Vannier (Angèle) 1917-1980
Angèle Vannier
1917-1980
- cécité
Les cavaliers du feu
Le feu résout l'énigme du silence.
Vous consumez l'or de vos bagues sous la neige.
Si les eaux devenaient friables
avant l'été
tous les enfants crucifieraient des roses.
Mais les bergers s'avancent
entre l'or et l'encens.
Et les baisers perdus cimentent nos amours.
Je tisserai des théories de salles dans mes rêves
Et je les comblerai de fièvre et de velours.
Si je dérange leur hostie par mes paroles
c'est que les Cavaliers du feu
ne sont pas de retour.
Poème publié dans Récitals de poésie (31 janvier, 1er, 3 et 7 février 1967)
J'adhère
J'adhère au chant du berger solitaire qui use du bois de son propre corps pour alimenter le feu créateur
J'adhère au voyou à l'oeil louche qui jette son mégot contre une meule de paille pour griller l'antre du métayer
J'adhère à la jeune fille qui se noie dans les eaux inférieures pour un simple chagrin d'amour
J'adhère à la chute des eaux supérieures qui lavent nortre crasse et fait des vierges avec des putains épuisées
J'adhère aux crucifiés de tous les siècles pour cause de guerre de religion
J'adhère aux filles de joie qui se promènent dans les chansons à boire assassinées par les rouliers dans les soupentes
J'adhère au feu à l'eau quelles que soient leurs sources et leurs embouchures
J'adhère à l'élément trouvé pour faire la soudure dans les mines de la nature.
Avec la permission de Dieu, 1961
L'aveugle à son miroir
L'ange exterminateur a retourné mes yeux
Vers la terre promise et la face de Dieu.
Je bénis cette main qui m'a donné le droit
De changer l'eau en vin à la table du roi.
Aveugle chaque jour, j'entre dans mon miroir
Comme un pas dans la nuit comme un mort dans la tombe
Comme un vivant sans coeur dans un corps de colombe.
Mais je vois de mes yeux courir sous le manteau
Quelque chose de Dieu qui passe et qui repasse
La couleur d'un amour qu'un regard d'homme efface.
Et mon sang dévasté par le tour des orages
Travaille à dégager sa course du chaos
A calculer le poids des armes et bagages
Que la vie vous accroche en douce sur le dos.
Le marchand de miracle est passé par ici
Mes yeux sont au tombeau mon âme au paradis.
Seigneur tu m'as promis que je lirai ce soir
Le véritable nom de l'arbre dans le noir.
Les prêtres du soleil ont tout vu ont tout dit
L'aveugle à son miroir cherche à violer la nuit.
A hauteur d'ange, 1961
(2 poèmes publié dans l'anthologie Seghers de 1971)
Le poème suivant a été publié par Maria-kallysta en 2003. Elle indique sur sa page avoir entendu lire ce poème en classe par Angèle Vannier elle-même...
Je suis née de la mer
Je suis née de la mer et ne le savais plus
Trop de pavots avaient maculé mes pieds nus
Les soirs où les bergers m’appelaient dans la ronde
Pour passer le furet de ma main dans leurs mains
Furet des bois jolis furet des vieux jardins
Je suis née de la mer et ne le savais plus
Trop de chênes avaient appris à mon corps nu
Cette haute caresse où l’écorce connaît
La façon d’arracher aux jeunes filles blondes
Des gouttes de bonheur de quelque sainte plaie.
Je suis née de la mer et ne le savais plus
Trop de bêtes avaient partagé mon coeur nu
Dans les hautes futaies habitées par la lune
Trop de sangliers forts à renifler l’oronge
Trop de biches mes soeurs effrayées par leurs songes
Trop de martins-pêcheurs gonflés d’humides chants
Délivrés par leurs becs en baisers trop savants.
Je suis née de la mer et ne le savais plus
Mais l’homme au bras marin me parla de l’écume
Et l’humus des forêts fut le sable des dunes
Et les bergers laissant leurs troupeaux de moutons
Au premier loup venu gardèrent des poissons
Le nez du sanglier fouilla le goémon
La biche apprivoisa chaque lame de fond
Et les désirs des fûts chantèrent un navire
Que les oiseaux pêcheurs voilèrent sans rien dire
De leurs ailes tendues à des ciels inconnus.
Je suis née de la mer et ne l’ai reconnu
Qu’au bras de mon amour et ne l’oublierai plus.
Extrait de « Choix de Poèmes »
Seghers (l’Arbre à feu) 1950
Pierre
Pierre je compatis à ta vie lente et dure
Même le saule en pleurs ne me déchire pas
Comme le verbe d’or caché sous ton armure.
J’entrerai dans ta nuit dans la nuit de Noël
Et quand tu te mettras à tourner sur toi-même
Tu sauras qu’une seule enfant des hommes t’aime
Et se souvient d’avoir été semblable à toi.
Bruyères de mon sang pardonnez-moi l’adieu
Que je vous ai donné sans détourner la tête
Je suis de ce granit qui pense et qui ne peut
Traduire pour Jésus sa prière muette.
Règne du minéral ouvre-moi ton église
Et travaillons ensemble à refuser l’hiver
Pierre levée nous prévaudrons contre l’enfer
Le diable et ses petits ricanent dans la brise
Et qu’ils fassent leurs dents leurs ongles sur nos chairs
Qui durent lentement debout face à la mer.
Poèmes choisis, 1947-1978
Poème publié sur la page "Lieucommun"
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