Vacaresco (Hélène) 1864-1947
(1864-1947)
Qui t'a fait...
Qui t'a fait, mon soleil, aujourd'hui si joyeux.
Ruisseau d'ambre à mon cou, topaze dans mes yeux.
Jonquille sur mes bras, chaîne blonde à ma taille,
Et glaive sur mon cœur, grand couteau de bataille?
Ma tunique est une eau vermeille entre tes mains
Et mon cœur un palais qui voit mille jardins.
Tu tournes, ruban vif, autour de mes chevilles;
Tu fais de mes cheveux des cages et des grilles.
Mon doigt jette un éclair sur le sable et le mur ;
Rien n'a d'ombre, rien n'est pâle, rien n'est obscur.
Pourquoi ressembles-tu si fort à de la joie,
A des bouches de rire, à des regards de soie,
A tout ce qui fait mal à force d'être humain,
Aux baisers, à l'Amour, soleil de ce matin ?
Une nuit j'ai rêvé...
Une nuit, j'ai rêvé longtemps que j'étais morte.
Des fleurs, toujours des fleurs sur mon sein et ma porte
Entr'ouverte au soleil que je ne voyais pas.
Une nuit seulement la langueur du trépas,
Plus douce mille fois que le sang et les sèves,
Comme un berceau moelleux a balancé mes rêves.
Je ne regrettais rien, pas même le printemps,
Pas même les chansons, les rythmes éclatants
Qui vibrent dans mon coeur avec leur jeune force;
Pas même les rameaux fendant le rude écorce
Du vieux chêne joyeux de leur fraîche vigueur.
Je ne regrettais rien, rien que mon propre coeur,
Son désespoir de battre, et l'amour et la peine
Qui le font déborder comme une coupe pleine.
L'âme sereine, 1896
Les voiles noires
Allons sur les caps bleus ou sur la verte grève
Pour voir venir au loin le vaisseau de mon rêve,
Vers le golfe où la mer en passant vient saisir
Le temple au fronton d'or qu'a bâti mon désir.
Oh! si tu vois glisser le long des promontoires
Le vaisseau de mon rêve avec des voiles noires,
Si le sillage est noir, si tout est noir à bord,
La rame noire aussi, c'est que mon rêve est mort.
Ah! laisse alors mes mains froides du souffle humide
Battre l'air et d'un trait déchirer ma chlamyde,
Et que le vent du large où s'éployaient mes voeux
Flagelle en écumant mon front et mes cheveux!
Que sur ton sable aride où rampe la marée,
Grève toujours luisante et toujours altérée,
Je clame avec la vague et marche avec le flux
En frappant l'air meurtri de mes deux bras tendus.
Lueurs et flammes, 1903
Vu en passant
Un blanc dominicain, figure lente et pâle,
Que semble envelopper l'atmosphère claustrale,
Mais où la jeunesse erre et se révolte encor.
Sur la lèvre mobile un léger duvet d'or,
Et, dans le long regard si tristement austère,
La surprise et l'effroi des choses de la terre
Et parfois une flamme étrange qui s'enfuit.
Autour du jeune moine avec un léger bruit
Des rosiers effleurant des jonquilles mi-closes,
Car nous sommes à Rome, à la villa des Roses,
Et c'est le mois de mai, si j'en crois le ciel bleu.
Et l'homme qui s'en va vers les choses de Dieu
Frémit soudain de voir que le vent qui le frôle
Fait mourir une rose en pleurs sur son épaule,
Et les pétales blancs roulent jusqu'à sa main.
Alors un lent soupir, un regard presque humain,
Et l'ascète, essuyant son front avec sa manche,
Secoue enfin les fleurs de sur sa robe blanche.
L'âme sereine, Rayons d'Italie, 1896
Il passa...
Il passa ! J'aurais dû sans doute
Ne point paraître en son chemin ;
Mais ma maison est sur sa route,
Et j'avais des fleurs dans la main.
Il parla : j'aurais dû peut-être
Ne point m'enivrer de sa voix ;
Mais l'aube emplissait ma fenêtre,
Il faisait avril dans les bois.
Il m'aima : j'aurais dû sans doute
N'avoir pas l'amour aussi prompt ;
Mais, hélas ! quand le cœur écoute,
C'est toujours le cœur qui répond.
Il partit : je devrais peut-être
Ne plus l'attendre et le vouloir ;
Mais demain l'avril va paraître,
Et, sans lui, le ciel sera noir
L'âme sereine, 1896
La Cloche pour les morts
La cloche pour les morts a retenti ce soir.
Qui donc s'en est allé dans la tombe attirante ?
Quel sombre dédaigneux de la vie, âme errante ?
La cloche pour les morts a retenti ce soir.
C'est mon cœur que l'on doit enterrer, ce me semble ?
Par cette froide nuit où le calme descend.
Aussi bien il avait besoin, ce cœur qui tremble,
De la mort apaisante et de l'oubli puissant.
Dans le linceul des désirs morts et des chimères,
Après les durs combats, repose en paix, mon cœur.
Dors au sein du carnage ainsi qu'un fier vainqueur,
Parmi les combattants des aubes éphémères.
Après les durs combats, repose en paix, mon cœur !
L'âme sereine, 1896
Tristesses d'autrefois
Rien qu'une heure, être encor triste comme autrefois,
D'une tristesse immense et douce par les bois,
Avec l'herbe et les fleurs, sous la pitié des branches,
Ou bien devant l'autel, par les calmes dimanches,
Quand, la tête appuyée au mur où sur fond bleu
Les grands archanges clairs ont des glaives de feu,
Je sentais les premiers effrois devant moi-même ;
Triste à vouloir mourir lorsque la lune blême,
Comme un poignard d'argent, à travers le ciel pur
Montait mystérieuse en pâlissant l'azur
Des soirs dont la douceur enveloppe la terre.
Es-tu donc morte aussi, tristesse solitaire
Qui me mettais parfois le front entre les mains
Et dans le cœur de grands désespoirs surhumains
Où s'acharnaient entre eux les démons ou les anges ?
Tristesses d'autrefois, mes tristesses étranges
Dont j'ai la nostalgie et qui dans vos ferments
Ébauchiez l'avenir en lourds pressentiments,
Et, portant le fardeau de quelque ancienne vie,
Alliez de mon cœur jeune à mon âme assouvie
Pour les épouvanter tous deux de leurs combats !
J'ai beau vous appeler, vous ne reviendrez pas.
Même par les longs jours où je me sens plus morne
Que le soleil puissant dans le désert sans borne,
Même pour le railler, vous ne visitez plus
Le cœur où tous les maux humains sont résolus
Et qui tourne vers vous ses suprêmes tendresses,
Tristesses d'autrefois, ô mes chères détresses !
L'âme sereine, 1896
Nocturne
Vivons la volupté de ne plus rien vouloir ;
Le jasmin pèse à peine à sa tige joueuse,
Le jet d'eau monte et tombe aux doigts tremblants du soir,
Et, pour mieux velouter tes mains aventureuses,
L'odeur de mes cheveux sent l'aube et le pressoir
D'où vient la volupté. de ne plus rien vouloir.
Respire en mes cheveux le vin couleur de feuille ;
Tu croiras boire en eux de la terre et du sang.
Le doux jet d'eau bondit aux doigts du soir pressant;
L'air chaud a la langueur d'un amour qu'on accueille
Et qu'on boit comme un vin neuf et couleur de feuille.
Les jasmins sont jaloux de la lune aux doigts bleus.
J'ai tout goûté des jours, hors la joie, et je jure
Que le goût du bonheur a fui loin de mes vœux.
Le fin jet d'eau fléchit sa frêle chevelure,
A l'appel vif et lourd des violons nerveux,
Et des jasmins jaloux de la lune aux doigts bleus.
Rien que du son, du rêve, un arôme et des lèvres,
Un peu de violence et d'assouvissement,
Ce qu'on tient et dévore et ce qui fuit et ment
Un passage enfiévré du frisson triste aux fièvres ;
Rien que du son, du rêve, un arôme et des lèvres.
Au voyageur...
Toi dont le pas est d'or dans la blancheur d'été.
Que ton ombre se berce heureuse à ton côté,
O voyageur qui nous envies
De ne jamais quitter l'ombre du puits penchant
Et de ne pas courir dans l'aube ou le couchant
Plus loin que l'eau de nos prairies.
Passant, nous te plaignons de passer triste et seul
Tu ne sais rien de nous ; ni pourquoi le tilleul
Va se courbant comme une épaule.
Ni le pli du ruisseau derrière le moulin,
Ni que l'abeille ici cherche la fleur du lin
Dans le maïs et sous le saule.
Tu ne sais rien, tu vas sur les chemins si longs,
Rien qu'à te voir passer déjà nous t'appelons
Celui que l'on attend sans cesse.
Ne nous demande pas à boire, ô voyageur !
Porte ta soif entière aux lieux où rit sans frein
Le sourire de ta jeunesse.
Va, saisis dans tes bras l'heure des beaux retours, —
Nous avons tous ici ce qu'il faut à nos jours,
Des épis, du soleil, de l'herbe, —
Et dans le soir l'éclair d'une plume de paon
Sur l'air rouge et le bruit que fait en galopant
Le heiduck terrible et superbe.
Victor Hugo mourant
Improvisation
Le printemps vient d'ouvrir ses yeux aux flammes chaudes,
La terre sent passer une vague de rumeur,
Les prés ont revêtu leur manteau d'émeraudes
Et par ce clair soleil Victor Hugo se meurt.
Lui, le chantre divin à l'harmonie intense,
L'inoubliable amant des vers aux purs contours,
Lui qui mettant son âme émue en chaque stance,
Le voilà donc muet et frisé pour toujours !
Ne peux-tu l'éveiller ode à l'aile sonore
Et vous chants aériens dont il nous a bercés
Sur ces derniers moments reprendrez-vous encore
L'enivrante douceur de vos pas cadencés ?
Vous toutes qu'il marqua du sceau de son génie,
Ô grandes visions de force et de beauté
Frôlez son front, planez sur son lit d'agonie
Et préparez son âme à l'immortalité.
J'ai mes soirs de détresse
J'ai mes soirs de détresse où le regret est roi;
Ne laisse pas venir la lune jusqu'à moi!
Garde-la sur tes mains parmi mes bagues tristes
Où se mêle en pleurant l'opale aux améthystes.
Prends ce lierre et prends les feuilles de mûrier,
Sur qui le long soleil aimait tant s'appuyer.
Presse-les sur mes yeux de ta main opportune!
J'ai mes soirs où j'ai peur et pitié de la lune.
La terrasse est si blanche! Ah! pour un peu de noir,
Un coin d'ombre et de paix où j'aimerais tant choir!
Pour un pli de ténèbre en des jardins obscurs,
Je donnerais tous les clairs de lune futurs!
Mais la lune est si haute et la plaine est si basse,
Et les rais si nombreux qui montent la terrasse.
Publié dans l"Anthologie critique des poètes, 1911, (Gallica)
Mon pays
Oui, j'ai su dès les jours de l'enfance vivace
La liberté naïve et la limpide audace,
Et, pressant l'avenir sur mon cœur indompté,
J'ai marché dans ma force et dans ma liberté.
J'ai balancé mon rêve ainsi qu'un feu de cierge
Dans la lumière en fleur où l'Orient émerge,
Et j'entendais au bruit de mon vœu dévorant
Ma race qui chantait en moi comme un torrent.
Libre et rude ouragan, j'écoutais par mes veines
Se ruer des héros et se traîner des reines.
Et parmi les ardeurs des rapides combats
Dans les barbares jeux des aïeux au front bas,
Se glisser, serpent d'or, la Byzance asservie,
Et toi, voluptueuse et tendre Moldavie.
On m'enseignait à vivre avec les bras ouverts
Pour y recevoir Dieu, l'amour et l'univers...
Devant l'iconostase argenté de veilleuses,
Ma mère me contait des choses fabuleuses...
Vous êtes étendus sur toute ma mémoire.
Fleuves des longs maïs, océan des grands blés
Qui célébrez, tout blonds contre la terre noire,
La fête des soleils dont vous êtes comblés...
O que j'aime chanter ce pays qui m'accable.
Par sa force trop chaude et triste, je me sens
Toute pareille à lui, sauvage, inépuisable,
Qui vibre dans l'automne et n'a pas de printemps.
Ainsi que ses vallons houleux j'ai mûri vite;
J'ai des douleurs sans nom ivres de leur beauté ;
Je suis le fleuve lourd qui déchire et s'irrite,
Et pour briser ma course il suffit de l'été.
O largeur de la plaine, ô jeu léger de l'herbe,
Evanouissement du jour et de la nuit,
Foule en fleurs des forêts qui, peureuse ou superbe.
Te troubles tour à tour de silence et de bruit!...
Or des lointains laiteux meurtris par la lumière.
Arbres fins qui laissez voir la campagne au loin
Pour qu'en sa nudité nous apparaisse entière
La grâce de la terre accomplie avec soin,
Tendresse et pâmoison des soirs asiatiques,
Formes contre l'air vif des grands chars et des puits.
Arbres qui soulevez vos suaves tuniques
Pour franchir les ruisseaux que leur pente conduit,
Vieux cloîtres byzantins tapis au fond des gorges.
Murs de neigé aux toits noirs, pâtres aux fiers profils.
Vierges qui traversez le flot mouvant des orges
Et tendez au soleil l'arc brun de vos sourcils,
Déroulement splendide et doux du vert espace,
Légendes qu'on raconte en tournant le fuseau.
Récits, voile argenté d'une femme qui passe
Et met son pied rythmique, et nu sur le coteau;
Vous toutes, les sept voix des syrinx susurrantes,
Et vous, subtilités des flûtes dans les soirs,
Danses des bergers blancs, cris longs, pâles attentes
Des amoureux au bord des puits et des pressoirs ;
Vous m'avez fait une âme avec tous vos vertiges,
Avec Votre beauté qui souffre et qui s'épand.
Et je m'élance au jet chaleureux de vos tiges,
Car vous brûlez en moi bien plus fort que mon sang.
O terre de douleur, de force et d'insistance
Où l'hiver et l'été sont tueurs tous les deux.
C'est en vous que je plonge et que je me dépense.
Et je me brise aux bras de vos zéphirs nerveux.
C'est vous qui me donnez l'orgueil d'être hardie.
"Vous versez à travers mes tempes et mon pouls
Vos soirs sur le Danube et vos soirs d'Olténie.
Je ne suis plus moi-même, ô terre, je suis vous.
Je pleurais dans le soir — les oiseaux de passage
Passaient très haut sur moi.
Ma robe balançait sa grâce de nuage
Contre le cyprès droit.
Les grands oiseaux qui vont rayer l'Egypte rose
De leur beau vol égal
Et dans l'aube envahir le palais de la Rose
Aux portes de santal.
Le grand oiseau fluet, pesant et symbolique,
Tout d'ébène et d'argent,
La cigogne, partait pour la très chaude Afrique
Qui rêve immensément.
Je pleurais — le cyprès, la cigogne en partance
Ma robe au jeu léger.
Et ce bruit fin que fait dans l'âme le silence
Des nuits près de tomber.
Tout me semblait plus fort, plus doux qu'un seuil de fête,
Plus divers que le jour.
Je ne sais quoi venait qui me disait : sois prête !
Ce n'était point l'amour.
Ce n'était point la joie aiguë et parfumée
Qui monte aux coeurs nouveaux
Ni le désir pressant, la rage d'être aimés
Dans un bruit de rameaux,
Par un cri double et vif ;
Tu le sais, ce n'était aucune de ces choses,
Cyprès frère de l'if.
Ce n'était point l'orgueil de voir ma robe frêle
Rester blanche au parc noir
Et les astres trouer le ciel comme l'eau grêle
D'un divin arrosoir.
Je ne sais quoi venait, sans voix et sans visage,
Qui disait sans soupir !
Déchire-toi! jouis! vibre, exulte et ravage!
Va vivre et va meurtrir !
Parmi les chauds parfums d'avril aux folles luttes,
J'écoutais sur la rive où passait un berger,
Au bruit double et charmant des syrinx et des flûtes,
Parmi l'herbe et le saule accourir l'Oit léger.
Mes yeux, ne suivez plus la lune langoureuse!
Mes mains, n'égarez point vos caressants loisirs
Dans l'herbe souple et drue ou dans la source heureuse !
Je veux vous détacher, mes yeux, de vos désirs.
De tout ce qui vous plaît mes mains, je vous détache :
Que tiédeur et fraîcheur vous manquent tour à tour!
Et vous qui poursuivez tout ce que l'ombre cache,
Mes jreux, reposez-vous d'avoir vu tout l'amour !
Ne touchez plus la flamme, ô mes mains dévorantes,
Frêles de contenir votre propre chaleur,
Et vous, mes doigts glacés aux frissons des attentes,
Ne plongez plus dans l'air votre geste enjôleur!
Ne cherchez plus une eau pour vous revoir vous-mêmes,
Mes yeux, pleins de vertige et de fatalité,
Car vous portez en vous les horizons extrêmes,
O mes yeux voyageurs, où vous avez été!
Mes bras, ne bercez point les voluptés éteintes
Dont Arous ne pouvez plus ni blêmir ni brûler !
Fermez-vous, mes regards, fermez-vous, mes étreintes,
Car l'espace et l'ardeur n'ont rien à vous donner.
La Dormeuse éveillée, Gallica
Présence
Mets la clef dans la serrure,
La lampe près du miroir,
Pour que mon coeur se figure
Qu'il est moins seul et moins noir.
Des mains frappent la fontaine,
Quelqu'un cherche à meurtrir l'eau
Où je lave au soir la laine
Et le matin mon fuseau.
La douleur de l'eau qu'on blesse
Entre en moi comme un poignard :
Oh! ferme la porte épaisse,
Ferme le volet criard !
L'ombre où bat le vol des trembles
Court sur le pavot pourpré :
Je sais bien pourquoi tu trembles,
Pourquoi ma porte a pleuré.
Nul ne peut pousser ma porte,
Car quelqu'un est sur le seuil,
L'image invisible et forte
Attend toujours mon accueil.
Elle attend que je lui dise :
Entre, voici le miroir
Où souvent je noie et puise
Ma face de désespoir.
Je sais ses yeux couleur d'herbe, ?
Ses bras aux parfums de pré,
Elle a la forme et le verbe
Des choses dont je mourrai.
Ma porte est toujours ouverte,
Mon logis n'est jamais clos,
Parce que cette ombre inerte
Barre mon seuil sans repos.
La Dormeuse éveillée, Gallica
On ne sait rien
On danse aux pieds de la colline...
On ne sait rien...
Le ruisseau court, la fleur s'incline,
L'Aurore vient.
On chantonne le long des branches,
On ne sait rien...
L'air est rose, les roses blanches,
Et l'amour vient!
On soupire autour des broussailles...
On ne sait rien...
Quoi! des baisers, des fiançailles?
La douleur vient...
Et l'on songe, aux pieds de la Vie,
Qu'on ne sait rien ;
Le jour meurt; la plaine est franchie...
Et la nuit vient.
La Dormeuse éveillée, Gallica
Vers les tranchées
Je louerai les héros du fervent souterrain,
Souples et forts comme des lames;
Si ma lyre est de fer et mon plectre d'airain
C'est pour ressembler à leurs âmes.
Là-bas où l'âpre argile est mêlée à leurs jeux
Effrayants, divins et funèbres,
Le soleil d'Austerlitz sur leurs manteaux fangeux
Mettrait moins d'or que ces ténèbres.
De l'élan, et du râle, et du grand cri jeté
Et dans l'espace, et dans l'enceinte,
D'autres diront l'horreur, moi je dis la beauté :
Elle seule est auguste et sainte.
Elle est seule, aux remous du bataillon hagard,
A surprendre, dans les mêlées,
Sous la tourmente en feu, sous le fer, le regard
Des Victoires échevelées.
Publié sur Gallica: L'art et les artistes, p. 29, 1905?
RACONTE-MOI
Raconte-moi... L'heure est encor si tiède
Que nous pouvons rester dans le jardin...
La lune est loin qu'une étoile précède,
Et la fontaine a tiédi sous ma main...
Je ne sais pas pourquoi je veux des choses
Qui chargeraient mon cœur à le briser...
Raconte-moi l'histoire de la rose
Qui devient femme et souffre d'un baiser ;
Ou bien ce long récit aimé des saules
Que tu m'as dit un soir tout près de l'eau. . .
Oui, j'ai tes yeux, ton souffle et tes épaules,
Et cependant je veux un deuil nouveau . ..
Des voluptés, et je ne sais lesquelles...
La lune arrive et va tomber sur toi...
Raconte-moi des histoires cruelles,
Et qu'on y meure. . . Ah ! je ne sais pourquoi
{Le Jardin Passionné.)
JE VOUDRAIS RESTER FEMME
Je te demande, ô Mort, de reprendre à mon âme
Les biens qui m'ont poussée au besoin de mourir ;
Mais dans l'éternité je voudrais rester femme.
Garder mon cœur splendide ou meurtri du désir,
Goûter le paradis en extases fragiles,
Subir l'enfer avec mon féminin effroi.
Et garder, cher captif entre mes bras débiles,
Ce grand pouvoir d'amour que rien n'épuise en moi.
Je voudrais demeurer femme tremblante et forte.
Conserver mon destin de frissonnant orgueil,
Et voir encor frémir à mon front clair de morte
Le voile de ma grâce au-delà du cercueil.
Par les vagues séjours dont le mystère mêle
Tant d'attraits aux pensers tournés vers le trépas,
Qu'aux rumeurs d'infini joignant un rythme frêle
Le bruit frais de ma robe entoure encor mes pas !
Que je sois tour à tour reine, sœur ou servante,
Aux rivages de joie ou sur les mornes bords,
Que je reste à jamais redoutable ou touchante
A force de vouloir, de faiblesse et d'efforts !
Et tandis que j'irai refleurissant sur terre
Dans les symboles fins de l'être et de sa loi,
Dans la tige et le jonc, et dans l'eau passagère,
Dans la lune qui tient la mer entre ses doigts,
Quand l'humblesse attirante et quand l'audace triste
Rappelleront mes jours ceints d'ombre et de remous,
Ce qui change et revient, ce qui ploie et persiste
Sera, mon Cher Destin, une image de vous.
J'emporterai là-bas aux plis de ma poussière
Mon vêtement de charme et de fragilité,
Mes deuils seront intacts et mon essence entière :
Je voudrais rester femme en mon éternité.
(Lueurs et Flammes.)
Poètes contemporains, anthologie (Gallica)
Autres poèmes publiés dans "La Renaissance latine" (1905-1906)
Florient-Parmentier (Jacques Nayral?): Toutes les lyres
Bibliographie
- Chants d'aurore (1886)
- L'âme sereine (1896)
- Lueurs et flammes (1903)
- Le jardin passionné (1908)
- La dormeuse éveillée (1914)
Revue Fémina, 15 nov 1911 (Gallica)
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