Toussaint-Samson, Adèle (1826-1911)
Adèle Toussaint-Samson
1826-1911
- Epaves, sourires et larmes, 1870
Ciel sans orage
Coeur sans amour
Voyez la belle jeune fille
Au doux souris, à l'oeil tendre et rêveur,
Elle admire au soleil qui brille
Un bouton qui se change en fleur.
De la beauté, la fleur est comme elle l'image,
Toutes deux ont aussi le bonheur en ce jour:
Jeune fleur un ciel sans orage,
Jeune fille un coeur sans amour.
Mais bientôt de la jeune fille
L'amour, hélas! vient agiter le coeur,
Et dans le ciel l'éclair qui brille
A desséché la pauvre fleur.
A peine au tiers toutes deux du voyage,
Fille et fleur ont perdu leur éclat dans un jour:
La fleur se courbe sous l'orage,
La jeune fille sous l'amour.
Chaque matin la jeune fille
Voit s'envoler u rêve de bonheur,
Et le vent qui souffle éparpille
Feuille à feuille la pauvre fleur;
Enfin le dernier brin s'envole sur la plage,
Et le dernier espoir a fui le même jour:
La fleur est morte d'un orage,
La jeune fille d'un amour!
(1843)
De ce mal-là sauriez-vous pas le nom
Sur les lèvres un nom que l'on ne dit jamais,
Au fond du coeur toujours la même image,
L'ennui de tout, la pâleur au visage,
Bien loin de nous le repos et la paix;
La joue en feu parfois, et le coeur qui palpite,
Puis des nuits sans sommeil et des pleurs sans raison,
Une heure qui se traîne, une qui fuit trop vite:
De ce mal-là sauriez-vous le nom?
Lettres d'amour
Adieu, pauvres lettres d'amour!
Venez que je vous lise encore
Avant que le feu ne dévore
Vos douces lignes sans retour.
Venez, venez, ô mes lettres d'amour!
Vous, qui souvent la nuit entière
Avez reposé sur mon coeur,
Me promettant joie et bonheur;
Redevenez cendre et poussière.
Adieu, pauvres lettres d'amour!
Dans ma main je vous presse encore
Aant que le feu ne dévore
Vos douces lignes sans retour.
Las! il le faut. Adieu, lettres d'amour!
Brûlez, brûlez; qu'aucune trace
De vous ne reste dans ce jour.
Brûlez jeunesse, espoir, amour!
Que laissez-vous à votre place?
Adieu, pauvres lettres d'amour!
Je cherche à vous revoir encore
Tandis que la flamme dévore
Vos douces lignes sans retour.
Brûlez, brûlez, ô mes lettres d'amour!
Sous la cendre qui s'amoncelle,
Surtout, garde-toi de toucher:
Cette cendre pourrait cacher
peut-être encore une étincelle.
Adieu, pauvres lettres d'amour!
C'en est fait! et mon oeil encore
Suit cette flamme qui dévore
Vos douces lignes sans retour.
Plus rien!... Adieu, pauvres lettres d'amour!
La jeune morte
A Mlle Agar
Ces vers ont été faits sur une jeune fille qui s'était suicidée pour cacher sa faute, qu'on repêcha morte, et dont le nom parut dans le journal le lendemain
Pauvre enfant! morte ici pour le crime d'un autre,
Tu pensais dans la mort cacher ton déshonneur;
Tu demandais l'oubli; mais tout scandale est nôtre;
Le monde vient fouiller et ta vie et ton coeur.
Pauvre enfant! ton seul crime ici-bas fut de croire,
De répondre à l'amour par l'amour; d'ignorer
Que c'était pour la femme une suprême gloire
Que de fermer son coeur et de ne rien aimer!
Peut-être, à tes genoux, il t'avait, tout en larmes,
Répété qu'il mourrait de ta longue rigueur;
Et tu crus, sous le poids de mortelles alarmes,
Trop peu payer sa vie au prix de ton honneur!
On ne t'avait pas dit que l'homme n'est sur terre
Que pour tromper la femme et rire de ses pleurs;
Que, lorsque, palpitante, il la tient sous sa serre,
Triomphant il sourit, l'étreint, et lui dit: meurs!
"Meurs! le monde le veut. Il t'a, dans sa justice,
D'un stigmate marquée un jour au front;
De mon crime c'est toi qu'il veut que l'on punisse:
Meurs! si tu ne veux pas te courber sous l'affront!
Sur ton visage, enfant, lorsque la rougeur monte,
J'ai le droit d'être fier et de m'enorgueillir.
Le monde m'applaudit; et ma gloire est ta honte:
Aimer pour moi, c'est vaincre; et pour toi, c'est mourir!"
On ne t'avait pas dit tout cela, pauvre fille!
Mais lorsque ton enfant tressaillit en ton sein,
Tu vis surgir debout l'honneur et la famille;
Tu compris tout alors, car tu pâlis soudain;
Et, bientôt, t'élançant dans l'abîme au flot sombre,
Tu crus engloutir là le secret de ton coeur;
Mais le monde était là qui te guettait dans l'ombre;
C'était peu que ta vie, il voulait ton honneur!
(1863)
Saudades
(souvenirs mêlés de regrets)
A Madame de B... et de P... B...
Je vous revois toujours, forêts de l'Amérique,
Rivières serpentant sous des dômes ombreux,
Et vous, monts de granit, au profil fantastique,
Toujours vous êtes là quand je ferme les yeux.
Nature splendide et sauvage,
Au soleil éclatant,
Brésil! qu'un éternel feuillage
Couronne incessamment,
J'entends encor de tes cascades
Le bruit harmonieux
Et les étranges sérénades
Qu'offre la terre aux cieux;
Je vois tes palmiers qui balancent
Leurs verts rameaux au vent,
Les pics de tes monts qui s'élancent
Jusques au firmament,
Tes orangers aux fruits sans nombre,
Tes grands magnolias,
Tes bambous où, cachés dans l'ombre,
Chantent les Sabias.
Ton ciel si bleu, ta mer immense,
Où le pêcheur, la nuit,
Agite sa torche en silence
Sur le flot qui frémit;
Jusqu'a ta fleur mystérieuse,
Au parfum enivrant,
Bouquet de bal, pour la danseuse
A minuit fleurissant.
Je revois tout, tes paysages,
Tes nègres qui, pieds nus,
Vont dansant leurs danses sauvages
Aux rhythmes inconnus.
Terre enchanteresse et perfide
Où rampe le serpent,
Dont l'arbre au poison homicide
Offre un fruit succulent,
Où le danger qui nous attire
Est là toujours, partout,
Caché sous la fleur qu'on respire,
Sous le soleil surtout,
Sous la rosée ou sous la brise
Dont on boît la fraîcheur,
Quel charme as-tu qui nous séduise
Brésil?... c'est ta grandeur!
On se sent si petit là, qu'il faut qu'on adore,
Quand muet de stupeur, on contemple en ce lieu
Cette nature inculte, ardente et vierge encore,
Qui semble devant nous sortir des mains de Dieu!
1870
Article publié dans
La Sylphide, 1846, 2ème série, tome 3
La femme auteur
Deux autres portraits dans le même ouvrage:
- La femme comme il faut, p. 10
- De la femme incomprise, p. 47
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