Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Sarrazin (Albertine) 1937-1967

Albertine Sarrazin

1937-1967

 


(Il y a des mois...)

 

Il y a des mois que j'écoute

Les nuits et les minuits tomber

Et les camions dérober

La grande vitesse à la route

Et grogner l'heureuse dormeuse

Et manger la prison les vers

Printemps étés automnes hivers

Pour moi n'ont aucune berceuse

Car je suis inutile et belle

En ce lit où l'on n'est plus qu'un

Lasse de ma peau sans parfum

Que pâlit cette ombre cruelle

La nuit crisse et froisse des choses

Par le carreau que j'ai cassé

Où s'engouffre l'air du passé

Tourbillonnant en mille poses

C'est le drap frais le dessin mièvre

Léchant aux murs le reposoir

C'est la voix maternelle un soir

Où l'on criait parmi la fièvre

Le grand jeu d'amant et maîtresse

Fut bien pire que celui-là

C'est lui pourtant qui reste là

Car je suis nue et sans caresse

Mais veux dormir ceci annule

Les précédents Ah m'évader

Dans les pavots ne plus compter

Les pas de cellule en cellule

 


 

(Lorsque je n'aurai plus...)

 

Lorsque je n'aurai plus les saxophones noirs

Je volerai la danse aux échos des kermesses

Lorsque sur le compte d'un conte de jeunesse

J'offrirai la tournée aux tendres au revoirs

 

Lorsque j'aurai un peu reniflé les printemps

Et tendu cette main qu'épelle la justice

Et de l'autre en riant dans le fauve calice

Lorsque j'aurai lavé les pieds joueurs du temps

 

Lorsque s'affranchira la terre en paradis

Je languirai pourtant les ivresses finales

Lorsque j'irai m'étendre aux genoux des étoiles

Lorsque j'oublierai la soif et l'oasis

 


 

(Lorsque tu t'en reviens)

 

Lorsque tu t'en reviens aux gens

C'est toujours un lit qu'ils te donnent

Les logeuses et les patronnes

Les médecins et les amants

Du berceau tout enguirlandé

Jusqu'à la couche mortuaire

C'est bien le pucier ma chère

Le meuble le plus demandé

 


 

(Paris aux yeux tristes)

 

Paris aux yeux tristes

Ciel inimité

En vain tourmenté

Des méchants artistes

 

Comme alors la reine

Je cours sans souliers

Aux blancs escaliers 

Qu'a noyés la Seine

 

Richesse complète

Avoir mon tombeau

Au fin fond de l'eau

Où Paris reflète

 


 

(Nous nous étions...)

 

Nous nous étions promis retour à la Saint-Jean

Pour marier d'amour nos routes vagabondes

Tu me reviendrais pâle avec les lèvres blondes

Toute peine finie avec le long printemps

 

Sous ma tranquillité cachant le bel émoi

Je m'étais maquillée à l'air des longs voyages

Mais au bar le miroir dénonça nos visages

Lorsque tu m'apparus debout derrière moi

 

La joie étincela au contact de nos mains

Et nous sommes allés filant la Fantaisie

Jetant à travers champs l'éternité choisie

Pour qu'elle nous revînt au bout des lendemains

 

Les amants ont franchi les feux porte-bonheur

Ils dorment souriants l'aube les illumine

Les yeux clos tu conduis mes doigts vers ta poitrine

Et je griffe des majuscules sur ton coeur

 

 

Albertine Sarrazin par Robinson Savary



28/09/2011
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