Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Riom (Adine) 1818-1899

Adine Riom
(Adine Brobant)
Madame Eugène
ou Louise d'Isole, Comte de Saint-Jean...
(1818-1899)

Nantes
 
 
Révolte
 
Vous entendrez, Seigneur, la plainte de la femme,
Si vraiment dans son corps, vous avez mis une âme,
Pourquoi laissez-vous l'homme, à chaque heure du jour,
Opprimer sa faiblesse, avilir son amour,
L'enchaîner, l'asservir, qu'elle avance ou recule,
Dire: Va sous la tente, ou rentre en ta cellule!
Tu n'iras pas plus loin, tu n'as rien ici-bas!
L'air, l'onde, le soleil, ne te connaissent pas;
Baisse ton voile obscur, passe inerte et glacée:
Je t'interdis d'abord l'élan de la pensée,
Les dignités, les arts, les charges et l'emploi,
Car le sol, le travail, l'honneur, tout est à moi!
 
Oui, je ne te comprends qu'à mes genoux sans cesse,
Sers-moi comme une esclave ou comme une maîtresse:
Choisis entre ces noms... c'est l'unique faveur
Que je daigne accorder!... - Mille fois non, Seigneur!
Lorsqu'il me parle ainsi, ma colère s'allume,
Daignez mettre en mes mains la faucille ou la plume,
Ce qu'il rejette enfin; mais n'allez pas encor
Me charger de son nom et de son anneau d'or!
 
Ou bien, puisque partout la terre est son empire,
Laissez-moi m'exiler sur les flots!... Le navire
Se balance et répond en s'éloignant de moi:
Sur la mer, après Dieu, l'homme est l'unique roi;
A lui les mâts, les ponts, le drapeau, l'équipage.
Que son autorité soit inique ou sauvage,
Qu'importe! il est l'arbitre et le maître du sort,
Il a le droit de vie, il a le droit de mort!
 
A vaincre sans combat sa puissance exercée
Vient encore opprimer jusque à ma pensée.
Quoi! la terre, et la mer et le ciel! Oui, mon Dieu,
Il semble à mon malheur que même du saint lieu
Les portes à son gré sont ouvertes ou closes!
O Christ, Verbe éternel, avez-vous dit ces choses?
Ne m'a-t-il pas trompée,, oh! parlez-moi, Seigneur,
Confondez son orgueil et levez-vous vainqueur.
Venez, protégez-moi, n'avez-vous pas d'entraille?
Ne m'entendez-vous pas? Où voulez-vous que j'aille?
Lui partout, lui toujours, qui me dit: Sois à moi!
Qui me pousse à l'abîme en me glaçant d'effroi.
L'entendez-vous encore: Allons, sois mon esclave,
Ma volonté n'admet nul retard, nulle entrave!
Seule, où donc irais-tu? Que peux-tu devenir?
Tu n'as qu'un but, c'est moi, qui suis ton avenir!
 
Venez à mon secours, ou donnez-moi des armes!
Il a vu ma faiblesse, il a ri de mes larmes!
Car, il n'est que trop vrai, j'avais cru le charmer
Et j'avais commencé, Dieu puissant, par l'aimer,
Par l'aimer d'un amour intense, inextinguible!
O mon Dieu! j'étais folle en ce rêve impossible!
Il était plus que vous ma vie et mon soleil...
Quand vous fûtes vengé par un affreux réveil!
Il a brisé mon coeur, il a tué mon âme,
J'ai vu tomber mon ciel sur mon idole infâme!
Et vous croyez, Seigneur, quand vous fermez vos bras,
Que l'excès de mes maux ne vous accuse pas?...
 
Un jour lorsque Esaü transporté de colère
S'arrachait les cheveux et se tordait à terre,
Son père lui disait en sa morne stupeur:
"Fils, ne m'accuse pas; une fatale erreur
Donne tout à ton frère, et ces troupeaux superbes,
Et ces vignes en fleurs, et ces pesantes gerbes,
L'huile des oliviers, les soyeuses toisons,
Les récoltes de fruits de toutes les saisons.
Mon fils, j'ai tout donné du couchant à l'aurore,
Le puits et leur fraîcheur, l'ombre du sycomore,
Les prés, les champs, les bois où croît le palmier vert,
Et tout ce qui s'étend d'ici jusqu'au désert.
C'est en vain que vers toi s'ouvrent mes mains tremblantes,
En vain que je tressaille à tes larmes brûlantes,
Sous le toit paternel tu deviens un banni,
Et n'as droit qu'à ce mot: Mon enfant, sois béni"
 
Seriez-vous impuissant comme le patriarche?
Créateur éternel, n'avez-vous donc plus d'arche
Pour bercer sur les flots vos enfants malheureux,
Quand tous les éléments se déchaînent contre eux?
Mais où donc êtes-vous? Quand mes cris vous appellent,
L'oiseau tombe des cieux, les pierres étincellent
Comme au choc de l'acier! plus aigus, plus stridents,
Ils vous cherchent en vain dans tous vos firmaments,
Que leur répondez-vous?...
                                  ... L'homme est roi sur la terre,
N'appelle à ton secours ni le bras de ton père,
Ni la Haine, l'Amour, la Justice ou le Sort,
Ni l'Enfer, ni le Ciel...
                        ... Viens, j'oubliais la Mort!
 
                                                    Passion, 1864
 
 
1884 : Anthologie des poètes bretons du XVII ème siècle
 


Retour

Est-ce vous que je vois ? dites, répondez vite.
Etes-vous revenu de ce voyage enfin ?
Est-ce une illusion ?... Mon coeur se précipite
Vers votre ombre peut-être ? Oh ! vite, votre main ?
Arrêtez-vous un peu, pour que je vous regarde.
N'approchez pas encor, surtout ne parlez pas !
Laissez-moi le silence... un instant. Prenez garde
Que mon bonheur s'envole au seul bruit de vos pas ! '
J'ai besoin de vous voir, et de vous voir encore !
Dans mon intelligence il n'entre rien do plus.
Je ne puis rien entendre et rien penser ; j'ignore
Si je vous comprendrais, tant se pressent confus
Mes sentiments, mes voeux, ma surprise, moi-même !
C'est bien vous, mon ami ! répondez maintenant !
Non, laissez-moi parler : je vous vois ! je vous aime !
Je vous possède enfin ! ! !... Puis, un rayonnement
Va de vous à mon âme... Oh ! laissez-moi vous dire :
Aimons par un seul c�ur, voyons d'un même esprit.
Pourquoi sommes-nous deux? C'en est fait, le délire
Me transforme en un seul. Ce qui fut moi s'enfuit !



Présence aimée

Oui, quand vous êtes là... tout me semble adorable
Tout est beau, tout est grand, tout est délicieux,
Ravissant !... Je respire un charme inexprimable
Et je sens tout mon être éclairé par vos yeux !...
Puis, je baisse les miens, craignant que ma paupière,
En laissant échapper les rayons do mon coeur.
Profane cet amour !.., Je tremble, heureuse et fière...
J'ai peur qu'autour de nous on vole mon bonheur !
...................................................................
J'entends battre mon sein... Il bondit, je m'enivre ;
La vie afflue en moi comme dans le réveil !
Oh ! qu'il est doux d'aimer! Oh! qu'il est doux de vivre !
Quand le coeur brûle ainsi ! Ne pourrais-tu, soleil,

Donner plus de rayons ? Oh ! ne pourriez- vous, roses,
Livrer tous vos parfums plus suaves, plus doux ?
Et moi-même, ne puis-je animer toutes choses.
Et créer pour lui seul un ciel autour de nous ?

Il m'aime, Dieu puissant! N'appelle pas mon âme !
Comment veux-tu qu'on meure en ce rêve d'amour ?
Non, si tu m'appelais, ma faible voix de femme
Dirait : c'est impossible ! attends la fin du jour !

Seigneur., de l'inconnu vous soulevez les voiles
Quand vous voulez encore être plus adoré.
Et les regards de feu de toutes vos étoiles
Se fixent aussitôt sur votre front sacré...

Pour vous aimer toujours, n'avez-vous pas des anges ?
Des astres qui peut-être avant nos cieux ont lui ?
Des purs esprits créés les divines phalanges ?
Vous avez tout. Seigneur, laissez-moi donc à lui î ! !



L'AMOUR

Toi qu'on n'ose nommer, esprit, charme, puissance.
Amour, où donc es-tu ? quelle est ta pure essence ?
Des astres de l'Ether fils immatériel,
Es-tu le messager ou l'exilé du ciel ?

Es-tu dans le parfum de ces fruits qui mûrissent ?
Dans la sombre fraîcheur de ces bois qui frémissent ?
Dans ces flots soulevés, dont le rapide flux
Peint de la passion les accents éperdus ?

Animes-tu l'oiseau, dont l'aile fugitive
Vole au-dessus du lac et trouve à l'autre rive
L'asile et le doux nid aux fragiles réseaux
Qui semble un fruit chantant aux feuilles des roseaux ?

Conduis-tu le nuage errant dans la campagne
Qui flotte et se suspend à la verte montagne,
Et qui, se dilatant, prisme d'or et vermeil,
Fond et s'évanouit aux baisers du soleil ?

Serais-tu dans l'espace ou l'air qui m'environne?
L'étincelle ou l'espoir qui sur mon front rayonne?
Quand j'écoute, est-ce toi qui me parle tout bas ?
Oh ! dis, est-ce vers toi que se tendent mes bras ?

« Femme, je suis en toi ! j'habite dans ton âme,
« Tu respires, tu vis par ma divine flamme ;
« C'est moi seul qui produis ta soudaine pâleur,
« Moi qui brille en tes yeux, qui palpite en ton coeur.

« Ecoute sans frayeur : je suis le bien suprême ;
« Mon séjour est au ciel, et ce grand Dieu lui-même,
« Qui dit à l'oeil terrestre : « Ouvre-toi, c'est le jour ! »
"- Dit à l'âme immortelle : << Ouvre-toi c'est l'amour ! »



Bibliographie


Adine Riom (née Brobant, dame Eugène Riom), femme de Lettres, née au Pellerin en Elle a publié, sous les pseudonymes de Louise d'Isole et de Comte de Saint-Jean : plusieurs livres de poésies empreints de sentiments religieux ou patriotiques et remplis des souvenirs héroïques et de saintes légendes de la Bretagne. Parmi ses volumes, nous citerons :

Poésie
- Oscar, poème, Nantes, 1850,
- Reflets de la lumière, 1859,
- Flux et reflux, 1859,
- Passion, 1864,
- Après l'amour,
- Merlin, 1872,
- Histoires et légendes bretonnes, 1873,
- Salomon et la reine de Saba, légende orientale, 1873,
- Fleurs du passé, 1880,
- Légendes bibliques et orientales, 1882,
- Les Oiseaux des tournelles, comédie en prose et en 1 acte représentée sur le troisième théâtre français,

Plusieurs romans dont :
- La Chapelle de Béthléem, 1854.
- Mobiles et zouaves bretons,
- Michel Marion (épisode de la guerre de l'indépendance bretonne, roman historique qui fut encouragé par la Société de l'encouragement au bien en 1879).
Elle a également collaboré à diverses revues dont : La Revue de Bretagne et de Vendée, La Revue de Paris, La Revue contemporaine, La Revue française, etc.
(Wikipedia)

 

Riom.jpg

 

Riom 01.jpg

 
Recueil en ligne:

Reflets de la lumière, 1857



30/06/2010
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