Siefert (Louisa) 1845-1877
Page blanche
Qu'écrire ? Vierge encor la page est sous mes doigts,
Prête à tout elle attend mon caprice. — Autrefois
La chantante élégie en mon cœur murmurée,
Source qui débordait de la vasque nacrée,
S'épanchait d'elle-même en vers doux et naïfs.
Les doutes, les soupçons, les aveux, flots furtifs
Qui jasent et s'en vont aux pentes inconnues,
S'échappaient nuit et jour en strophes ingénues ;
Le rêve, interrompu la veille, reprenait,
L'accent, confus d'abord, se répétait plus net,
Une larme coulait d'un sourire effacée ;
L'espérance passait légère, et ma pensée
S'égarait aux détours charmants du souvenir.
Maintenant, je n'ai plus de pleurs à retenir.
Plus de folle espérance à qui couper les ailes,
Plus d'angoisses traînant la colère après elles,
Plus d'effroi, de souci, d'amertume, plus rien !
Autrefois, les accords du grand musicien
Amour faisaient vibrer les cordes de mon âme ;
Maintenant, le foyer triste n'a plus de flamme,
Le musicien meurt, et l'instrument forcé
Ne rend plus qu'un son mat quand chante le passé.
Août 18… Rayons perdus
Pourquoi?
Pour la première fois, quittant votre air morose,
Vous m'avez, hier soir, donné le bras. Tandis
Que j'allais près de vous ainsi, comme jadis,
J'ai senti contre moi palpiter quelque chose.
Mon visage soudain est devenu tout rose ;
Vous m'avez demandé ce que j'avais, je dis
N'importe quoi… : Mon Dieu ! c'était mon paradis,
Dont la porte s'ouvrait quand je la croyais close.
J'écoutais, j'écoutais (hélas ! le saviez-vous ?)
Votre cœur, sous ma main, qui battait à grands coups,
Et je vous regardais, disant : Il ressuscite !
Mais l'effroi s'abattit alors sur moi, plus vite
Qu'une pierre qui tombe en un lac… Oh ! pourquoi
Ton cœur bat-il si fort s'il ne bat pas pour moi ?
26 Juin 18… Rayons perdus
I.
Enfin, voici la pluie & les brumes d'automne !
Le temps est presque froid. Le soleil radieux
Depuis hier au soir nous a fait ses adieux ;
Le ciel, d'un bout à l'autre, est d'un gris monotone.
Sous les arbres feuillus l'ombre se pelotonne,
Bleue et tranquille ; un jour aveuglant, odieux
Cesse de l'accabler de traits insidieux ;
Dans l'accord des couleurs pas une ne détonne.
Le regard ébloui de trop vives clartés,
Brûlé par la splendeur des rayonnants étés,
Se détend, se repose & contemple, paisible,
Les arbres estompés, les contours amollis,
Le vallon qui se creuse en mystérieux plis,
Et l'horizon rendu par la pluie invisible.
II.
Quand on a l'âme sombre et le cœur angoissé,
Ces aspects adoucis, ces tons mélancoliques,
Que voilent à demi des hachures obliques
(Impalpable réseau d'un faible vent poussé),
Cette nature en deuil, ce feuillage froissé,
Ces teintes d'un vert glauque aux reflets métalliques,
Cette pluie au moment des ardeurs idylliques,
Vous conviennent bien mieux que le beau temps passé.
L'été, c'est le bonheur, la joie & la lumière,
L'épanouissement sans crainte de l'esprit
A qui tout ici-bas & dans le ciel sourit.
L'été, c'est la jeunesse en sa verdeur première,
C'est la santé robuste & l'amour insensé…
Et moi, j'ai l'âme sombre & le cœur angoissé.
Rayons perdus
Désir
"O volupté de vivre, ô volupté d'aimer"
{André Theuriet}
Oh! refaire des vers, laisser le rire éclore,
Retrouver frais et purs les rêves d'autrefois,
Reprendre ma jeunesse au printemps, à l'aurore,
Et refleurir soudain avec l'oeillet des bois.
Puis, lorsque sur mon front redressé, la ramure
Jettera son réseau mêlé d'ombre et de jour,
Que chaque nid aura son hymne ou son murmure,
Rouvrir mon coeur au doux chanteur divin, l'amour!
Enfin, comme le lac insondable et limpide,
Où le soleil se joue en longs rayons joyeux,
Sous l'éblouissement d'un seul regard rapide,
Réfléchir de nouveau tout le ciel dans mes yeux!...
Les Ormes, février 187... Poésies inédites
Ce soir quand la ville engourdie...
I
Ce soir, quand la ville engourdie
S'éveille à l'heure où le jour fuit,
La strada se remplit de bruit,
Le golfe au soleil s'incendie.
Et par l'ombre enfin enhardie,
Dès que Venus dans le ciel luit
Au premier souffle de la nuit
S'ouvre la fenêtre agrandie.
Les enfants sont là, seuls, en deuil :
De sa frêle voix cristalline,
Bébé chante : « A la Mergelline... »
Ninon guette leur père au seuil,
Et, laissant les jeux éphémères,
Margot songe aux devoirs des mères.
II.
Car, ô pauvres parents navrés,
Si l'enfant bien-aimé succombe,
Vous suivez presque la colombe
Dans son vol aux cieux azurés,
Et vous savez que vous irez
Rouvrir bientôt pour vous sa tombe ;
Mais, quand c'est la mère qui tombe
Laissant les siens désespérés...
Celui qu'un tel chagrin dévore,
En deuil aussi, plus seul encore,
Au retour sonde l'horizon.
Père, époux, sa peine est pareille :
Ses enfants, nul ne les surveille,
Et plus de femme à la maison !
Les Stoïques
Automnales
Doux vents d'automne, attiédissez l'amie!
Sainte-BeuveI.
Voici les vents du sud qui font tomber les fruits
Et s'entr'ouvrir parfois les âmes plus aimées.
Ils passent sur mon front en ondes parfumées,
Hérauts des souvenirs & des espoirs détruits.
Chaque feuille qui vole aux désirs éconduits
Me ramène. J'entends bruire les ramées
Comme les mille voix confuses, animées,
Des rêves dont les cœurs de vingt ans sont séduits.
Que veulent-ils, ces vents qui font courber les branches,
Qui tendent le ciel bleu de fines gazes blanches,
Et gonflent le raisin de soupirs attiédis ?
Que veulent-ils encore à cette âme songeuse
Qu'ils appellent, captive aux essors interdits,
Et qui brise aux murs clos son aile voyageuse ?
II.
O nature, pourquoi ces sentiers ombragés
Qu'on dirait faits exprès pour y passer ensemble ?
Pourquoi l'écho tapi dans les bois, & qui semble
Attendre, curieux, les aveux échangés ?
Pourquoi les chants du nid aux buissons bocagers,
La ronce s'enlaçant au tronc svelte du tremble,
Au lys, comme un baiser, la goutte d'eau qui tremble,
Ces souffles, de l'Amour trop subtils messagers ?
Pourquoi ? Sinon qu'en tes maternelles tendresses,
Il te plairait d'unir toutes les allégresses,
De mêler notre joie a l'extase des cieux.
Il n'est rien, pour nous rendre heureux, que tu ne veuilles,
Et bientôt, exauçant nos vœux capricieux,
Voici les vents du nord qui vont mordre les feuilles.
III.
Mais vents du nord ni vents du sud n'y feront rien ;
Nous ne serons jamais heureux. Les solitudes
Prennent en vain leurs plus tranquilles attitudes ;
Le lys des près en vain s'en fait le doux gardien.
En vain le sentier ouvre au discret entretien
Ses retraits tout remplis de molles quiétudes ;
Ni les déloyautés, ni les ingratitudes
Ne lâcheront le cœur serré de leur lien.
L'homme voit partout l'homme, & son âme abattue,
A l'haleine du mal qui l'opprime & la tue
Ploie & cède vaincue en sa stérilité.
Car tous les ceps n'ont pas de grappes savoureuses,
Je sais des fleurs sans graine & des ciels sans été,
Et sans cher avenir des jeunesses fiévreuses.
IV.
J'ai tort, n'est-il pas vrai ? jours exquis, jours dorés,
De forcer mon esprit jusqu'à ce qu'il oublie
Les trésors de langueur & de mélancolie
Qu'a vos poëtes seuls en ce mois vous offrez.
Que sont auprès de vous, ô concerts ignorés,
Les bruits dont mon oreille est maintenant remplie,
Et l'humaine raison, & l'humaine folie,
Et dans tous nos échos nos vers plus admirés ?
Le ruisseau qui s'égrène en rondes gouttelettes,
La fleur qui livre au vent ses fraîches cassolettes,
Le sentier qui s'en va tout rêveur devant lui,
Le nuage, l'oiseau, le rayon, ce qui doute
Et ce qui change, tout parlerait aujourd'hui...
-Oui, mais le cri d'amour du monde qu'on écoute !
Septembre 18... Les Stoïques
Soir d'hiver
L'eau pleure au clair bassin des larmes de cristal,
Le pré s'est revêtu d'une robe argentée,
Des lueurs ont blanchi le ciel oriental
Et la lune apparaît dédaigneuse & lactée.
Le vent souffle du nord & le froid est fatal.
Malheur à qui n'a pas de demeure abritée,
Où la bouilloire au feu dit son chant de métal !
Malheur à qui suit seul la route désertée !
La terre est dure à l'homme & la mort est dans l'air.
Et tandis que par l'astre atteint d'un blanc éclair
Tout mur se dresse ainsi qu'un monument de marbre,
Telle qu'une âme prête à s'en aller d'ici,
Sur le bois noir, au bord de l'horizon, voici
Vénus comme une flamme entre les branches d'arbre.
Les Stoïques
Soleils couchants
Chancelants et courbés sous le poids des années,
Par l'ouragan d'hiver plantes déracinées,
Ils sont vieux tous les deux. L'un près de l'autre assis
Ils écoutent au loin des chansons & des rondes,
Et regardent sauter des fraîches têtes blondes
Sur les grands tas de foin par le soleil roussis.
Les enfants sont en joie et la nature en fête.
Baignés d'ombre à leurs pieds, de rayons à leur faîte,
Les arbres du verger contemplent, eux aussi,
Ces générations nouvellement écloses,
Et calculent tout bas combien de lèvres roses
Ils ont entendu rire ainsi.
Ah ! le temps s'en va vite en son cours monotone !
Voici bientôt venir le cinquantième automne,
Le jour anniversaire où jadis ces époux
Se sont promis de vivre & de mourir ensemble.
Elle était svelte alors ainsi qu'un jeune tremble,
Lui rieur, éloquent, à la fois fier & doux.
Ils sont seuls maintenant à se donner encore
Les noms de leur jeunesse (ô vieux reflet d'aurore !),
A se remémorer les faits des temps passés,
Disant : « T'en souvient-il ? » ou bien : « Je me rappelle…»
Car tous ceux qu'ils aimaient & que leur voix appelle
Se sont peu à peu dispersés.
Hélas ! et chaque ride à leur tempe imprimée
Est comme le tombeau d'une mémoire aimée.
Mères, parents, amis, par la mort emportés,
Sont tombés autour d'eux. Comme aux forêts prochaines
Reste parfois debout un seul groupe de chênes
Surgissant au milieu des troncs décapités,
Ou bien comme l'on voit au soir d'une bataille
Deux compagnons, portant au sein plus d'une entaille,
S'appuyer l'un sur l'autre & s'entre-soutenir,
Ils attendent, exempts de crainte & de murmure,
De descendre au caveau que l'Éternité mure
Pour le sommeil sans souvenir.
Car ils ont maintenant tous les deux conscience,
Elle, par sa tendresse, & lui, par sa science,
D'avoir accompli l'œuvre où Dieu les appelait.
Et les fils de leurs fils, les filles de leurs filles,
Fondant pour le Seigneur de nouvelles familles
Dont les fronts inégaux forment un chapelet
Où la perle sans tache est d'une autre suivie,
S'avancent à leur tour au chemin de la vie.
Les vieux peuvent partir calmes & triomphants :
Leur nom, qu'à cause d'eux toute la contrée aime,
Est porté dignement et le sera de même
Par les enfants de leurs enfants.
C'est une chose auguste et vraiment solennelle
De voir ces vieillards blancs de la neige éternelle
Garder encor leur doux sourire d'autrefois.
On dirait le rayon de pourpre lumineuse
Que le soleil couchant de l'automne vineuse
Jette aux glaciers sereins sous leurs cieux déjà froids.
L'amour, qui les unit voici cinquante années,
Avec la chaste odeur qu'ont les roses fanées,
S'exhale de leur cœur comme un souffle enchanté ;
Et la foi, qui soutint leurs âmes éprouvées,
Qui raffermit leurs mains vers le Seigneur levées,
Les baigne d'immortalité.
Graves des maux soufferts et des peines passées,
Confondant leurs regards, leurs soupirs, leurs pensées,
Tels ils sont à présent, tels ils furent toujours.
Leur jeunesse de cœur survit à la tempête
Qui fait trembler leurs pas ou s'incliner leur tête ;
Et si le temps n'a plus que des moments bien courts
A leur prêter encor, comme dans la vallée
D'un feu d'herbes des champs monte une flamme ailée
Qui jette au vent du soir un parfum pour adieu,
Lorsque l'heure viendra de leurs deux agonies,
Ils s'en iront ensemble, âmes toujours unies,
Dans la paix des enfants de Dieu !
Janvier-Mars 18… Rayons perdus
A MADAME JAUBERT
J'aime le fruit très mûr que l'abeille a mordu
Les roses de Noël par la neige froissées,
Le chaud rayon doré dans l'ombre confondu.
Et l'éclat adouci des parures passées.
Ainsi l'appel lointain du coeur seul entendu
Nous rouvre en souriant les routes effacées,
Et de tout ce qui fut l'amour. rien n'est perdu
Tant que son frais parfum attendrit nos pensées
Ainsi vos yeux. Madame, au long regard subtil.
Soir d'automne charmant plus qu'un matin d'avril.
Font que le temps lui-même auprès de vous s'attarde ;
Ainsi connue bercé par le flot enchanté.
Au son de votre voix rêvant votre beauté.
On oublierait la vie alors qu'on vous regarde.
Bibliographie:
- Rayons perdus, Paris, 1868. —
- L'Année Républicaine, recueil de 12 petits poèmes dédiés à V. Hugo, Paris 1869.
- Les Stoïques, Paris, 1870.
- Les Saintes Colères (brochure), Paris, 1871. —
- Comédies romanesques, Paris, 1872.
- Poésies inédites, Paris, Fischbacher éd., Paris, 1881.
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