Valmore (Ondine) 1821-1853
Ondine Valmore
(1821-1853, fille de Marceline Desbordes-Valmore)
La rose
A Monsieur Sainte-Beuve
Quand nous respirons cette rose
Au front pâle, au souffle embaumé,
Tu nous dis qu'en son sein repose
Un vers enfermé.
Tu la saisis et tu la cueilles,
Fouillant dans son calice vert
Qui, tout dépouillé de ses feuilles, reste à découvert.
Puis tu fais voir l'insecte avide
Se tordant, roulé tout au fond
De la pauvre fleur au coeur vide
Que tes mains défont.
Eh! Quoi! savant inexorable,
Tuant la rose avant l'hiver,
Tu détruis une fleur aimable,
Pour trouver un vers!
En admirant les belles choses
Avions-nous donc trop de candeur?
Va, grâce à toi, toutes les roses
Vont nous faire peur.
Ah ! plutôt dans les fleurs mortelles
Montre-nous le miel précieux.
Apprends-nous à trouver en elles
Ce qui vient des cieux.
Apprends-nous à laisser la lie
Qui se cache au fond de notre eau.
Et que l'âme immortelle oublie
Le ver du tombeau !
Larme secrète
Quand on vint devant lui raconter la nouvelle
De la touchante mort d'une si jeune belle,
Il voulut tout savoir. Et chacun fut surpris
De le voir calme encor, lorsqu'il eut tout appris !
Puis il parla longtemps. Il dit: C'est bien dommage!
Mourir ainsi ! Voyez ! Mais on meurt à tout âge !..,
Nul ne se croit frappé. Jaloux de sa douleur.
Rien sur son front calmé n'avait trahi son cœur.
Seulement sa parole était plus éloquente.
Et moi je devinai dans sa voix plusvibrante
Que de pleurs étouffés le poids impérieux
Avait gonflé le cœur, étant chassé des yeux.
Ah ! craignons pour nos deuils la douleur indiscrète,
Souffrir trop haut n'est plus souflrir.
Moi, je veux, mes amis, cette larme secrète
S'il m'arrive aussi de mourir!
La voix
La neige au loin couvre la terre nue ; La voix
Les bois déserts étendent vers la nue
Leurs grands rameaux qui, noirs et séparés,
D'aucune feuille encor ne sont parés ;
La sève dort et le bourgeon sans force
Est pour longtemps engourdi sous l'écorce ;
L'ouragan souffle en proclamant l'hiver
Qui vient glacer l'horizon découvert.
Mais j'ai frémi sous d'invisibles flammes
Voix du printemps qui remuez les âmes,
Quand tout est froid et mort autour de nous,
Voix du printemps, ô voix, d'où venez-vous ?...
Adieu à l'enfance
Adieu mes jours enfants, paradis éphémère !
Fleur que brûle déjà le regard du soleil,
Source dormeuse où rit une douce chimère,
Adieu ! L'aurore fuit. C'est l'instant du réveil !
J'ai cherché vainement à retenir tes ailes
Sur mon coeur qui battait, disant : " Voici le jour ! "
J'ai cherché vainement parmi mes jeux fidèles
A prolonger mon sort dans ton calme séjour ;
L'heure est sonnée, adieu mon printemps, fleur sauvage ;
Demain tant de bonheur sera le souvenir.
Adieu ! Voici l'été ; je redoute l'orage ;
Midi porte l'éclair, et midi va venir.
Automne
Vois ce fruit, chaque jour plus tiède et plus vermeil,
Se gonfler doucement aux regards du soleil !
Sa sève, à chaque instant plus riche et plus féconde,
L'emplit, on le dirait, de volupté profonde.
Sous les feux d'un soleil invisible et puissant,
Notre coeur est semblable à ce fruit mûrissant.
De sucs plus abondants chaque jour il enivre,
Et, maintenant mûri, il est heureux de vivre.
L'automne vient : le fruit se vide et va tomber,
Mais sa gaine est vivante et demande à germer.
L'âge arrive, le coeur se referme en silence,
Mais, pour l'été promis, il garde sa semence.
Moriture
Regarde ! avec amour la terre se couronne ;
Sous les vents attiédis son front rêve et frissonne ;
L'herbe rajeunissante habille le rocher
Où les nids amoureux vont déjà se cacher.
Regarde ! à flots pressés la sève monte et chante.
On voit les bois frémir :
Donne toute ton âme au tableau qui t'enchante,
Ô toi qui dois mourir !
Écoute ! la nuit pure a soulevé ses voiles,
Et berce l'univers aux hymnes des étoiles ;
Sous les rameaux touffus une touchante voix
S'élève, traduisant l'âme errante des bois ;
C'est un oiseau, le seul qui soupire et qui veille ;
Ëcoute-le gémir,
Et garde cette voix longtemps à ton oreille,
Ô toi qui dois mourir !
POÉSIE NON DATÉE
Quand du printemps la feuille verte
S'essaie à parer les rameaux,
Quand du sein de la terre ouverte
S'élèvent les arbres nouveaux,
Quand tout sourit, quand tout s'éclaire,
Quand l'astre tiède et triomphant
Semble mesurer sa lumière
A la force d'un oeil d'enfant ;
J'aime à voir la petite fille,
Fraîche fleur, courir par les prés.
J'aime à voir sa couronne où brille (sic)
Les premiers boutons diaprés.
Admirant l'enfant qui s'élance
Sous le ciel qui n'a plus d'autans
J'aime le Dieu qui fit l'enfance
Et qui lui donne le printemps.
Cah. VIII, p. 17,. Gallica
MERE
(3 Novembre 1852).
C'est l'hiver et le noir décembre
Gémit dans le bois attristé ;
A la fenêtre de ta chambre
Pend un vieux pampre dévasté;
La bise qui gronde à ta porte
Siffle autour de ton front charmant ;
Sans songer aux fleurs qu'elle emporte,
Pourquoi souris-tu si gaîment ?
Oh ! dit-elle en levant la tête,
Que me fait le temps triste ou (l) beau !
Tous mes jours sont des jours de fête.
J'ai dans le coeur un chant d'oiseau.
Mais du sein de la terre ouverte
S'élèvent les blondes moissons;
Vois la feuille odorante et verte
Habiller rochers et maisons :
Quant tout frémit, s'éveille et chante,
Quand ta vitre brille au soleil,
Pourquoi la gaîté rayonnante
A-t-elle fui ton front vermeil ?
Oh ! dit-elle en baissant la tête,
Que me fait le temps triste ou beau !
Comment saurais-je que c'est fête ?
Mon coeur a perdu son oiseau.
Cah. I, n° 39 et XII, pp. 8 et 10.
(i) Var. et, Cah. I.
A JACQUES
(1851).
Durant les longs étés, quand la terre altérée
Semble se soulever, blanchie et déchirée,
Pour chercher vainement un souffle de fraîcheur
Qui soulage en passant son inquiète ardeur;
Quand la moisson jaunie, éparse, échevelée,
Se penche tristement sur sa tige brûlée,
Qu'il est doux, sur ces champs tout à coup suspendu,
De voir poindre et grandir le nuage attendu !
Qu'il est doux, sous les flots de sa tiède rosée
De voir se ranimer la nature embrasée,
Et de sentir la vie, arrêtée un moment,
Rentrer dans chaque feuille avec frémissement !
Dans ces vallons étroits, profonds, et solitaires,
Où plonge un jour douteux pesant, plein de mystères ;
Où l'ombre des sapins couvre les champs pâlis,
Loin de l'air et du ciel terrains ensevelis;
Qu'il est doux, au milieu de la sombre journée,
De voir éclore enfin une heure fortunée,
De voir l'astre de feu, que le mont veut cacher,
S élevant glorieux, dominer le rocher !
Ouvrant sa gerbe d'or sur ce côté du monde,
De ses jets lumineux il l'échauffé et l'inonde,
Et l'aride vallon, semé de mille fleurs,
Resplendira bientôt de divines couleurs!
Cahiers d'Ondine de Valmore, Gallica
Bibliographie
Cahiers d'Ondine de Valmore édités en 1932 par Albert Caplain (Gallica)
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