Sahuqué (Blanche)... ... ... ... 1860-1912
Blanche Sahuqué
(1860-1912)
- Bordeaux
Nuances
En tons et demi-tons, mon coeur blasé s'invite,
En frissons nuancés il bat sur l'Infini;
L'achevé le déçoit. Il esquisse à demi
L'informulé latent, vague espoir qui l'irrite.
Ma pensée en spirale, à ses rythmes ténus,
Enroule des fils d'or où mon rêve s'égrène;
Les mots, trop lourds pour ma fantaisie incertaine,
Se changent en lueurs, en battements menus,
En fins miroitements aux multiples facettes:
Chatoiements de pensers, vibrations muettes,
Dont le réel absent écarte le souci.
Et c'est un jeu subtil que je savoure ainsi...
Et j'aime, pour goûter son prisme qui s'irise,
L'heure qui se recueille et qui s'idéalise.
Flambeau d'argent
Le grand flambeau d'argent où deux femmes s'enlacent
En un enroulement souple et voluptueux,
Où la cire, en brûlant, le long des soirs heureux
Tombe en gouttes d'amour sur les heures qui passent;
Le grand flambeau d'argent irradie à la nuit
L'immortelle Beauté qu'y cisela l'artiste,
Il mit, tendre poète, un rêve qui persiste,
Au beau bras qui s'élance, au doux torse qui fuit.
Et le geste est si pur, la grâce si lassée,
Le métal sinueux étreint si bien ces corps,
Qu'un souffle ardent parait les oppresser encor...
Et, moi-même, alangui de la longue veillée,
Je pose un oeil troublé sur le groupe qui dort,
Nostalgique regret de leur forme adorée.
Publié dans l'Anthologie critique des poètes, 1911, (Dans Gallica)
Soir de mai
Tais-toi, les choses se recueillent,
Le soir est grave et nonchalant;
Tout ce qui fait le jour vibrant
S'apaise et songe sous les feuilles.
Laisse, écoutons l'ardente voix
De la mer, dans la forêt sombre;
La tendre nuit est pleine d'ombres.
Et je les sens glisser sur moi.
Ombre de ma vie écoulée,
Ivresse et désenchantement;
Fruits pressés, moments par moments,
Qui font la jeunesse envolée.
Ombres des autres soirs d'été
Qui débordaient tous sur mon âme..
les premiers étés ! ô flamme !
De vous tous que m'est-il resté?
Ombres des tendresses passées,
Etreintes des yeux et des mains,
Sanglots, serments que les demains
Ont fait des roses trépassées...
Vous passez dans ce soir de mai,
Ombres des jours et des années,
Et la brise est empoisonnée
Par la mort des fleurs que j'aimais.
Fleurs perverses
Du col mièvre, opalin, effilé comme un cygne,
Emerge fièrement l'iris impérial,
Iris noir, fleur d'abîme, exotique, infernal,
Allie à l'orchidée une macabre ligne.
Et l'orchidée étrange est d'amoureuse chair,
Sa nacre palpitante et de grâce ambigüe,
Appelle le baiser d'une manière aigüe,
Baiser morbide, fou, comme un songe à l'éther.
Et ce couple de fleurs m'obsède, me tourmente:
L'orchidée et sa chair de plaisir vénéneux,
L'iris sombre, hautain, la face inquiétante.
Et dans l'ombre, où j'épuise un sommeil fiévreux,
J'y vois, s'offrant, lascive, impudique et troublante,
La femme, en fleur de joie au Désir ténébreux.
Anthologie critique des poètes
Bibliographie:
- Le chemin solitaire (1908)
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