Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Sodenkamp (Andrée) 1906-2004

Andrée Sodenkamp

1904-1997

 

 Poèmes publiés dans l'anthologie de Jeanine Moulin

 

 

Don Juan

 

Tu ne fus rien, pas même un coeur de peu de temps,

Un jeu de femmes nues sur ta pensée d'amant

Mêle de lourds cheveux ouverts comme un automne.

La roue du paon qui tourne en ton coeur monotone.

 

On te respire comme un lit. Tu crois qu'on t'aime.

On te boit, ô Juan, sur ta bouche d'oubli.

On se couche sur toi pour rêver à soi-même,

On te perd, on te gagne aux dés, comme un pari.

 

Tu es tout ocellé de tristes bouches peintes,

T es tout traversé d'appel et sourd de plaintes

Qui ont crié sur toi comme à travers la mer.

Un jour tu seras vieux, ta chair sera la terre

Où dorment trop de mortes.

Tu seras ce hochet de plaisir qu'on emporte...

 

Sais-tu, malgré ton feu, combien court est ton temps,

Que de femmes sont nées dont tu n'es pas l'amant,

Que blessé mille fois aux dents de tes mortelles,

Tu t'en iras, Juan, juste avant la plus belle.

 

 

 

Quand j'entrerai pour toi

 

Quand j'entrerai pour toi dans mon métier de veuve

J'aurai ces vêtements aux longs plis assemblés,

La démarche sans peur qui porte cette preuve

Qu'un corps souvent étreint a cessé de trembler.

 

J'aurai le pas d'épouse et le ventre des mères

Où le tablier bleu fait de beaux plis profonds,

Mes cheveux blancs seront la couronne sévère

Que tes doigts amaigris ont posée sur mon front.

 

Je serai la fermière épaisse qui assume

La tâche d'accomplir l'ordre de chaque jour,

J'aurai perdu l'enfant, les soucis, la coutume

De préparer le pain et le lit et l'amour.

 

J'irai dans le jardin tondre l'herbe légère.

Je taillerai la rose et l'arbre du verger

Je te raconterai aux bêtes familières

Mon flanc se creusera, le soir, pour te chercher.

 

Près du feu partagé, j'allumerai la lampe

Et nous nous parlerons de la paix de mes jours

Je deviendrai pour toi, la tranquille flamande

Qui met des volets verts à son dernier amour.

 

 

 

Je fus cette jeune Eve

 

Je fus cette jeune Eve à la droite de Dieu

Tremblante d'être née, encor prise de songe

Qui ouvrait pour se voir de beaux yeux paresseux

Et regardait bouger le péché dans son ombre.

 

Je sortais toute raide et douce de l'enfqnce,

Ah! que je t'aurais plu en ces premiers baisers.

M'étirant de langueur sous la plume de l'ange

Je n'avais d'âme encor au'en son premier quartier.

 

Mais t'aurais-je gardé aux temps de ma jeunesse?

Je pèserais si peu en tes profonds désirs

Si je n'avais ce port hardi des pécheresses,

Cette lèvre mouillée aux larmes du plaisir.

 

 

Je n'aimais qu'un visage

 

Je n'aimais qu'un visage entre tous mes visages:

Celui qui me venait pendant le long amour.

Ce fabuleux visage aux yeux clos de la femme

Quand le plaisir amer appelle à son secours.

 

J'ai perdu cet espace où je régnais sur terre,

Ce corps qui s'etoilait comme un ciel descendu.

Je t'oubliais alors. Criant comme les mères,

J'enfantais doucement le dieu terrible et nu.

 

Je t'égarais en moi, j'atteignais mes ténèbres.

Aussi loin de la mort jamais je n'irai plus.

Enfin je te nommais, j'allais te reconnaître.

Mais conmment te parler de ce que j'avais vu.

 

Sainte terre, 1954



09/04/2012
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