Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Saint-Point (Valentine de) ... ... 1875-1953

Valentine de Saint-Point

(1875-1953)

enterrée au cimetière de l'imam El-Leissi (Le Caire) dans la tradition musulmane et sous le nom de Rawhiya Nour-el-Dine (« Zélatrice de la lumière divine »)

Consulter le blog d’Elodie Gaden, jeune chercheuse... sur la trace de Valentine de Saint-Point.

 

Lien vers les numéros de sa revue arabisante, "Le Phoenix"

 

1911

 

Un long article biographique signé Abel Verdier

dans les Annales de l'Académie de Macon, 1970-1971

 

 

- Futurisme

- Polémique avec Marinetti concernant le "statut" de la femme

- Antiféminisme

- Danse

- Soutien au nationalisme arabe

- Conversion à l'Islam

- proche de René Guénon (la gnose)

- Archives restées au Caire

 

 

Hymne au vent

 

Vent qui te glisse comme un traître

dans ma demeure avec la nuit,

je te hais. Subtil tu viens paître

mon songe, sous ton souffle il fuit.

 

Et voici venir les chimères!

Lentement s'entr'ouvrent les huis

devant des formes éphémères,

des larves, qu'en vain je poursuis.

 

Sur les larges yeux des fenêtres

s'ébattent des chauves-souris,

et ces vastes paupières d'êtres

rythment mes nerfs endoloris.

 

Immobiles, dans les ténèbres,

je vois l'Angoisse et la Terreur

fantômes fluides et funèbres

me menacer de leur horreur.

 

Des ailes, des pattes velues

qui se traînent sournoisement,

crispent mon âme et ma chair nues

hâves, mais ivres de tourment.

 

L'effroi sur mon coeur las s'incline

et l'endolorit; et retors

le vent écrase ma poitrine

du poids de son être sans corps.

 

Tandis que lugubres, gémissent

les râles des agonisants,

ceux des nouveaux-nés qui blémissent

sous l'étau des maux écrasants.

 

                          publié dans "Le Phoenix, revue de la Renaissance"

 


Valentine de Saint-Point dans

"Poètes  d'hier et d'aujourd'hui, par G. Walch (sup. de 1916)

 

 

 

 

Valentine de Saint-Point dans l'album Reutlinger

 

 

 


 

 

A la vie

 

Je suis digne de toi et digne de tes dons 

Amers ou doucereux: plaisirs, douleurs et joies; 

Avec la même force et de fiers abandons, 

Je les étreindrai tous comme de belles proies. 

 

Car pour moi tu es Une: harmonie et beauté. 

Je veux vibrer à tout: au léger vent qui passe, 

A l'eau qui coule et bruit, et à la cruauté 

Lâche de l'ouragan qui ravage et trépasse. 

 

Je veux mordre aux fruits mûrs, me griser de soleil, 

De clartés, m'alanguir dans toutes les ivresses: 

Corps à corps douloureux, parfums lourds, sang vermeil; 

Amasser tes trésors, épuiser tes richesses. 

 

Oui, je voudrais tout voir, tout goûter, tout sentir; 

Souffrir jusqu'au dégoût, jouir jusqu'à l'extase; 

Sangloter, haleter, hurler, m'anéantir; 

Boire à ta coupe d'or la pourpre qui m'embrase. 

 

Inconsciente et veule, en gémissant un jour, 

Je t'ai haïe, alors, mais jamais méprisée, 

Et mon cri de révolte était un cri d'amour. 

Pour toi, je n'aurai plus insulte ni risée. 

 

Car de tous les plaisirs, de toutes les douleurs, 

Mon être jaillira, renouvelé sans cesse. 

Tout éclatant de force et de jeunes chaleurs. 

Et d'une inextinguible et ardente allégresse.

 

Car sur mon âme vaste, en un rythme angoissant, 

Toute sensation semblable au flot immense. 

Hardi, tumultueux, passe l'élargissant 

Et la laissant toujours plus avide et intense. 

 

Mon corps ardent frissonne et tremble de désir, 

S'arque vers l'inconnu, arde, de toutes fièvres! 

Exalté, fier, superbe, il est prêt à saisir 

Les bonheurs irrêvés ou les brefs plaisirs mièvres. 

 

Qu'en moi, nard odorant, cassolette d'onyx, 

Mille formes de vie, essences parfumées. 

Flambent en un seul feu, qui jusqu'au jour préfix 

Brûle de son éclat mes passions sublimées. 

 

En une exaltation splendide je te veux. 

Car je t'aime et te hais, harmonieuse orgiophante 

De la mort, donne-toi dans des spasmes nerveux, 

O sublime ennemie! force triomphante! 

 

Quelques soient tes présents je te dirai: merci! 

Pesante de chagrin et de morne souffrance, 

Ou légère de joie et libre de souci. 

Pleurant ou délirant, j'irai sans défaillance 

 

La bouche douloureuse ou les lèvres inertes, 

Jusques à la mort, Vie, emplis mon œnophore; 

Et moi, ivre d'amour, les narines ouvertes. 

Les seins dressés vers toi, je te crierai: Encore! 

 

(Poèmes de la Mer et du Soleil.) 

 

 

Tryptique de ma mort

 

Lorsque j'aurai cessé d'interroger en vain,

toujours, l'impénétrable et sinistre mystère,

du chaos au néant, de la graine au levain,

des hommes et des dieux, du soleil, de la terre,

de l'amant que j'épie après qu'il a crié,

de tout autour de moi, de tous et de moi-même;

que lasse de guetter le Secret varié,

de me revoir dans tout, d'être de tout l'emblème,

j'aurai vécu la vie innombrable de l'Un;

lorsqu'à la sensation succédezra le rêve

qui se dissipera comme un subtil parfum

dans la dernière ardeur d'une jeunesse brêve;

lorsqu'ayant sangloté de révolte et d'amour,

je me tairai pour être à jamais impassible;

lorsqu'après le sommet, la pente du retour

devant moi s'étendra sans horizon ni cible

pour recréer ma force amante de l'écueil;

lorsque j'aurai perdu l'infini qui m'exhorte

à magnifier ma vie: la vigueur et l'orgueil;

lorsque je blémirai, lorsque je serai morte.

Pour vous qui m'aimerez, que mon corps soit sacré

tel le cadavre hautain d'une trop forte ivresse

que n'assoupit jamais l'âpre désir ancré

au coeur de mon instinct, torche de ma jeunesse.

Puisque superbement mon corps sous le soleil,

mon amant, a frémi, gardez-le de la boue

où grouille la vermine, et qu'il ne soit pareil

aux morts, dans la terre, où je défends qu'il échoue.

 

 

Donnez-le à la flamme, et que purifié,

désagrégé, chaleur vibrante d'étincelles,

violemment il devienne - à jamais délié

des racines de l'homme instables, éternelles -

pur principe de vie exprimé du trépas.

Et que l'air enfiévré caressant un jeune homme

ignorant mon destin et comment on me nomme,

lui arrache un grand cri qu'il ne comprendra pas.

 

 

Ou bien, sur un rocher, hissez haut mon squelette;

sans regret offrez-le à l'aigle et au vautour,

pour que mes os blanchis s'émiettent à leur tour,

étalant au soleil sa volupté secrète.

 

 

Ou plutôt emportez dans l'Océan ma chair

pour la replonger dans son essence première,

la matrice du monde. Et sous le soleil clair,

qu'elle soit élément et qu'elle soit Lumière.

 

Publié dans "Le Phoenix"

 

 

A la mort 

 

Même de toi, traîtresse, insidieuse mort. 

Je ne veux pas connaître, accepter la défaite. 

Des vaincus humiliés subir le mauvais sort. 

Je ne veux pas mourir sans être satisfaite. 

 

Non, certes, ta stupide et veule cruauté 

N'osera disperser lasuperbe harmonie 

De ma jeunesse en fleurs, sublime royauté 

Qui de haut te maudit, te ploie et te renie.

 

Tu crains les courageux, les orgueilleux, les forts, 

Semblables aux lâches vils,tu te traînes dans l'ombre, 

Ton squelette hideux sans muscles ni efforts 

S'attaque à la vieillesse. Il escompte et dénombre 

 

Chaque demi-cadavre aux corps déjà pourris 

Tout meurtris, tout sanieux, pliés, courbés par l'âge, 

Tu rêves de charniers saillants de piloris. 

Et ton rictus ricane à l'horrible assemblage. 

 

Moi je reste debout, ni faible ni jouet. 

De toi chienne affamée, errante,qui s'efface 

Elevant le maître fier, sa force et son fouet, 

Je ne redoute rien, et j'écrase ta face! 

 

Tu m'espères un jour sans force ni orgueil. 

L'air sournois et hideux, tu m'attends, tu m'épies: 

Chagrine, décrépie, attenante au cercueil, 

Ne te réjouis pas. Arrière aux utopies! 

 

Que ta bouche édentée en grimace unregret, 

Mais rien ne matera la grande révoltée 

Invaincue à jamais. Qu'importe ton décret 

A mon désir, à ma volonté indomptée?

 

Un jour, lorsque j'aurai tout aimé, tout connu, 

Su la sublimité du mal de la caresse. 

En superbe cadeau j'irai vers l'inconnu,

Te porter ma beauté, te donner ma jeunesse, 

 

A toi, dans un dernier geste de liberté, 

J'irai en conquérante et en dominatrice. 

Créancière d'autrui, devant moi sansfierté. 

Il faudra te courber, ô Mort! ma débitrice! 

 

(Poèmes de la Mer et du Soleil)

 

 

Hymne au soleil

  

Soleil, mâle de la terre, force de l'homme, 

Rut des bêtes, Roides dieux, accueillez ce nome!

 

Dispensateur de vie et de mort et d'amour, 

Chaleur, Lumière, Temps rythmant la nuit, le jour.

 

Vous, qui aspirant la plante, faites la terre, 

L'été plus douce à mes pieds, aux morts moins austère; 

 

Vous, qui baisant la mort, créez la puanteur. 

Le vers infect, l'insecte assassin et la fleur; 

 

Soleil, qui dans la loque ouvrez la dalmatique, 

Et dans l'âpre misère une grâce exotique; 

 

Qui, pour la joie humaine en l'immense décor, 

Epandez impalpable et pur et divin, l'Or; 

 

Soleil, qui posez tant de couleurs et de gemmes, 

Que la tête se courbe avide de diadèmes; 

 

Soleil, qui faites plus jeune et plus vif mon sang, 

Mes yeux plus éblouis, mon regard plus puissant; 

 

Mes cheveux d'orbruni, moins lourds sur ma pensée; 

Qui mettez dans mon âme une joie insensée; 

 

Et tant de force pour vivre et pour sustenter 

Mes passions, que j'étouffe et qu'il me faut chanter; 

 

Vous, qui par la caresse enivrez l'instinct, sève 

De ma chair, jusqu'à la danse ou bien jusqu'au rêve; 

 

Vous qui vaporisez. Soleil,un tel parfum 

Que, seule, je ne puis humer l'air opportun 

 

Soleil, mon corps est la forêt des tentacules 

Qui tous dressent vers Vous leurs spasmes majuscules; 

 

Et s'ils'agenouillait, ce serait devant Vous. 

Il vouscrie: Hosanna! Soleil, animez-vous! 

 

Mais de vous préférer parfois votre sœur l'Ombre, 

Son mystère plein de rêves où l'orgueil sombre,

  

Où ,vous immolant la chimère du Sommeil, 

Je chante votre gloire et votre éclat vermeil, 

          Pardonnez-moi, Soleil! 

 

(Poèmes de la Mer et du Soleil.)

 

Au soleil

 

Soleil, se peut-il donc que je ne sois pour Toi

Qu'une corolle que tu éclos et déflores,

Qu'une feuille tremblante, un fruit que tu colores,

Qu'un être inconscient qui te voit sans émoi?

 

Est-il possible que le parfum que tu mets

Sur ma peau en moiteur ne te soit davantage

Que l'odeur du lilas et celle de l'ombrage?

Que pour toi ma chair soit la neige des sommets?

 

Le bruissement de l'herbe et le cri des oiseaux

Autant que ma pensée ardente et créatrice

Te seraient chers! Ma voix ne serait que complice

Des rumeurs de l'insecte et des clameurs des eaux?

 

Soleil, se peut-il que tu n'aimes pas plus qu'eux

Mes chants harmonisés et qui rythment ta gloire,

Et que mes consciences, intuition, mémoire,

Ne t'émeuvent pas plus que leur instinct oiseux?

 

Est-il possible enfin que ton rayon vermeil

Ne s'attarde jamais sur ma chair désireuse

Avec plus d'amour et d'ardeur dévotieuse

Que sur le marbre froid et l'éternel sommeil?

 

Qu'un être s'offre à Toi, t'apportant avec lui

Fleurs, fruits, chants, toute la nature qu'il résume,

Que loin de t'accueillir comme tout a coutume

Avec insouciance ou sacrilège ennui,

 

Il voit ta beauté, l'adore et connaît tes dons;

Que pour mieux se donner il reste solitaire,

T'aime sans inconstance et sans yeux pour la Terre;

Que tant d'ardeur, d'amour et d'exaltations

 

Te laissent insensible

Soleil, est-ce possible?

 

Poèmes d'orgueil, 1908

 

 

Le Pantin et la Mort


La caverne était sombre et grande l’assemblée.
Au milieu, un pantin, objet de la veillée.
Chacune à son côté, près: moi-même et la Mort,
Chacune le tirant par un bras. Et mon sort
Etait clos en ce masque inanimé, si flasque!
Et, toute, je m’arquais, comme dans la bourrasque,
A la Mort, comme au vent, opposant ma vigueur
Que décuplait mon sang ardant d’être vainqueur.
Si mon effort cédait, certes j’étais perdue;
Ma volonté de vivre était toute tendue.

Mais, du pantin, la Mort arracha la moitié,
L’autre, en mes mains resta. Le peuple convié
Eclata d’un grand rire. Avec son laid trophée,
La Mort s’enfuit… Comment lire ma Destinée?

La foule, après la Mort, peu à peu disparut
A mes yeux sans pensée. Et quand le bruit décrut,
Je regardai ma part du pantin morne et veule,
Dans la caverne obscure, où je demeurai seule.

 

 

Les Pantins Dansent


Je mourrai, un jour de fête,
Alors que les pantins dansent.
Je n’entre pas dans leur danse,
Je ne fête pas leur fête.
Je mourrai, un jour de fête,
Alors que les pantins dansent.

Alors qu’ils crient et qu’ils hurlent
Tous, une gaieté prescrite,
Rien je ne crie ni ne hurle,
Même une vertu proscrite.

Et leur vacarme est si faux
Que je ne puis m’écouter.
Dans un factice, si faux,
Vie ne se peut écouter.

Mon silence, mort au bruit,
Silence pour quoi je vis,
Cela seul par quoi je vis,
Mon silence, mort au bruit.

Ma solitude est si lourde,
Amertume inguérissable!
Solitude riche et lourde,
Solitude inguérissable!

Je mourrai, un jour de fête,
Alors que les pantins dansent.
Je n’entre pas dans leur danse,
Je ne fête pas leurs fêtes.
Je mourrai, un jour de fête,
Alors que les pantins dansent.

 

 


Dédicace.

Femmes-enfants en proie aux attendrissements,
Qui sans sensation ne goûtez pas la vie,
Qui jouez avec tout sans en avoir l’envie,
Je n’écris pas pour vous, pour vos amusements.

Vieillards qui ne savez plus du désir la joie,
De l’étreinte l’ardeur, du plaisir la valeur ;
Vous que la mort effraie autant que la douleur,
Je n’écris pas pour vous sur qui je m’apitoie.

Amants de la mesure, ennemis du fortuit,
Que le rouge effarouche et qu’un éclair effraie,
Pour qui le voyage et la lutte sont l’ivraie,
Je n’écris pas pour vous, car vous dormez la nuit.


Je ne chante et n’écris que pour les jeunes hommes
Dont l’àme écoutera ma fière âme vibrer
D’angoisse et de triomphe, ivre de célébrer
La vie et le soleil, les forces autonomes,

La conquête et l’ardeur, les vouloirs et l’instinct,
Le mépris de la mort et l’amour de la force,
Tout ce qui vaut qu’on vive et vers quoi l’on s’efforce,
Ce qui est triomphal, ce qui est indistinct.

Je ne chante l’orgueil que pour les jeunes hommes
Dont la jeunesse exulte ou se meurt de désir,
Et je leur léguerai mes émois à choisir
Afin d’en animer leurs multiples fantômes.

Si mon sang épuisé dans mon immense essor
A su les émouvoir, qu’ils gardent ma pensée ;
Lorsque dans l’Univers je serai dispersée
Qu’ils me lisent le soir et m’écoutent encor.

Et trouvant en mes vers mon âme mise à nue,
Qu’ils rient de leur amante aux aspects enfiévrés,
Et vers l’ombre tendus murmurent enivrés :
« Cette femme, pourquoi ne l’ai-je pas connue ? »

 

 

 


 

 

Saint-Point - La Foule 01.jpg

 

 Saint-Point - La Foule 02.jpg

Publié dans "Le Cahier des Poètes", février mars 1912

 

 


 

Galerie de portraits (Gallica)

 

 

 

 

 

 

Saint-Point 0001.jpg

 

 

Bibliographie:

 

- Poèmes de la mer et du soleil, Vanier-Messein (1905)

- Les poèmes d'orgueil (1908)

- L'Orbe Pâle, Eugène, Figuière (1911)
- La Guerre, poème héroïque, Figuière (1912)
- La caravane des chimères, La Semaine égyptienne, Le Caire (1934)



18/07/2010
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