Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Riversdale, Paule (Renée Vivien): Echos et Reflets (1903)

Paule Riversdale (Renée Vivien)

Echos et reflets

 Paris, Alphonde Lemerre, 1903

 

Recueil emprunté au site (incontournable!)

des "Introuvables lesbiens" de Sabine Huet


 

Concernant le pseudonyme "Paule Riversdale", consulter l'étude suivante

(cliquer sur ce titre)


 

 

A mon Amie

M…

 

Les yeux

 

Les yeux noirs, où l’éclair des ténèbres reluit

Et s’éteint, les yeux noirs sont plus beaux que la nuit.

 

Les yeux gris, où l’ardeur des étés passe et brûle,

Les yeux gris sont plus beaux que le doux crépuscule.

 

Les yeux bleus, clairs miroirs du rêve et de l’amour,

Rayons frais, les yeux bleus sont plus beaux que le jour.

 

Les yeux verts, où l’azur des feuilles tremble encore,

Lueurs d’eau, les yeux verts sont plus beaux que l’aurore.

 

Angoissants comme l’abîme et le désespoir,

Ombres d’or, les yeux sont plus beaux que le soir.

 

 

L’anxiété des lèvres

 

Donne-moi les mauvais baisers

Qui frémissent, inapaisés,

Parmi les lents sanglots brisés.

 

Lorsque tu seras endormie,

Je contemplerai l’infamie

De tes fausses lèvres d’amie.

 

La lumière de ton miroir

A reflété mon désespoir

Et les glauques frissons du soir.

 

Redis-moi le divin mensonge

Où chaque soir mon être plonge,

Comme en l’abîme d’or du songe.

 

Ah ! rends-moi les mauvais baisers

Qui frémissent, inapaisés,

Parmi les lents sanglots brisés !

 

 

La double Ambiguïté

 

J’écoute avidement tes paroles dans l’ombre…

Je goûte les langueurs et les parfums du lit

Et la complicité des ténèbres, où sombre

La Pléiade d’or que Sélanna pâlit.

 

Tu souris, déployant ta chevelure blonde,

Et le sommeil répand des pétales d’azur.

La musique s’éteint. La nuit glisse sur l’onde

Harmonieusement, ainsi qu’un cygne obscur.

 

Ma bouche a possédé ta bouche féminine

Et mon être a frémi sous tes baisers d’amant,

Car je suis l’Etre Double, et mon âme androgyne

Adore en toi la vierge et le prince charmant.

 

 

L’Automne

 

Avec des ardeurs de lionne,

La forêt vibre et s’abandonne

Aux baisers rouges de l’automne,

 

Et sa chevelure jaunie

Pleure sur la lente agonie

Des solitudes d’Ionie.

 

La feuille vole et tourbillonne :

Le rythme du vent monotone

Gémit sur la mort de l’automne.

 

La forêt jette un cri fantasque,

Comme une plainte qui se masque

Sous le rire de la bourrasque.

 

Dans l’ombre au parfum d’anémone,

La nuit glorifie et couronne

La mort divine de l’automne.

 

 

Couchant sur l’Hellas

 

Tes pas mystérieux d’amante virginale

Erraient près de l’étang que l’Artémis créa.

Le couchant, glorieux comme un cri de cymbale,

Ensanglantait les flots où dort le nymphéa.

 

Mon rêve rayonna d’une extase inconnue,

Autour de toi rôda mon désir obstiné…

Tu souriais debout et divinement nue,

Plus blanche que Léda, plus blonde que Daphné.

 

Le soleil, rougissant les cheveux des prêtresses,

Exaspérait l’ardeur de leur corps irrité…

Au lointain hennissaient les noires Centauresses

Dont le rut saccageait les herbes de l’été.

 

 

Miroitements

 

Globe d’or, sphère d’arc-en-ciel,

Monde d’éclairs, disque d’opale,

Souffle venu de l’Irréel,

Irisement de flamme astrale !

 

Reflet d’étoiles et de fleurs

Où se perdent les rêveries,

Evocation de couleurs,

Frissonnement de pierreries !

 

Miroitement trompeur, chimère

Où scintillent les feux du soir,

Eblouissement éphémère

D’une promesse et d’un espoir !

 

 

A une Poétesse

 

Ton beau front resplendit ainsi qu’un champ de roses,

Et tu vois, à travers tes paupières mi-closes,

S’illuminer encor les couchants doriens.

Le sarbitos fleuri par les musiciens

A réveillé pour toi les parfums d’agonie

Qui versent à tes pieds leur angoisse infinie.

Tes vers ont évoqué la volupté des voix,

L’impérieux écho des plaintes d’autrefois,

La persuasion du printemps, les préludes

Murmurés par les chants de l’aube aux solitudes,

L’opale de l’été, les perles de l’hiver,

Les voiles de pourpre et d’orange sur la mer

Où traînent, blondissant les flots de chrysolithe,

Comme une écume d’or, les cheveux d’Aphrodite.

 

 

L’Iris noir

 

Dans tes pétales de ténèbres

S’attristent les songes funèbres

Et les pressentiments du soir, 

Long iris noir.

 

La Nuit aux mains prodigues verse

Des lueurs de lune perverse

Sur ton calice d’encensoir,

Long iris noir.

 

Tu fleuris à l’ombre rougie

D’une mélancolique orgie

Que l’aurore vient décevoir,

Long iris noir.

 

Tu meurs parmi les lassitudes

Abandonnant aux solitudes

Leurs frêles mains de désespoir,

Long iris noir.

 

 

Marine

 

O sœurs de la tempête, ô filles de l’écume,

O mouettes, blancheurs de voiles, votre essor

A travers les maelstroms et le vent et la brume

Est plus impérial que l’orgueilleux essor,

Brûlé par le soleil, de l’aigle aux ailes d’or.

 

Fuyez sous les yeux verts de l’aube maritime,

Jetez vos cris aigus vers l’angoisse des flots,

Plongez votre regard enfiévré par l’abîme

Jusqu’au sein irrité de l’orage et des flots

Dont l’éternel désir déferle en lourds sanglots.

 

A travers les maelstroms  et le vent et la brume

Charriant le phosphore et l’iode des flots,

O sœurs de la tempête, ô filles de l’écume,

O mouettes, planez sur l’orage des flots

Dont l’éternel désir déferle en lourds sanglots.

 

 

Colobra

 

Voici la nuit lente, rampant

Vers l’opale de la colline…

Et, sinueux comme un serpent,

Ton charme pervers me fascine.

 

Au fond de tes yeux ardoisés

Errent des éclairs et des ombres.

Oh ! le venin de tes baisers !

Le péril de tes regards sombres !

 

Jamais ta ruse ne s’endort

Sous ton illusoire paresse.

Un goût de menace et de mort

Corrompt ta subtile caresse.

 

Voici la nuit souple, rampant

Vers l’opale de la colline…

Et, sinueux comme un serpent,

Ton charme étrange me fascine.

 

 

L’œillet mauve

 

Regret pudique du printemps,

Sourire attardé de l’automne,

Tu répands ces parfums flottants

Où l’âme des jardins frissonne ;

Et tu te fanes lentement

Dans ta mauve mélancolie,

Triste fragrance d’un moment,

Pourpre délavée et pâlie.

Enfant d’un maladif soleil,

Ta grâce faible se balance

Aux bosquets d’ombre et de sommeil

Où l’été verse le silence.

Le désir te cueille le soir,

Pour parer le sein de l’amante,

Gretchen éclairant le miroir

Du pli de sa lèvre charmante.

O suavité d’un moment,

Penche ta corolle pâlie

Avant de mourir doucement

Dans ta mauve mélancolie…

 

 

L’Oranger

 

L’air méridional a des langueurs d’amante ;

Le soleil, qui s’éteint parmi les orangers,

Attriste obliquement leurs feuillages légers ;

La vigne a recueilli des rires de Bacchante.

 

La mer vient exhaler sous le myrte et l’acanthe

Ses longs gémissements et ses chants passagers.

L’or vert du crépuscule estompe les vergers

Et le soir a versé sa torpeur enivrante.

 

L’âme grave en qui sourd le sanglot du désir

Et qui sait l’anxiété lourde de choisir,

Recèle le poison des coupes de Locuste.

 

Le fondu vespéral apaise les couleurs

Et s’attarde, pareil aux regrets, sur l’arbuste

Qui porte altièrement les fruits blonds et les fleurs.

 

 

Les Eternelles Amoureuses

 

Les éternelles amoureuses

Ont gardé l’éternel printemps.

Leurs chevelures ténébreuses

Répandent leurs anneaux flottants…

O charme lointain d’Aspasie !

Sur ses lèvres viennent mourir

Le sanglot de la poésie

Et le cri rouge du désir.

Cléopâtre, l’Isis profonde,

Etend ses lascives pâleurs

Sur sa galère qui fend l’onde

Tel un cygne parmi les fleurs.

L’éclair des rames et des voiles

Où frémit le souffle des chants,

Parsème le Cydnus d’étoiles

Sous les roses d’or des couchants.

Béatrice, lointaine et chaste,

Pour qui Dante versa jadis

Son amour magnifique et vaste

Et pur comme un parfum de lys !

Odette, la consolatrice,

Calme les royales douleurs,

Rayon d’astre sur un supplice,

Arc-en-ciel à travers les pleurs !

Diane de Brézé, brûlure

De pourpre et d’or au fond des soirs,

Ruissellement de chevelure

Sur la nuit chaude des yeux noirs,

Exagère ses langueurs feintes,

Ses gestes mièvres et cruels,

Chasseresse des forêts peintes

Aux soleils artificiels.

La blondeur de la Fornarine

Que nul rêve n’endolorit,

Fruit italien, chair divine,

Echappe aux tourments de l’esprit.

La rose rouge, Gabrielle,

S’épanouit sur les chemins

De l’aventure sensuelle

Et des soirs bleus sans lendemains.

Ninon, prêtresse et Piéride,

Chanson d’un immortel avril,

Joint à la volupté perfide

Des mains de femme un front viril.

Et voici, comme des fleurs sombres,

Le sourire, pareil à l’arc

Du grave Erôs, le tisseur d’ombres,

Le sourire de la Duparc.

Flammes de ses cheveux d’automne,

Glauques frissons de ses yeux verts,

Elle a le regard d’Hermione

Qui réveille les nobles vers,

La strophe à l’altier profil,

Fontanges, triomphe d’une heure,

Songent dans un divin exil ;

Et la plaintive La Vallière

Ressemble à  l’ange des soupirs,

Lys et sanglots dans la lumière,

Encens rare des repentirs !

Alambiquant sa grâce exquise,

L’inoubliable Pompadour

Poudre ses cheveux de marquise,

Pastel animé de Latour.

La Dubarry, lascive et folle,

Courbe la vieillesse du roi

Sous le charme de sa parole

Et de son amoureuse loi.

Dans les luxures du silence,

Parabère aux longs regards bruns

Où s’appesantit l’indolence,

Laisse un sillage de parfums.

Les chevelures ténébreuses

Répandent leurs anneaux flottants…

Les éternelles amoureuses

Ont gardé l’éternel printemps.

 

 

Chanson mystique

 

Ton âme a les feux de l’opale

Et de l’arc-en-ciel incertain,

Elle a l’ombre du bleu Lointain,

La candeur de la source pâle.

 

Ton âme est pareille au cristal

Qui réfléchit les clairs de lune,

Aux lys exhalant vers la brune

Leur grave parfum virginal.

 

Ton âme est le ruisseau qui chante

Les chansons de l’aube à la nuit…

Le rêve que le jour détruit,

Le luth murmurant sous l’acanthe.

 

 

Créoles

 

Le soir frémit encor de nos anciens aveux

Sur les pics foudroyés que l’ouragan ravage…

Laisse-moi respirer l’odeur de tes cheveux.

 

Sous tes pas de créole enfant, traîne un sillage

D’échos et de reflets, d’angoisses et de vœux ;

Tes seins ont la fraîcheur d’une rose sauvage.

 

Une vapeur légère estompe le contour

Des montagnes d’azur, et l’eau semble se taire

Pour recueillir le souffle agonisant du jour.

 

Mon être émerveillé contemple ce mystère,

Ce miracle : t’avoir inspiré de l’amour !

Et je plains le néant de l’être solitaire.

 

Dans le soir où languit un rêve oriental,

Tes paupières de pourpre ont de lourdes paresses :

L’air est chargé de nard, de myrrhe et de santal.

 

Et, comme un défilé de funèbres prêtresses,

Baissant leurs fronts gemmés d’argent et de cristal,

Les étoiles du Sud consacrent nos ivresses.

 

Les longs pressentiments, les lueurs et les vœux

T’auréolent ainsi qu’une rouge couronne :

Sous tes pas se déroule un sillage d’aveux.

 

Vois flamber le minuit que la fièvre aiguillonne :

Laisse-moi respirer l’odeur de tes cheveux

Et te soumettre enfin à mes ruts de lionne.

 

 

Fleurs orgiaques

 

Tes doigts frais effeuillent les fleurs

Qui parsèment de leurs pâleurs

Les tapis aux rudes couleurs.

 

Vois mourir les roses païennes

Que les mains des Musiciennes

Mêlent aux lyres doriennes.

 

Aux soirs de voluptés, les fleurs

Neigent, ineffables pâleurs,

Parmi les sons et les couleurs.

 

Et leurs fébriles agonies

Ensanglantent les harmonies

Des corruptions infinies.

 

Les femmes masquent leurs pâleurs

Dans le soir ivre de couleurs

Qu’hallucine la mort des fleurs.

 

 

Le vent passe…

 

HARRICIA, PATRICIA

 

HARRICIA

Vois la jeune lune endormie

Sur un lit d’azur nuptial.

Viens, ma blonde et divine Amie,

Sur les prés d’or et de cristal !

Nous cueillerons la scabieuse

Et l’iris qu’un souffle détruit.

 

PATRICIA

Je crains l’ombre silencieuse

Et les feux follets dans la nuit.

 

HARRICIA

Nous tresserons, comme des roses,

La floraison des astres roux,

Clartés divinement décloses…

 

PATRICIA

Je crains le sanglot des hiboux.

 

HARRICIA

Nous serons les pâles prêtresses

De l’amertume et du désir.

 

PATRICIA

Je crains les terribles caresses

Et les baisers qui font mourir.

 

 

Au Pays  des Miracles

 

Impérieusement je prendrai mon essor

Cette nuit : je fuirai vers les espaces d’or.

 

Je ferai ruisseler, fluidités sereines,

Entre mes doigts ardents les cheveux des Sirènes.

 

Je verrai, dans un halo de parfums flottants,

Les fantômes errer sous le bleu du printemps.

 

J’entendrai les chasseurs étranges des ténèbres,

Les frissons noirs des ifs, le son des corps funèbres.

 

Auprès de moi, blancheurs de nuage et de jour,

Luiront les visions mortelles de l’amour.

 

Je pencherai mon cœur sur l’eau de la lagune,

Lorsque s’attendrira le rire de la Lune…

 

Impérieusement je prendrai mon essor

Cette nuit : je fuirai vers les espaces d’or.

 

 

A une Amie

 

Je m’abîmerai dans tes yeux

Où la tristesse s’extasie,

Où s’attarde un reflet d’adieux,

O fleur d’ombre et de poésie !

 

Tu fais gémir, en tes accords,

Les divines inquiétudes ;

La flamme blanche de ton corps

Brûle au fond de mes solitudes.

 

Un rêve d’automne et d’hiver

Filtre sous tes paupières closes,

Tandis qu’émane de ta chair

L’exaspération des roses.

 

 

La Dryade

 

La Dryade se berce au rythme des feuillages.

L’or vert de ses cheveux palpite dans le vent,

Et la préciosité de l’avril décevant

Emplit de floraisons fragiles les bocages.

 

La Dryade se berce au rythme des feuillages.

 

La Dryade pensive écoute les oiseaux…

Ses membres ont frémi d’une extase inconnue.

Les lianes ont fait un lacis de réseaux

Autour des blancs frissons de sa volupté nue…

 

La Dryade pensive écoute les oiseaux.

 

La Dryade se meurt de la mort de l’automne ;

Le soir tombe, et l’amour a tu son rire amer…

Le monde ensanglanté de vendanges s’étonne

A voir naître et grandir l’angoisse de l’hiver…

 

La Dryade se meurt de la mort de l’automne.

 

 

Floréal

 

Je t’aime dans l’odeur des roses

Mourantes, quand il se fait tard,

Quand, sous tes paupières mi-closes,

S’alanguit ton pâle regard.

Mon âme tendrement troublée

T’aime dans l’odeur des lilas,

Lorsque ruisselle la coulée

Du clair midi sur les fronts las.

O ma Maîtresse, ô mon Amie,

Je t’aime en l’odeur des œillets…

Le bleu de ta chambre endormie

S’attendrit parmi les regrets…

Dans l’odeur de la violette,

J’aime la grâce de ton corps,

Tandis que le miroir reflète

L’éclat des ambres et des ors.

Dans l’odeur de la tubéreuse,

Je t’aime d’un mauvais désir,

A l’heure où l’aurore amoureuse

Se pâme avec un frais soupir.

Et, dans l’odeur de l’aubépine,

J’aime tes yeux pleins d’éclairs bruns…

O ma Maîtresse, ô ma Divine !

Je te mêle à tous les parfums.

 

 

Sonnet Vénitien

 

Le soir est imprégné de nard et de santal.

Lève sur moi tes yeux stagnants de Dogaresse,

Tes yeux que l’ennui vert des lagunes oppresse,

Las d’avoir contemplé la moire du canal.

 

Autour de toi s’affirme un silence automnal ;

Le dangereux parfum des daturas caresse

Ton front sans véhémence, ô fragile Maîtresse,

Dont le souffle ternit à peine le cristal.

 

Le roux vénitien de tes cheveux anime

La solitude où traîne un sanglot de victime.

Tragique, le couchant te prête son décor.

 

Tu portes le fardeau d’une antique infortune,

Quand tu fuis vers le sable où la Mer aux pieds d’or

Pleure sous le baiser stérile de la Lune.

 

 

Rythme dans la Forêt

 

Viens, nous irons vers la Nature,

Les abîmes et les forêts

Dont se crispe la chevelure,

Et vers l’automne aux longs regrets.

 

L’ombre, qui voit les lourdes fièvres

Se ralentir et s’apaiser,

Me verra boire sur tes lèvres

Le soupir profond du baiser.

 

Pour mes voluptés de poète,

J’amalgamerai les couleurs,

Je tresserai les chants de fête

Et je ferai jaillir les fleurs.

 

 

Chanson nocturne

 

Un flot d’étoiles coule et fuit

Vers l’énigme des portes closes.

L’ombre fébrile de la nuit

Brûle d’une flamme de roses.

 

La lune dérobe au soleil

Le souvenir d’une heure aimée,

Et le parfum de ton sommeil

S’échappe ainsi qu’une fumée.

 

Il est si divin dans la nuit

Qu’il semble une flamme de roses…

Le flot des astres coule et fuit

Vers l’énigme des portes clauses.

 

 

Nacre sur fond d’or

 

La forêt s’attendrit à l’écho de ta voix ;

Les lucioles d’or aiguisent leurs lumières ;

Je ceins d’iris ton front de vierge, et je revois

Le frisson blanc de tes paupières.

 

Mon cœur a réfléchi ton cœur pervers et pur :

Je cueillerai pour toi les roses des allées

Où le couchant s’attarde, ivre d’antique azur

Et de poussières étoilées.

 

La nacre mêle  à l’or ses reflets irisés.

Au loin l’âcre sanglot de la mer s’atténue

Et, sous l’acharnement tiède de mes baisers,

Jaillit la fleur de ta chair nue.

 

 

Pressentiment

 

Pareille à ceux-là que la paix

Encloître dans l’ombre endormie,

Pâle sous tes cheveux défaits,

Tu m’apparus, ô mon Amie !

 

Il me semblait que les tombeaux

Ouvraient pour toi leurs larges portes,

Parmi les chants et les flambeaux

Et les violettes des Mortes.

 

L’air de l’aurore s’affligea

De ton renoncement austère.

Tes épaules portaient déjà

Le poids funèbre de la terre.

 

 

Etoile sur le Navire

 

Tristement je rêvais en regardant les flots…

Le vent occidental portait ma rêverie

Vers des cieux inconnus, et les anciens sanglots

Sourdaient confusément dans mon âme meurtrie.

 

Sur les embruns, fleuris de sillages légers,

Se mirait le reflet orangé d’une voile,

Et, fraternel parmi les astres étrangers,

Souriait le regard attendri d’une étoile.

 

Tristement je rêvais en regardant les flots

Que fendait le passage orangé d’une voile ;

Dans mon âme, où somnolaient d’antiques sanglots,

Souriait le regard attendri d’une étoile.

 

 

Départ trouble

 

Des arbres déchus de leurs gloires

S’exhalent les regrets tardifs,

Et les roses rouges et noires

Dardent leurs parfums sous les ifs.

 

Voici l’heure des adieux mornes,

O mon Désir ! ô mon Souci !

Je vais par les chemins sans bornes,

Car les lys se meurent ici.

 

Tes seins livrent à l’air nocturne

Leurs dangereuses floraisons :

Accorde à mon vœu taciturne

Tes mains qui filtrent les poisons.

 

Les oiseaux que le jour accable

Prennent leur ténébreux essor,

Et tes longs pieds creux sur le sable

Ont laissé leur empreinte d’or.

 

La luciole tremble et brûle

Moins que ton incertain regard…

J’entends au fond du crépuscule

Le divin sanglot du départ.

 

 

Baiser Païen

 

Accorde à mon baiser tes lèvres de Ménade.

Sur l’horizon bleuit la pâle Pléiade.

Tu dors sous l’olivier et le magnolia

Et tes membres en feu, que l’Erôs délia

Ainsi que fait la mort, frémissent par saccade…

Accorde à mon baiser tes lèvres de Ménade.

 

Le chant de l’Adonis et l’hymne du Linos

Se mêleront aux parfums troubles de Paphos,

Et mes mains dénoueront ta ceinture d’opale.

Les feuilles neigeront sur l’or de ta sandale.

Tu viendras près des lacs où meurent les lotos,

Où viennent se baigner Adonis et Linos.

 

Là-bas, j’égrènerai mes rires de Faunesse

Que le souffle pesant des vendanges oppresse,

Et je saccagerai les lits et les vergers.

Viens, tu respireras l’odeur des orangers

Sur la couche où bondit mon automnale ivresse,

Viens, ton corps subira mes viols de Faunesse.

 

 

Gravités de la Solitude

 

Je vis dans le farouche exil

De la volupté qui s’isole.

Et le rythme de ta parole

Fait rire en moi les chants d’avril.

 

J’aspire les fraîcheurs nocturnes

Et la langueur de ton repos,

Dans l’ombre de tes yeux  mi-clos

Et sur tes lèvres taciturnes.

 

Le sanglot lointain des douleurs

Ne trouble plus la quiétude

De notre étrange solitude,

Ivre de musique et de fleurs.

 

Ah ! les soirs de fauve agonie,

Versant les rayons violets !

Ah ! les échos et les reflets

Des temples lascifs d’Ionie !



31/05/2013
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