Tastu (Amable) 1798-1885
Mise en musique par Saint-Saëns.
Vous qui passez près de ce monument baigné de larmes, quand vous descendrez chez Pluton , dites-lui : Dieu des enfers, que tu es jaloux de la beauté !
ÉRINNE.
Heureuse, ô jeunes Lesbiennes,
La prêtresse du dieu des vers,
Dont les vierges Ioniennes,
Seules, inspirent les concerts !
Heureuse celle qui sommeille
Avant le moment où s'éveille
L'erreur, mère des longs regrets ;
Celle-là meurt digne d'envie,
Qui laisse après soi dans la vie
Des chants purs comme ses attraits.
Pleurez, vierges, pleurez la fille de la lyre
Qui redemande en vain d'un noble et pur délire
Le songe évanoui ;
Celle pour qui la honte à la gloire est unie,
Qui de tout son bonheur a payé son génie ,
Et n'en a point joui ;
Celle qu'atteint l'envie et sa langue mortelle :
Mais ce n'est point Érinne, hélas ! ce n'est pas elle !
Chaste vierge, nouvelle amante,
L'hymen réclamait ses appas,
Et j'ai vu sa tête charmante
Flétrie au souffle du trépas.
Brisant ta chaîne commencée,
De ton sort, belle fiancée,
Si Pluton se montre jaloux,
Du moins ton ombre consolée
Sentira sur le mausolée
Tomber les pleurs d'un jeune époux.
Celle qu'il faut pleurer, autrefois sans rivale,
A cherché le bonheur à la clarté fatale
De l'amoureux flambeau.
Elle aima sans mesure, et ne fut point aimée.
Du courroux de Vénus, lentement consumée,
Elle marche au tombeau,
Où ne la suivra point une larme fidèle
Non, ce n'est point Érinne, hélas ! ce n'est pas elle !
Elle a passé comme l'aurore
Qui fuit au sommet des coteaux,
Comme la voix triste et sonore
Du cygne entraîné par les eaux,
Comme la fleur de Cythérée,
Quand les heures de la soirée
Découronnent son front vermeil,
Ou comme la source argentée
Dont l'eau faiblement agitée
S'épuise aux rayons du soleil.
Celle qu'il faut pleurer, celle-là souffre encore,
Mais elle attend son heure, et peut-être l'implore.
Elle a vu dans la nuit,
Sur son lit qu'entouraient de sinistres présages,
Les Muses tristement pencher leurs beaux visages,
Et quand le jour s'enfuit,
Il sort des flots glacés une voix qui l'appelle.
Non, ce n'est point Erinne, hélas ! ce n'est pas elle.
.... Un jour je m'étais amusé à effeuiller une branche de saule sur un ruisseau, et à attacher une idée à chaque feuille que le courant entraînait.
CHATEAUBRIAND.
Un songe, un rien, tout lui fait peur.
LA FONTAINE.
L'air était pur ; un dernier jour d'automne,
En nous quittant, arrachait la couronne
Au front des bois ;
Et je voyais d'une marche suivie
Fuir le soleil, la saison et ma vie,
Tout à la fois.
Près d'un vieux tronc, appuyée en silence ,
Je repoussais l'importune présence
Des jours mauvais ;
Sur l'onde froide, ou l'herbe encor fleurie,
Tombait sans bruit quelque feuille flétrie,
Et je rêvais !...
Au saule antique incliné sur ma tête
Ma main enlève, indolente et distraite,
Un vert rameau ;
Puis j'effeuillai sa dépouille légère,
Suivant des yeux sa course passagère
Sur le ruisseau.
De mes ennuis jeu bizarre et futile !
J'interrogeais chaque débris fragile
Sur l'avenir ;
Voyons, disais-je à la feuille entraînée,
Ce qu'à ton sort ma fortune enchaînée
Va devenir ?
Un seul instant je l'avais vue à peine,
Comme un esquif que la vague promène,
Voguer en paix :
Soudain le flot la rejette au rivage ;
Ce léger choc décida son naufrage...
Je l'attendais !...
Je fie à l'onde une feuille nouvelle,
Cherchant le sort que pour mon luth fidèle
J'osai prévoir ;
Mais vainement j'espérais un miracle,
Un vent rapide emporta mon oracle
Et mon espoir.
Sur cette rive où ma fortune expire,
Où mon talent sur l'aile du Zéphire
S'est envolé,
Vais je exposer sur l'élément perfide
Un vœu plus cher ?... Non, non, ma main timide
A reculé.
Mon faible cœur, en blâmant sa faiblesse,
Ne put bannir une sombre tristesse,
Un vague effroi :
Un cœur malade est crédule aux présages ;
Ils amassaient de menaçans nuages
Autour de moi.
Le vert rameau de mes mains glisse à terre :
Je m'éloignai pensive et solitaire,
Non sans effort :
Et dans la nuit mes songes fantastiques
Autour du saule aux feuilles prophétiques
Erraient encor !
La barque
.... Frale barca
Mi trovo in alto mar senza governo.
PETRARCA. S. 88.
Mon œil rêveur suit la barque lointaine
Qui vient à moi, faible jouet des flots ;
J'aime à la voir déposer sur l'arène
D'adroits pécheurs, de joyeux matelots.
Mais à ma voix, nulle voix qui réponde !
La barque est vide, et je n'ose approcher.
Nacelle vagabonde,
A la merci de l'onde,
Pourquoi voguer sans rame et sans nocher ?
La mer paisible et le ciel sans nuage
Sont embellis des feux du jour naissant ;
Mais dans la nuit grondait un noir orage ;
L'air était sombre et le flot menaçant !...
Quand l'espérance, en promesses féconde,
Ouvrit l'anneau qui t'enchaîne au rocher,
Nacelle vagabonde,
A la merci de l'onde,
Pourquoi voguer sans rame et sans nocher ?
Oui, ton retour cache un triste mystère !
D'un poids secret il oppresse mon cœur.
Sur cette plage, errante et solitaire ,
J'ai vu pleurer la femme du pêcheur !
Es-tu l'objet de sa douleur profonde ?
Ses longs regards allaient-ils te chercher ?
Nacelle vagabonde,
A la merci de l'onde,
Pourquoi voguer sans rame et sans nocher ?
Lai de la Mort d'Amour
Cy gist amors qui bien amer faysoit,
Li faulx amans l'ont jeté hors de vie ;
Amors vivant n'est rien que tromperie :
Por franc amors priez Dieu, s'il vos plaist.
THIBAUD, roi de Navarre.
Merci, gentilles Jouvencelles,
M'avez reçu dans le châtel.
Soyez-tendres autant que belles,
Saurez les chants du ménestrel ;
Les retins de mon noble maître,
Car ai tout appris dans sa cour ;
Vous conterai LA MORT D'AMOUR,
Et vous verrai plorer peut-être !
N'est plus Amour qui bien aimer faisait,
Les faux amans l'ont jeté hors de vie ;
Amour vivant n'est rien que tromperie :
Pour franc Amour priez Dieu, s'il vous plaît !
Que franc Amour avait de charmes !
Quel éclat brillait dans ses yeux !
De sa mort n'avais point d'alarmes,
Le croyais au nombre des Dieux.
L'une de vous pourrait connaître
Que n'ai point flatté le portrait ;
Ne veux pas trahir son secret,
Mais la verrai rougir peut-être.
N'est plus Amour qui bien aimer faisait,
Les faux amans l'ont jeté hors de vie ;
Amour vivant n'est rien que tromperie :
Pour franc Amour priez Dieu, s'il vous plaît !
Las ! bientôt, malgré sa jeunesse,
Il sentit la faux du trépas ;
Accablé d'ennuis , de tristesse ,
Amour s'éteignait dans mes bras.
Voyais sa force disparaître,
Ses traits se faner et pâlir ;
Un oubli le faisait mourir,
Un regard l'eût sauvé peut-être !
N'est plus Amour qui bien aimer faisait,
Les faux amans l'ont jeté hors de vie ;
Amour vivant n'est rien que tromperie :
Pour franc Amour priez Dieu, s'il vous plaît !
Mis en bûcher lettre amoureuse,
Sermens félons, trompeurs aveux,
L'azur d'une écharpe menteuse,
Bouquets flétris et blonds cheveux ;
L'astre du soir vint à paraître,
Y portai les restes d'Amour.
Alors, pour le priver du jour,
Mes pleurs auraient suffi peut-être !
N'est plus Amour qui bien aimer faisait,
Les faux amans l'ont jeté hors de vie ;
Amour vivant n'est rien que tromperie :
Pour franc Amour priez Dieu, s'il vous plaît !
Dans un bocage solitaire
S'élève la tombe d'Amour ;
On verra naïve bergère
Yrêver au déclin du jour.
Puisse un cœur inconstant et traître
Dans ce lieu passer un moment !
Sur l'albâtre du monument
En soupirant lira peut-être :
« Ci-gît Amour qui bien aimer faisait,
Les faux amans l'ont jeté hors de vie ;
Amour vivant n'est rien que tromperie :
Pour franc Amour priez Dieu, s'il vous plaît ! »
Bibliographie
La chevalerie française (prose et vers) 1821
Les oiseaux du sacre, 1824
Poésies, Paris, 1826
Les Chroniques de France, Paris 1829
Poésies nouvelles, Paris, 1835
Poésies complètes, Paris 1858
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