Ségalas (Anaïs) 1814-1893
Anaïs Ségalas
Les morts (extraits)
J'étais au cimetière et j'y rêvais un soir.
Regardant les tombeaux et les croix de bois noir.
Et tous les noms gravés, noms de cendres humaines!
Je marchais au milieu de deux files de morts,
Songeant que je sentais, seule entre tous ces corps,
Un coeur dans la poitrine et du sang dans les veines.
... Le ciel resta voilé. "Que deviennent les morts?"
Dis-je aux tombeaux: je vis dans les fosses, alors,
Des chairs où mille vers font des festins profanes,
De longs squelettes creux, des corps de marbre blanc,
De la poussière d'homme; et je crus, en tremblant,
Lire le mot néant écrit sur tous les crânes.
- Je disais: "Les morts n'ont que la tombe glacée,
Nul n'est dans ce ciel vide; et, dans leur trou profond,
Nul désir, nul penser, n'éclosent sous leur front;
Ces cerveaux s'en allant en poussière, ce sont
Les cadavres de leur pensée.
... Ils ont les os disjoints et l'orbite béant,
Un crâne aux larges trous, des dents sans lèvres roses,
Des membres dont la chair tombe et se décompose:
Etres à part, sans nom, ils sont plus qu'une chose,
Moins qu'un homme; ce sont les hommes du néant.
... Oh! penser qu'on ira dormir parmi ces morts!
Qu'on aura ces os nus, cette forme incomplète!
Oh! sentir, en touchant ses membres, que son corps
N'est qu'un masque de chair posé sur un squelette!...
Un nègre à une blanche
O blanche, tes cheveux sont d'un blond de maïs,
Et ta voix est semblable au chant des bengalis!
Si tu voulais m'aimer, ce serait douce chose!
Un peu d'amour au noir, jeune fille au teint frais:
Le gommier n'a-t-il pas, dans nos vastes forêts,
Sur son écorce brune une liane rose!
Un nègre a sa beauté: bien sombre est ma couleur,
Mais de mes dents de nacre on voit mieux la blancheur;
Tes yeux rayonnent bien sous tes cils fins, longs voiles,
Mais regarde! les miens ont un éclat pareil:
Ton visage est le jour, tes yeux c'est le soleil;
Mon visage est la nuit, mes yeux sont des étoiles!
Sois ma compagne: au pied du morne que voilà,
Vois ce petit carré de manioc; c'est là
Que pour te recevoir, j'ai préparé ma case:
Ton hamac de filet, de plumes est orné;
De peur qu'un maringouin à ton front satiné
Ne touche, je t'ai fait la moustiquaire en gaze.
Viens; je te donnerai tous mes cactus en fleur,
Et je te cueillerai des fruits pleins de saveur,
Goyaves, ananas. Oh! suis-moi, blanche femme,
Afin que je te serve et te parle à genoux!
Qu'importe ma couleur, si je suis bon et doux,
Et si le noir chez moi ne va pas jusqu'à l'âme!
Si tu veux, pour t'avoir coquillage et corail,
Un oiseau-mouche, oiseau d'escarboucle et d'émail,
J'irai dans la savane et près des tièdes lames,
A l'heure où s'enfuirait le blanc le plus hardi;
Lorsque de tous côtés la chaleur de midi
Enveloppe le corps, comme un manteau de flammes.
O blanche, tes cheveux sont d'un blond de maïs,
Et ta voix est semblable au chant des bengalis!
Si tu voulais m'aimer, ce serait douce chose!
Mais quoi! tu fuis le noir, jeune fille au teint frais;
Oh! plus heureux que moi, le gommier des forêts
Sur son écorce brune a sa liane rose!
Poésies diverses (1836)
Paris
Ma ville de beauté, ma ville de splendeur,
Que j'aime tes cent bruits de voitures, de foule!
J'entendis, tout enfant, ta voix qui crie et roule:
C'est une voix de mère, et d'amie, et de soeur;
De ces voix qui ne sont que chant et que merveille,
Qui peuvent arriver bruyantes à l'oreille,
Mais sont toujours douces au coeur!
Oh! je t'aime, malgré tes ruisseaux, où la roue
Se noircit, tes égouts et tes pavés boueux!
Ton front est pailleté de brillans lumineux,
Orné de frais rubans, de gaze où le vent joue,
De plumes, de dentelle au parfum de boudoir;
Et l'oeil s'arrête là, sans se baisse pour voir
Si tu mets tes pieds dans la boue!
J'aime tes bataillons de maisons au toit noir!
Chacune est animée et vit; des yeux rayonnent
Près de chaque fenêtre, et mille voix bourdonnent
A chaque étage; au ciel un soupir, un espoir,
Monte avec chaque feu qui s'envole en fumée;
Une âme brûle avec chaque lampe allumée
Qui reluit aux vitres le soir.
Mais je te sais, Paris, visage à double face,
Grand habit d'arlequin, gazon vert et bourbier:
Ton bon peuple sait tout, mais ne sait plus prier;
Quand il veut voir le prêtre, au théâtre il se place;
Au riche, un voleur prend du sang avec de l'or;
Le pauvre a des greniers au sombre corridor,
Où l'on a toisé l'air, et le jour, et l'espace;
Mais, va, ton paradis est près de ton enfer:
Que l'hiver fastueux jette un monde splendide
Dans tes salons brillans, comme un palais d'Armide,
Qu'il passe quelque femme au front coquet et fier,
Ou qu'un poëte chante, on oublie, on admire...
Un chant couvre parfois bien des cris de martyre,
Et quelques grains d'encens parfument bien de l'air.
....................
Avec ton ciel changeant, pâle au coeur du poëte,
Tes hivers froids et longs, je te préfère, moi,
Parce que tes défauts, vois-tu, c'est encor toi!
Oui, je t'aime, élégante à la fraîche toilette;
Je t'aime, noble dame au cortège doré;
Je t'aime, jeune folle à l'air évaporé;
Je t'aime, enchanteresse à la riche baguette!
Bibliographie:
- Les Algériennes, 1831
- Les oiseaux de passage, 1836
- Poésies,; Enfantines; Poésies à ma fille, 1844
- La Femme, 1847
- Nos bon Parisiens, 1866
- Poésies pour tous, 1886
- Jeanne d'Arc, 1889
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