Scudéry (Madeleine), 1607-1701
Madeleine de Scudéry
1607-1701
Dans "La Perle ou Les femmes littéraires"...Anthologie de P. L. Jacob, Paris, Louis Janet éditeur, 1800
(Archive.org)
La tempête
(Dans "La Perle ou les femmes littéraires",, p. 32 par P. L. Jacob, 1800)
Nous perdîmes bientôt de vue et l'île d'Aurigny et les hauts rochers de Jobour, que l'on voit blanchir à la terre ferme, et, tournant d'abord la proue à main gauche, nous commençâmes de prendre la route du côté du levant.
Après avoir laissé l'Angleterre à droite, et côtoyé trois ou quatre provinces de France, nous commencâmes d'approcher des côtes d'Espagne et de ce fameux détroit qui la sépare de l'Afrique.
Tout d'un coup l'air devint obscur: un bruit sourd et confus commença de se faire entendre confusément, et du côté de la pleine mer et du côté de la terre; et le vent, s'échappant d'entre les montagnes, en vint soulever les flots, mêler les cordages, enfler trop les voiles, et faire gémir le vaisseau sous la violence des vagues qui le heurtaient.
D'abord le pilote essaya de résister à la tempête en lui cédant et en faisant tourner le timon tantôt à droite, tantôt à gauche; mais l'orage étant enfin plus fort que son art, et le bruit des flots et des vents, de la pluie, de la grêle et du tonnerre, empêchant les matelots de s'entendre et de pouvoir faire les manoeuvres qu'il leur commandait, il fallut qu'il quittât le gouvernail, que l'on amenât les voiles, et qu'on s'abandonnât absolument à la conduite de la fortune.
Mille fois les vagues enflées élevèrent notre navire jusque dans le ciel, et mille fois les vagues fendues le laissèrent retomber avec elles jusque dans l'abîme. Quoique la nuit eût usurpé l'empire du jour, après avoir été quelque temps sans rien voir et dans une obscurité très profonde, tout d'un coup les éclairs, remplissant tout l'air obscurci d'un feu serpentant et prompt, faisaient voir des montagnes de flots noirs et des montagnes blanches d'écume qui, s'entassant les unes sur les autres et s'avançant rapidement en roulant et en tournoyat, venaient heurter le navire successivement avec tant de furie qu'il n'y avait pas lieu de douter qu'elles ne dussent l'engloutir. Et puis ce feu subit, s'éteignant subitement, remettait tous ces horribles objets dans des ténèbres encore plus noires et plus épaisses qu'elles n'étaient auparavant: tant il est vrai que les contraires opposés servent à se faire paraître l'un l'autre, et ainsi, après avoir tout vu, nous venions à ne plus voir rien, tant cette obscurité était profonde. Un vent nous poussait en avant, un autre nous repoussait en arrière: un vent nous emportait à droite, un autre nous ballottait à gauche, et un autre encore plus capricieux que tous ceux-là enveloppait le vaisseau et le pirouettait un quart d'heure. Du fond des rochers caverneux la mer poussait comme de longs gémissements capables de transir de crainte l'âme le plus assurée: les vents, glissant entre les cordages et retentissant entre les tillacs, où ils entraient et sortaient, mêlaient encore à ce premier bruit un sifflement épouvantable; et tous les mâts, ébranlés et prêts à rompre par de si rudes secousses, semblaient encore gémir sous l'effort de ce démon invisible qui les agitait. Tout le ciel et toute la mer paraissaient comme un mélange de feu, de noir, de blanc et de bleu, dont la confusion eût remis en mémoire celle du chaos, si l'esprit eût été assez libre pour s'en retracer l'image. Un autre vent souterrain soulevait le sable du fond de la mer à gros tourbillons, et le roulait confusément parmi les ondes. Comme les vagues de la mer s'élevaient jusqu'aux cieux, il tombait aussi des cieux comme une mer à grosses vagues, et notre malheureux vaisseau bondissant entre ces deux mers, dans le même temps qu'il était couvert de la flamme des éclairs et de celle du tonnerre, nous eûmes lieu de douter si nous allions périr par un naufrage ou par un embrasement; et, durant quelques instant, nous ne sûmes lequel du feu ou de l'eau serait notre sépulture.
Cependant un grand coup de mer ayant heurté et brisé toute la proue de notre navire dans le même temps que la foudre en mit en pièces toute la poupe, l'eau commença d'y entrer à gros bouillons par l'un et l'autre bout. Tous les mariniers jetèrent des cris hideux et épouvantables; et, dans le même temps, cet infortuné vaisseau, touchant contre la pointe d'un rocher, s'y brisa comme du verre, avec un bruit éclatant et un fracas horrible, et l'impitoyable mer engloutit pêle-mêle, dans ses vastes et profonds abîmes, cordages, voiles, planches brisées, mâts rompus et gens noyés.
Sur son portrait
Nanteuil, en faisant mon image,
A de son art divin signalé le pouvoir;
Je hais mes yeux dans mon miroir,
Je les aime dans son ouvrage.
Madrigal
Tircis vous apprend des chansons
Où le coeur s'intéresse;
On dit qu'il y joint des leçons
Qui parlent de tendresse:
Fuyez ce charme séducteur,
C'est un plaisir funeste;
L'oreille est le chemin du coeur,
Et le coeur l'est du reste.
Réponse à un madrigal, où on la traitait d'immortelle
Quand l'aveugle destin aurait fait une loi
Pour me faire vivre sans cesse,
J'y renoncerais par tendresse,
Si mes amis n'étaient immortels comme moi.
Comparaison
De la beauté et de la vertu
La fleur que vous avez vu naître,
Et qui va bientôt disparaître,
C'est la beauté qu'on vante tant;
L'une brille quelques journées,
L'autre dure quelques années,
Diminue à chaque instant.
L'esprit dure un peu davantage,
Mais à la fin il s'affaiblit;
Et s'il se forme d'âge en âge,
Il brille moins plus il vieillit.
La vertu, seul bien véritable
Nous suit au-delà du trépas;
Mais ce bien solide et durable,
Hélas! on le cherche pas.
Réponse de Mlle de Scudéry à l'ode (attachée à la guirlande) que lui avait adressée Mlle de la Vigne en guise de compliment pour le prix d'éloquence décerné en 1671 par l'Académie Française.
Réponse à l'illustre secrétaire des dames,
quel qu'il puisse être
D'où viennent ces lauriers si verts, si précieux?
Sortent-ils de la terre, ou tombent-ils des cieux?
Et d'où partent ces vers pleins d'esprit et de grâce,
Dont le tour délicat tous les autres efface?
Généreux inconnu, pourquoi vous cachez-vous?
Le plaisir d'obliger est un plaisir si doux!
Je vous cherche partout et ne vous puis connaître;
Etes-vous mon ami, ne le pouvez-vous être?
Vous contenterez-vous de n'être qu'estimé?
Car, ne se montrant pas, on ne peut être aimé.
Soyez du moins jaloux de votre propre ouvrage.
Nos plus rares esprits viennent lui rendre hommage;
Il n'a qu'un seul défaut qui se corrigera;
Mettez-y votre nom, rien ne lui manquera.
La tubéreuse
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Des bords de l'Orient je suis originaire;
Le soleil promptement peut se dire mon père;
Le printemps ne m'est rien, je ne le connais pas,
Et ce n'est point à lui que je dois mes appas.
Je l'appelle en raillant le père des fleurettes,
Du fragile muguet, des simples violettes,
Et de cent autres fleurs qui naissent tour à tour,
Mais de qui les beautés durent à peine un jour.
Voyez-moi seulement, je suis la plus parfaite:
J'ai le teint fort uni, la taille haute et droite,
Des roses et du lis j'ai le brillant éclat,
Et du plus beau jasmin le lustre délicat.
Je surpasse en odeur et la jonquille et l'ambre,
Et les plus grands des rois me souffrent dans leur chambre.
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Protestation que Mademoiselle de Scudéry fit, au nom des filoux, contre la requête des amants proposée par Mlle de la Vigne, son amie.
Prince, dont le nom seul fait trembler tous les rois,
Suspendez un moment la rigueur de vos lois;
Souffrez que les voleurs vous demandent justice
Contre de faux amants tous remplis d'artifice:
A les entendre, ils sont fort maltraités,
Nous nous opposons seuls à leurs félicités,
Nous troublons leurs plaisirs, les nuits les plus obscures
N'ont plus pour leur amour de douces aventures:
Où sont-ils les amants que nous avons volés?
Commandez qu'on les nomme, et qu'ils soient enrôlés
Hélas! depuis dix ans que nous courons sans cesse,
Nous n'avons pu trouver ni galant ni maîtresse;
Et pour notre malheur, nous n'avons jamais pris
Ni portraits précieux, ni bracelets de prix:
En vain, sans respecter plumes, soutanes, crosses,
Nous avons arrêté et chaises et carrosses;
Nous ne trouvons jamais où s'arrêtent nos pas,
Que plaideurs, que joueurs, que chercheurs de repas,
Que courtisans chagrins, que chercheurs de fortune,
Dont la foule, grand roi, souvent nous importune,
Mais de tendres amants, vrais esclaves d'amour,
On en trouve la nuit aussi peu que le jour.
C'était au temps jadis que les amants fidèles,
Pour tromper les Argus, montaient par les échelles;
Qu'on les volait sans peine au premier point du jour,
Et qui cachaient leur perte autant que leur amour.
Sous votre grand aïeul, d'amoureuse mémoire,
Les filoux nos aïeux, célèbres dans l'histoire,
Ne passaient pas de nuit sans prendre à des amants
Des portraits enrichis d'or et de diamants;
Et chacun sans placet, sans tant de doléance,
Rachetait son portrait et payaient le silence.
C'est ainsi qu'on aimait en ce siècle si doux,
Sous un prince charmant qu'on voit revivre en vous.
Mais aujourd'hui qu'Amour daigne suivre la mode,
Que le moindre respect passe pour incommode,
Nous trouvons tout au plus quelques pauvres coquets
Qui n'ont jamais sur eux que des madrigalets;
Ils courent nuit et jour, se tourmentent sans cesse,
Sans jamais enrichir ni voleur ni maîtresse;
Qu'ils marchent hardiment, ils font peu de jaloux,
Et n'ont à redouter ni maris ni filoux.
Pour tous leurs rendez-vous, ils peuvent prendre escorte,
Sans besoin de la nuit ni de la fausse porte;
Mais la licence règne avecque tant d'excès,
Qu'ils ôsent bien se plaindre et donner des placets; (demande...de faveur)
Ne les écoutez pas, ils sont pleins d'artifice,
Prononcez cet arrêt tout rempli de justice:
Un amant qui craint les voleurs
Ne mérite point de faveurs.
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