurs ivres ;
Puis nous laissions parfois nos mains
Longtemps, l'une dans l'autre jointes ;
Nous rêvions de douces étreintes
Et d'impossibles lendemains...
Et c'est ainsi que je défaille,
L'âme triste et troublée encor
Aux souvenirs du passé mort -
Consumé comme un feu de paille !
L'adieu
Bald fliesset switschen meinem Herzen
Und deinen Augen die Weite See.
M. Heine
Vos rêves m'appelaient, Chère, et je suis venu
Car le hasard se plaît aux choses malaisées.
Nos deux routes se sont, pour un instant, croisées,
Et mon coeur est resté près de vous retenu.
Mais, hélas, ces deux mains que j'ai cent fois baisées,
Ces cheveux blonds, ces yeux adorés, ce sein nu,
Je les quitte pourtant, et sans avoir connu
La puissante langueur des amours épuisées...
Je les quitte ce soir, de crainte que demain
Plus épris qu'aujourd'hui, plus lâche ou plus humain,
Dans vos bras dangereux captif je ne demeure.
Pour la dernière fois vous m'avez fait accueil,
Et, sans me retourner, je passe votre seuil
De crainte que l'adieu sur mes lèvres ne meure...
Obsession
Je veux que ma tendresse en se penchant
Soit profonde, absolue et presque douloureuse
........
........
........
.......
..........
.........
Je veux que de l'aurore au soir silencieux
Tu la trouves présente, éparse en toutes choses ;
Je veux que le zéphyr qui fait pâmer les roses
T'apporte la caresse intime de mes yeux ;
Je veux que mes baisers à ta lèvre fidèles
Laissent comme une empreinte et comme une saveur
Et que des mots d'amour bruissent dans ton coeur,
Vagues et délicats comme un frôlement d'ailes ;
Je veux que le sommeil ne te donne jamais
Que des songes tissés de fleurs et de fougères,
Et qu'il te semble encor sentir mes mains légères,
Mes deux mains se posant sur tes deux yeux fermés ;
Je veux que ta pensée éternellement cède
A la mienne autour de toi ; je veux,
Je veux que tes regrets rôdent dans les cheveux
Et que mon souvenir t'obsède et te possède.
Le chêne
Le chêne est tombé, frappé par la hache,
Ainsi qu'un géant vaincu par des nains.
Ses feuillages morts tremblent - pauvres mains -
Dans le vent qui souffle âpre, sans relâche.
Elevant très haut des bras vigoureux
Ses bras qui semblaient bénir de leur ombre,
Longtemps l'arbre fier, sous son dôme sombre
Cacha les amours des couples heureux.
Ah ! lui qui riait en sa rude écorce
Des étés brûlants, du froid des hivers,
Le voilà gisant, jeté de travers,
Lamentablement sans vie et sans force ;
Ca le bûcheron fait bien son métier,
Il taille gaiment parmi les futaies
Sans se soucier des coups ni des plaies...
Le chêne est tombé soudain, tout entier.
Dans mon coeur aussi, las ! sans défaillance
Bûcheron maudit, vous êtes passé ;
Vous avez taillé, blessé, renversé
Mes vieilles amours - ma vieille croyance...
Vision de cloître
mars 1904
Dans le cloître blanc qu'entoure un réseau
De piliers menus et de colonnettes
Je vois s'agiter de blanches cornettes
Qui semblent, là-bas, des ailes d'oiseau.
J'entends le bruit sec que font les sandales
Sur le marbre uni, luisant et glissant,
Et le bruit plus doux que font en passant,
Les robes aux plis trop longs, sur les dalles.
- Ding-dong - Tout à coup, la cloche a tinté.
"Venez, soeur Agnès, car l'angélus sonne..."
Et voici venir la petite nonne
Qu'essouffle son pas plus précipité.
C'est un doux profil qui se montre à peine,
L'éclair d'un oeil bleu, d'un regard naïf,
Une main d'enfant qui; d'un geste vif
Egrène le lourd rosaire d'ébène...
Que ne sais-je, hélas ! lire dans son coeur
Où ne vibrent plus les choses du monde,
Son coeur où la paix intime et profonde
S'est épanouie ainsi qu'une fleur !
Vient-elle prier aux pieds de Marie
Quand le soir a mis son voile discret ?
A-t-elle peut-être un vague secret
Qu'elle dit tout bas à sa rêverie ?...
Dans l'air flotte encor un parfum d'encens,
- Ding-dong - et je vois s'incliner les têtes...
Un dernier Ave... les blanches cornette
Font une ombre fine aux yeux innocents ;
Et je songe que, sans nulle secousse,
Dans cet horizon à jamais pareil,
A l'abri de tout - même du soleil -
La vie est sereine, uniforme et douce...
Jour des morts
2 novembre 1907
Deux Novembre. - le ciel apris
Son voile de nuages gris
Qui plane, morne, sur les rues,
Et le vent qui souffle au dehors
Semble chanter le chant des morts
Et les tendresses disparues.
Deux Novembre. Des gens en deuil,
Par groupes, ont franchi le seuil
De l'église sévère et sombre ;
Les femmes, un livre à la main,
Marchent lentement leur chemin
Avec des regards chargés d'ombre...
Deux Novembre. - Voici des fleurs :
Tardives roses sans couleurs,
Chrysanthèmes et violettes ;
Voici des bouquets opulents
Qui feront, violets ou blancs,
Aux tombes de fraîches toilettes.
Deux Novembre. - Sous le ciel gris
Les cimetières sont fleuris,
Mais, couchés sous la terre nue,
Hélas ! dans leurs cercueils étroits,
Les pauvres morts, muets et froids,
N'entendent pas notre venue...
Deux Novembre. - Prions pour eux !
Récitons les mots douloureux,
Les mots profonds des litanies ;
Prions, prions, car dans nos yeux
Passe l'effroi mystérieux
Des solitudes infinies !
L'âme éparse...
Je me suis demandé souvent
Où s'en vont les âmes subtiles
Des mots, des gestes inutiles,
Des songes fous, vains ou futiles,
Du rêve illusoire et fervent,
Des heures d'amour oubliées,
Des promesses et des serments
Dont se bercèrent les amants,
Des étreintes aux bras charmants
Par la fatigue déliées...
Car de tout ce qui vibre en nous
Je crois qu'un peu d'âme subsiste,
Tel un souvenir qui persiste
Indifférent, joyeux ou triste,
Tel un parfum tenace et doux ;
Je crois que tout se manifeste
Au delà de nos faibles yeux
Dans un monde mystérieux...
Et que, dans le livre des dieux,
Chaque regret s'imprime et reste.
Coeurs
Coeurs, premiers berceaux du rêve,
Tombes de tous les amours,
Coeurs blessés, tristes et lourds,
Coeurs qu'un idéal relève ;
Coeurs légers, coeurs violents,
Chimériques et fantasques,
Coeurs battus par les bourrasques,
Coeurs farouches ou tremblants ;
Coeurs d'ombre, coeurs de mystère,
Coeurs fermes, coeurs tourmentés
Innombrables unités
Dont la lutte est solitaire ;
Coeurs que l'on ne comprend pas,
Coeurs où nul n'a su lire,
Coeurs vibrants comme une lyre,
Coeurs dédaignés et coeurs las ;
Coeurs de pardon, coeurs de haine,
Dans les poitrines, sans bruit,
Sans relâche, jour et nuit
Vous rythmez la vie humaine !
Les rides
Légers sillons, marqués sur mes traits las de vivre,
Vous avez un poignant et douloureux passé.
Chaque jour révolu s'est en vous retracé
Et je puis à présent vous lire comme un livre.
Ce miroir, qui jadis a connu ma beauté,
Me révèle aujourd'hui toutes vos flétrissures,
Car, tandis que mon coeur saignait de ses blessures,
Vous paraissiez, fatals, contre ma volonté...
Vous avez sur mon front mis votre dure touche
Le jour où j'ai pensé pour la première fois,
Et le doute a creusé ces rides que je vois
Barrer amèrement les deux coins de ma bouche.
Vous avez, encadrant mes regards éplorés,
O sillons, dessiné des lignes implacables
Depuis les sombres jours - hélas ! irrévocables
Où la mort m'a repris des êtres adorés ;
Vous avez tout surpris de mes tendresse vaines,
Espoirs trop tôt déçus ou rêves avortés ;
Mes soucis et mes maux vous les avez comptés,
Et je retrouve en vous bonheurs, regrets et peines.
Tristes sillons, creusés jour par jour, lentement,
Le monde apprend par vous que tout s'altère et passe,
Et l'on dit que c'est Dieu lui-même qui vous trace
Comme une empreinte auguste ou comme un châtiment.
Le cimetière de Menton
C'est un vieux cimetière au flanc de la colline ;
Il domine la ville et regarde la mer.
Une route à lacets y conduit, et dans l'air
La poussière s'étend comme une mousseline.
- D'un côté, le vallon aux contours onduleux,
Ici, des orangers s'étageant en terrasses,
Aux fentes des rochers de lourdes plantes grasses,
Et des géraniums grimpant aux murs calleux ;
....................
....................
....................
Le retour
C'est après une longue absence. De la route,
Voici déjà mon toit là-bas à l'horizon.
- Je prends, pour abréger, un sentier de gazon
Bordé de hauts tilleuls que la brume veloute ;
J'arrive enfin - et c'est l'instant que je redoute,
C'est l'instant où mon trouble abolit ma raison,
L'instant où, sur le seuil de ma vieille maison,
Avant d'y pénétrer, je m'arrête et j'écoute...
...........
............
............
Le Missel
La vieille horloge
Le bonnet
L'aïeule du village est là, tirant l'aiguille
Malgré ses mauvais yeux et ses quatre-vingts ans.
Fidèle, elle a posé - blanc sur ses cheveux blancs -
Le bonnet de linon qu'a renié sa fille.
- O bonnet qui s'en vas, blanc Bonnet qu'émoustille
La ruche de dentelle aux retroussis galants,
Pourquoi vous préférer des chapeaux désolants,
D'affreux chapeaux couverts de fleurs de pacotille !
Vous fûtes cependant toujours, large ou mignon,
Laissant apercevoir ou cachant un chignon,
Le pimpant attribut des féminins costumes ;
Et ce dernier bonnet du village, en ses plis
A gardé le parfum des respects abolis,
Des grâces d'autrefois et des saintes coutumes.
La chapelle
Dans le silence où dort notre petite ville,
L'on entend chaque soir la cloche d'un couvent.
J'aime écouter son rythme, et je vais bien souvent
Jusqu'à l'humble chapelle - intime et cher asile.
Saint Pierre et Saint Joseph sont juchés sur l'auvent
Du porche, les vitraux racontent l'Evangile,
Et, blanche sous la lampe éternelle et fragile,
La Vierge de l'autel étreint son bel Enfant.
J' m'attarde parfois, pensive, en un coin sombre,
Tandis que la nuit tombe et que s'épaissit l'ombre,
Et qu'au-dehors le vent s'élève rude et froid ;
Et lorsque je repars de la vieille chapelle
Où la cloche du soir pour l'angelus m'appelle,
Je sens qu'un peu de paix est descendue en moi...
Pensée d'automne
Voici que le vent souffle et que l'Automne avance.
Il rouille et fait tomber les feuilles de nos bois,
Car les soirs sont plus longs, car les jours sont plus froids,
Car les matins brumeux de Novembre ont parfois
De pénétrants frissons d'une tristesse intense...
Dans le jardin muet où s'égarent mes pas
Je vois encor s'ouvrir des roses attardées,
Pauvres fleurs que le froid n'a pas intimidées
Mais que vont effeuiller les prochaines ondées
Et que l'âpre saison ne ménagera pas.
La campagne et déserte et j'erre à l'aventure
Les yeux fixés au loin dans un rêve enchanté,
Dans un rêve d'amour qui longtemps m'a hanté,
Qui semblait me sourire avec le bel Eté,
Mais qui s'évanouit dans la morne nature...
Adieu, rêve d'amour, adieu, douces chansons
Des oiseaux amoureux et de la brise errante ;
Adieu, papillons d'or dont l'aile est transparente,
Adieu, beaux jours troublés par une angoisse lente,
Par le pressentiment des futures rançons !
Que ne suis-je pareille à la robuste terre...
Nul printemps ne viendra refleurir dans mon coeur,
Il ne m'est point donné de revivre un bonheur
Qui passa, fugitif et fragile, et qui meurt...
Mon rêve est demeuré superbe et solitaire !
Rondel du souvenir
Souvenirs du Passé faits de peine et de joie
Dont je n'ai pu chasser la douce obsession,
Jours de paix, jours d'espoir et jours de passion,
Jours tissés d'or et jours tissés de fine soie,
Vous demeurez en moi. Votre séduction
S'empare de mon coeur, et le dompte, et le broie...
Souvenirs du Passé faits de peine et de joie,
Dont je n'ai pu chasser la douce obsession.
- O jardin où la rose encore se déploie,
Où rôde encor le vent comme un vol d'alcyon,
Où, sur l'étang frémit une ondulation,
Où le soleil indifférent toujours flamboie...
Souvenirs du Passé faits de peine et de joie !
Rondel du coeur
Le coeur a des raisons bizarres et profondes
Dont nul n'a deviné le secret ni la loi,
Et nul ne sait, et nul ne me dira pourquoi
Je donnerais mes jours pour ces deux nattes blondes.
Un sourire, un regard... C'est en quelques secondes
Que l'éternel Amour s'est emparé de moi :
Le coeur a des raisons bizarres et profondes
Dont nul n'a deviné le secret ni la loi.
Subtile affinité de forces vagabondes,
Puissant, délicieux et redoutable émoi,
Attirance invincible, impérieuse foi
Qui confondit toujours les sages des vieux mondes...
Le coeur a des raisons bizarres et profondes.
A un enfant
N'es-tu pas, Enfant, tel ce ruisseau clair
Qui glisse, léger, sur le sable en pente ?
L'arôme, léger, sur le sable en pente ?
Sur l'arbre, je vois un oiseau qui chante...
Tu ris, en passant, d'un rire argentin
Qu'on entend au loin, joyeux et rapide,
Et le gai soleil veut, chaque matin,
Mirer ses rayons dans ton eau limpide.
Reste ruisselet ! Ne sois pas surpris
Par les mauvais jours... Si tu deviens fleuve,
Tu rouleras trop de tristes débris !
J'aime mieux te voir l'âme toujours neuve...
J'aime mieux sentir ta main dans ma main,
Précéder tes pas d'un pas qui te guide ;
Ah ! ne t'en plains pas, ne dis pas "demain...",
Car la mer immense est une perfide ;
On s'y perd souvent à côté du port
Quand l'ouragan souffle un vent de folie,
Et des malheureux y trouvent la mort
Dans un tourbillon de joie et de vie...
N'es-tu pas, Enfant, tel ce ruisseau clair
Qui glisse, léger, sur le sable en pente ?
L'arôme des fleurs vient embaumer l'air,
Sur l'arbre, je vois un oiseau qui chante...
L'étang
Bel étang fleuri de nénuphars roses,
Bel étang qui dort d'un sommeil uni,
Bel étang, reflet du ciel infini,
Bel étang qui rêves à d'étranges choses...
Bel étang qui dort d'un sommeil uni,
Tiède et muet sous des vapeurs blanches,
Bercé par le bruit du vent dans les branches,
Par les chants d'Avril du bois rajeuni ;
Bel étang, reflet du ciel infini,
Du prisme solaire intime palette,
Et qui, dans la nuit bleue ou violette
A le charme ancien d'un miroir terni ;
Bel étang qui rêve à d'étranges choses,
Aux espoirs que rien ne vient achever,
Comme lui toujours je voudrais rêver...
Bel étang fleuri de nénuphars roses.
Rêves
Rêves fuyants et flous, incroyables mirages
D'un monde décevant qui n'a ni dieu ni loi,
Qu'êtes-vous ? Quels sont donc ces lieux que sans effroi
Je parcours chaque nuit en rapides voyages ?
Je cause avec la lune, aux yeux graves et sages ;
Son front semble chargé d'un mystérieux poids :
C'est l'étrange secret des choses qu'elle voit
Sur notre vieille terre, a travers des nuages.
Puis mon ami le vent souffle, capricieux ;
Il arrive toujours de loin, triste ou joyeux,
Et l'histoire qu'il conte est toujours merveilleuse ;
Et mes illusions durent jusqu'au matin,
Lorsqu'il me faut quitter mon beau rêve incertain
Et que je romps le charme en soufflant ma veilleuse.
Je fais parfois un rêve...
Je fais parfois un rêve étrange et qui m'étonne
Dans un pays dont nul jamais ne m'a parlé,
Un pays plein de fleurs sous un ciel étoilé
Où l'amoureux printemps ne prévoit point d'automne.
J'y cueille au bord d'un lac l'iris bleu, l'anémone,
Et les pétales frais d'un lis immaculé,
Et, dans la paix du soir dont mon coeur est troublé
L'eau clapote en sourdine un vieux chant monotone...
Pourquoi faut-il, hélas ! que ces fleurs, ce ciel pur,
Que ces étoiles d'or se mirant dans l'azur
D'un calme lac, ne soient qu'images éphémères,
Et pourquoi faut-il donc que, toujours rejeté
Du songe fugitif vers la réalité
Mon coeur reste captif au pays des chimères !
Le Printemps
Le vieil Hiver est mort, et le Printemps va renaître
Dans une éclosion de clartés et de fleurs ;
Printemps va se vêtir des plus vives couleurs,
Et veut que le soleil brille à chaque fenêtre.
Il court par les sentiers où les agneaux vont paître
Où les petits oiseaux sifflent des airs moqueurs,
Et lance à pleines mains dans tous les jeunes coeurs
Les savoureux désirs des amours qui vont être...
- Salut, bourgeons ; salut, rouges fraises des bois,
Feuilles, fleurs qui semblez vous ouvrir à ma voix
Et qui donnez votre ombre à la terre ravie ;
En mon être assoupi passe un frisson joyeux,
Mon coeur lassé tressaille et j'ouvre grands mes yeux
Pour les emplir d'amour, de lumière et de vie !
Les plumes
Neigeux et fins duvets, multicolores plumes,
Filles du libre espace et des vagues hasards,
La nature sur vous répand de riches fards
Et vous frise parfois en légères écumes.
Vous faites aux oiseaux d'harmonieux costumes,
Plus souples et plus chauds et fuyant mes regards
Des petits corps ailés se perdent dans les brumes...
Et la rosée exquise et fraîche du matin
Vous donne un lustre neuf, un reflet de satin,
Plumes, et vous semblez couvertes d'étincelles ;
Vous avez sous mes doigts des frémissements doux...
Fuyez vers l'inconnu, plumes, envolez-vous !
Mon rêve vous suivra, car mon rêve a des ailes.
Nuit d'été
Le jour se meurt, chargé de brises embaumées.
Tout s'estompe... Les feux du couchant sont éteints,
Laissant flotter encor les contours incertains
Des nuages, pareils à de pourpres fumées.
La caresse du vent, sur les roses charmées
Furtivement s'attarde en baisers clandestins...
Et voici que déjà, clignant leurs yeux lointains,
Les étoiles se sont, une à une, allumées.
Sur la campagne grise et dans les airs, nul bruit
Ne vient troubler la paix du silence ; la nuit
Déroule lentement ses voiles et ses gazes,
Et la lune argentée agrafe son croissant
Dans le ciel qui s'étend immense, éblouissant,
Comme un royal manteau constellé de topazes.
Le sourire
Nul ne m'a dit son nom, nul encor n'a chanté
La fée aux jolis yeux qui vient tenter ma lyre,
La Fée aux jolis yeux qui voulut la Beauté
Plus belle, et qui créa pour elle le Sourire...
Docile, le Sourire alors s'est reflété
Sur l'innombrable lèvre humaine qui l'attire ;
Il y met sa douceur et sa fragilité,
Il erre... et lentement s'efface et se retire.
Il est spirituel, ondoyant et divers.
- Las ou voluptueux, adorable ou pervers,
Tendre ou moqueur, toujours il exerce son charme ;
Le Monde subjugué s'est soumis à ses lois,
Car ému, pitoyable, il sait être parfois
Pur comme une prière et beau comme une larme !
Quelques chansons...
Ballade du Printemps
, Printemps, saison jolie
Qu'annoncent les oiseaux siffleurs.
Voici qu'Avril nouveau déplie
Son manteau vert semé de fleurs ;
Voici que de mille couleurs
La douce terre s'est ornée
Sous le baiser des vents frôleurs...
L'Amour va faire sa tournée !
Arrière la mélancolie
Des lampes aux pâles lueurs ;
Après l'averse, l'embellie,
Et le sourire après les pleurs !
De ses rayons ensorceleurs
Le soleil dore la journée,
Hâlant et tannant nos pâleurs...
L'Amour va faire sa tournée !
Le vieil Hiver déjà s'oublie ;
La gaîté des primes chaleurs
Met en nous un grain de folie ;
Coucous, pinsons, merles hâbleurs,
S'en vont, s'en viennent, querelleurs...
Ah ! la joyeuse randonnée !
- Oiselets, gare aux oiseleurs...
L'Amour va faire sa tournée !
ENVOI
J'ai chanté tes yeux enjôleurs,
Le grain de ta peau satinée,
Printemps joli, cher à nos coeurs
Car l'Amour y fait sa tournée !
Louison
Voyez-vous bien l'humble maison
Où vit seulette la Louison ?
Elle est facile à reconnaître :
Elle a le grand toit d'autrefois,
La grâce d'un balcon de bois
Et des fleurs sur chaque fenêtre.
Car la Louison aime les fleurs,
Les fleurs de toutes les couleurs
Qui font un gai bariolage
Et c'est pourquoi, malgré les ans,
Son vieux logis aux murs branlants
Est le plus charmant du village.
Roses rouges et roses-thé
S'épanouissent tout l'été
A l'ombre de leurs feuilles vertes,
Et, se penchant à qui mieux mieux,
Lancent des regards curieux
Par les fenêtres entr'ouvertes.
Elles semblent causer tout bas...
Hélas ! que ne ferais-je pas
Pour être un seul jour à leur place ?
Pour voir Louison, dès le matin
Lacer son corset de satin
Et minauder devant sa glace ;
Pour voir de près ses cheveux d'or,
Fluide et glorieux trésor
Epars sus ses épaules blanches,
Pour contempler ses dix-huit ans
Plus jolis que le clair Printemps
Qui fait éclore les pervenches !
La Meunière
La Mignonne que je chéris
C'est la Madeleine aux yeux gris,
C'est la meunière.
Elle rit du soir au matin,
Fine, sous son chignon châtain,
Pimpante et fière.
A la ville elle va souvent,
Tandis que son moulin à vent
Vire à son aise ;
Moi, je l'attends en soupirant,
Tremblant qu'à plus d'un concurrent
Elle ne plaise.
Elle me fait parfois souffrir...
Hélas ! si je pouvais ouvrir
Son coeur volage,
Serais-je bien sûr de m'y voir ?
Elle préfère son miroir,
Sa propre image ;
Elle préfère les joujoux,
Les dentelles et les bijoux
Que je lui donne ;
Et moi je voudrais qu'en retour
Elle me donne un peu d'amour...
Dieu me pardonne !
Mais que faire ?... Je n'y puis rien.
Son coeur n'est pas, comme le mien,
Malade et tendre :
Il vire comme son moulin !
Et je défie un plus malin
De le lui prendre.
Chanson d'été
Ma main blanche était ouverte,
Il amis sa main dedans ;
Et tous deux, sur l'herbe verte
Et sous le soleil ardent,
Nous allions d'un pas alerte...
Ma main blanche était ouverte.
Ma lèvre rouge était fraîche,
Et là, point de ruisseau creux...
Oui-da, le bon Dieu n'empêche
Personne d'être amoureux,
Malgré ce que l'on nous prêche...
Ma lèvre rouge était fraîche.
Dans les bois, l'ombre est tentante ;
Ma foi, nous y fûmes voir.
Il me dit - j'étais contente !
Tout près de lui de m'asseoir
Sous la feuille palpitante...
Dans les bois, l'ombre est tentante.
Et c'est ainsi que l'on aime,
Comme poussent les épis.
L'amour, c'est Dieu qui le sème -
Bon grain, mauvais grain... tant pis !
L'amour est beau tout de même...
Et c'est ainsi que l'on aime.
L'aventure
Rose, dans le ruisseau trempe ses mains menues ;
Elle se sent joyeuse et chante une chanson.
Ses cheveux dénoués sur ses épaules nues
Sont blonds comme les blés au jour de la moisson.
Rose a le coeur léger. Elle rit, elle chante,
Et ne voit point Jeannot qui la guette à trois pas.
"Bonjour, Rose, " dit-il ; mais Rose, la méchante,
Regarde l'eau qui court et l'écoute pas.
Pauvre Jean ! C'est qu'hélas ! il a pour tout partage
Trois écus, et beaucoup de bonne volonté.
Rose désirerait un peu plus, en ménage...
"Passez votre chemin," dit-elle avec fierté.
Le fils du roi, qui court et le lièvre et la fille,
L'aperçoit à son tour et la trouve à son gré.
"Bonjour, Rose, " dit-il, "te voilà fort gentille ;
Que fais-tu là seulette à l'autre bout du pré ?"
Ce discours est flatteur. Timide, elle s'approche ;
Le beau prince descend de son blanc palefroi,
Et l'on entend tinter dans le fond de sa poche
Des louis d'or frappés au sceau du défunt roi.
"Que me donneras-tu contre mon escarcelle ?"
Demande-t-il à Rose en lui prenant la main.
Rose rougit un brin... "Un baiser," répond-elle.
- Ils se sont adorés jusqu'au surlendemain.
Le Mur
Ma voisine est une enfant blonde,
Une enfant qui me fait rêver ;
Chaque zéphyr vient soulever
Des boucles sur sa nuque ronde.
O la douceur de ses yeux noirs
Que ne troublèrent nulle larme !
Je chercher en eux de vains espoirs..;
Et je demeure sous leur charme.
Sa bouche est une pourpre fleur,
Ses dents ont la blancheur des perles,
Et je l'entends, pour mon malheur,
Chanter plus gaîment que les merles ;
Je la vois, - spectacle troublant, )
par les prés semés de jonquilles
Courir, leste, et son jupon blanc
Battre sur ses fines chevilles ;
Je la vois... et je voudrais bien
- Car de mon coeur l'amour s'empare -
Renverser le mur mitoyen
Qui nous gêne et qui nous sépare ;
Renverser le grand mur maudit
Qui résume en lui tant d'obstacles...
Mais l'amour fort, l'amour hardi,
L'amour fait parfois des miracles !
Chanson de l'amour fragile
Son fragile amour n'a point de racines,
Il frôle, furtif, comme un vent léger,
Comme le zéphyr qui vient voltiger
Sur les jasmins blancs et sur les glycines...
Son fragile amour n'a point de racines.
Son fragile amour est comme un oiseau,
Un oiseau moqueur qui chante et qui passe,
Que rien ne retient à travers l'espace,
Sur qui nul filet n'a mis de réseau...
Son fragile amour est comme un oiseau.
Son fragile amour est comme une rose,
Une rose ouverte un matin d'été,
Mais qui meurt d'avoir donné sa beauté
Et l'arôme frais de sa fleur éclose...
Son fragile amour est comme une rose.
Son fragile amour est capricieux,
Son fragile amour est insaisissable
Ainsi qu'un serment tracé sur le sable...
Et dans ses regards je lis des adieux !
Son fragile amour est capricieux.
Ritournelle
La lune brille dans la nuit,
Calme et belle,
Mais j'aime encor mieux lorsque luit
Ta prunelle.
Le zéphyr va, léger et prompt,
Par la plaine,
Mais j'aime encor mieux, sur mon front
Ton haleine.
J'aime le frais parfum des soirs
Sur la mousse,
Mais l'odeur de tes cheveux noirs
M'est plus douce...
Et quand passe un oiseau doré
Qui m'effleure,
Je rêve au baiser que j'aurai
Tout à l'heure !
Chanson d'amour
J'aime ta voix claire et joyeuse,
Mignonne aux grands yeux de velours
Parmi ces fleurs aux parfums lourds
Dans la chambre silencieuse.
Ta lèvre me tend son carmin,
Ton regard moqueur m'ensorcelle...
Ah ! femme, tu sais qu'être belle
C'est tenir le monde en sa main !
J'aime que le soleil flamboie
Dans l'or pâle de tes cheveux ;
Je les roule à mon corps nerveux,
Souples et doux comme la soie ;
J'aime tes doigts fins et menus,
Ton col mince, ta gorge blanche,
La ligne pure de ta hanche
Jusqu'à tes pieds jolis et nus ;
J'aime ta grâce un peu féline,
J'aime la nacre de ton teint,
Ton sourire presque enfantin
Lorsque tu fais l'enfant câline...
Et je te tiens d'un bras vainqueur,
Mignonne aux chairs blanches et roses,
Lorsque près de moi tu reposes
Ton petit coeur contre mon coeur.
- Mais voici ta paupière lasse
Qui se referme doucement...
L'amour ne dure qu'un moment
Et l'on n'aime que ce qui passe !
L'écharpe
Délicate bagatelle,
Léger fichu de dentelle
Qu'un soir Elle m'a laissé,
Pieusement je te garde
Et souvent je te regarde
En mémoire du Passé.
C'était au clair de la lune :
Sur sa chevelure brune
Et sur son cou frêle et blanc
Elle t'enroulait, coquette,
Inclinant vers moi sa tête
D'un joli geste indolent.
Dans l'enivrement des choses,
Par les chemins pleins de roses
D'églantiers et de lilas,
Nous errions, joyeux ou graves,
Grisés d'aromes suaves,
Tendres, et ne parlant pas ;
Et tu restes parfumée
Encor de la Bien-Aimée
Et des roses d'autrefois,
Fine écharpe de dentelle,
Délicate bagatelle
Que froissaient ses petits doigts...
Triolet
La Vie a des mains cruelles,
L'Amour a des yeux moqueurs.
- Papillons, gare aux chandelles...
La Vie a des mains cruelles,
Des mains qui brisent les ailes...
L'Amour, lui, brise les coeurs !
La Vie a des mains cruelles,
L'Amour a des yeux moqueurs.
Le chemineau
Sur la grand'route poussiéreuse
Le chemineau marche en chantant,
Besace lourde et coeur content
Car sa destinée est heureuse.
Il est libre, il n'a nul souci,
Nulle peur pour sa bourse vide,
Aucun intérêt qui le guide
Et qui le tienne à sa merci.
Il marche de longues journées
Sans penser à rien, bien souvent,
Comme les feuilles dans le vent
Ou les plantes déracinées.
Est-il sans gîte, quelquefois
Il s'étend à la belle étoile,
Et préfère aux gros draps de toile
L'air pur et le parfum des bois.
Il dort - c'est le sommeil sans rêve,
Le lourd sommeil, le bon repos...
Et voici qu'il repart dispos
A l'heure où le soleil se lève.
Quand la faim vient le tenailler,
Dame ! il rapine sans scrupule -
Tel un renard au crépuscule
Se glisse dans un poulailler.
Par les bourgs, d'une voix pleurarde
Il implore la charité.
L'on répond : "Frappez à côté, "
Et de travers on le regarde ;
résigné, ne ripostant pas,
Il fait demi-tour sans se plaindre ;
Sur la route qu'il va rejoindre
Il ajoute les pas aux pas...
Il marche, portant sa besace
Et tenant ferme son gourdin,
Et lève les yeux quand soudain
Quelque charrette le dépasse.
- Point de travail et point d'ennui,
Mais la liberté sans contrainte -
Liberté vagabonde et sainte
De l'être qui va devant lui,
Qui ne craint ni le bon Dieu ni diable,
A qui jamais nul n'apprit rien,
Qui confond le mal et le bien
Et n'en est pas plus misérable.
Point de femme, d'enfant, d'ami...
Le chemineau n'en a que faire !
Il mourra seul sur cette terre
Et le coeur d'avance endormi.
La chanson du vent
Le vent souffle sa plainte vaine
où Novembre a mis des frissons
Sur la montagne et sur la plaine.
Le vent souffle. Adieu, les chansons
Des gais merles et des pinsons...
Le vent souffle, tordant des branches,
Secouant taillis et buissons
Et balayant les routes blanches !
Feuilles de tilleul et de chêne,
De l'été, voici les rançons.
Vous volez où le vent vous mène,
Par les sentiers que nous passons,
Feuilles mortes, tristes moissons...
Le vent souffle, tordant des branches,
Secouant taillis et buissons
Et balayant les routes blanches !
Prenons nos manteaux de futaine,
Et, dns nos sabots, des chaussons :
Le vent souffle sa froide haleine.
Quand le soir tombe, sans façons
Près du feu nous nous blotissons...
Le vent souffle, tordant des branches,
Secouant taillis et buissons
Et balayant les routes blanches !
Le Noel des gueux
25 décembre 1902
Ol gèle, et la campagne dort
Sous les flocons tombés en masse -
Blanc linceul de neige, de glace
Et de mort.
La forêt se découpe, sombre
Sur un fond de soleil couchant,
Et le gueux frissonne, en marchant
Seul, dans l'ombre.
Le vent qui perce son manteau
Semble percer jusqu'à son âme,
Comme une fine et froide lame
De couteau.
Il rêve - chose déréglée -
Aux foyers chauds des gens heureux,
Ceux qui n'ont ni le ventre creux
Ni l'onglée.
Il voit, le narguant, un jambon,
Du vin parfumé qui rougeoie,
Des fruits d'or, des gâteaux, une oie
Qui sent bon !...
***
Hélas ! divin Enfant, je pense
Que le sort des gueux est cruel...
Mets dans leur sabot de Noel
De la chance !
Fin
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