Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Vaudère (Jane de) 1857-1908

Jane de la Vaudère
(pseudonyme de Jeanne Scrive)
1857-1908





La couleur des baisers

Les mots ont leur couleur et les baisers aussi
Les uns, du ton pâli des roses effeuillées,
S'envolent tristement vers les cimes brouillées
Où pleure le regret du souvenir transi.

D'autres, dernières fleurs, sur le chemin durci,
Aux pétales de givre, aux corolles fouillées
Dans des pleurs de cristal, sont aux âmes rouillées
D'un blanc immaculé sous le ciel obscurci.

Quelques-uns ont le ton discret des violettes;
D'autres, presque effacés, doux et frêles squelettes,
Me semblent un essaim de grands papillons gris.

Le baiser noir du mal mord ainsi qu'une gouge,
Mais le roi des baisers dont mon être est épris
Est ton baiser de sang, ton ardent baiser rouge !
          
                                L'année des poètes, 1994 et Évocation




Bulles de savon

Pour faire une bulle fragile,
La tige creuse d'un roseau,
Un peu de savon, un peu d'eau
Dans un simple vase d'argile,

Suffisent; et le globe bleu,
Rouge, vert ou couleur d'aurore,
Qu'un léger souffle a fait éclore
S'envole à l'horizon de feu.

Il s'irise dans la lumière,
Devient saphir ou diamant ;
Il plane splendide et charmant.
Reflet de l'ivresse première.

Il brille un moment, puis c'est tout!
Et de sa splendeur éphémère
Reste une gouttelette amère
Qui tombe en pluie et se dissout...

Mon cœur est le vase d'argile
Et toi la tige de roseau :
De nos volontés, — gouttes d'eau, —
Nous fîmes la bulle fragile :

Ce fut un lumineux amour
Qui nous brûla le corps et l'âme,
Et mourut, d'un excès de flamme,
Usé déjà, n'ayant qu'un jour !

Et le bonheur que l'on envie.
Le succès, la gloire et l'argent,
— Bulles d'or au reflet changeant —
L'espérance qui fut la vie

Comme l'amour que l'on rêva :
Illusion, erreur dernière.
Bulle d'azur et de lumière 
Que l'on a créée et qui s'en va !

                 L'Éternelle Chanson.




Fleurs d'eau

L'hybride nymphéa, calice d'or vivant,
Qui lève dans les joncs son éclatant visage,
Et paraît contempler le sombre paysage
Qui fait à sa splendeur un asile fervent.

Le nymphéa neigeux des rives taciturnes,
Dont le sein orgueilleux est un jardin d'amour
Où des souffles divins errent pendant le jour
Pour parfumer, là-haut, les nymphéas nocturnes.

Le mystique lotus qui semble un trou d'azur
Ouvert sur le vieux Gange en un ciel de mystère,
Un ciel transparaissant au travers de la terre,
Mais un ciel plus profond, plus ardent et plus pur.

Le grand nelumbium aux anthères vernies
Qui semblent rayonner en astrales clartés ;
Les iris pelucheux des étangs attristés
Qui montrent leurs fronts bleus aux douceurs infinies.

Depuis la populage à la lentille d'eau,
Depuis la sagittaire à la valisnerie, 
Mon rêve se repose en cette île fleurie
Dont le lac ténébreux porte le vert fardeau.

Hôte des fonds cachés, cher monde énigmatique.
Fleurs aux stigmates noirs comme des yeux pervers !
Vous créez, dans la nuit, les pâles univers
Où flotte vaguement votre âme aromatique.

Tendant, au ras du sol, l'éventail de velours
De votre épais feuillage où l'humble animalcule
S'éveille, vit et meurt, de l'aube au crépuscule,
Vous soutenez l'orgueil de vos pétales lourds.

Semblant, dans un miroir, réfléchir les planètes,
Vous étalez, sur l'eau, vos faces de clartés,
Et vos âmes de fleurs sont des affinités
Adorables avec les âmes des poètes !

Dans votre mare glauque où se brouille le ciel,
Sous la douve et la flambe aux haleines fiévreuses,
J'entends se réveiller mille voix amoureuses
Qui chantent leur bonheur dans le couchant de miel.

C'est une mélodie enivrante et divine :
Faite d'ardents sanglots et de tristes chansons ;
Et l'on croit voir monter d'ineffables frissons
Des noires profondeurs que le désir devine.

Dans votre air maladif mon esprit est moins seul,
Evoquant, en secret, d'étranges atavismes ;
Et, cédant éperdue, à vos doux magnétismes.
Je voudrais m'endormir sous votre vert linceul !

                                  Évocation.




Ma forêt

J'aime une fée aux cheveux pâles
Qui, chaque nuit, sous un jasmin.
Dégrafe, à l'ombre du chemin,
Sa lourde ceinture d'opales.

A ses poignets des anneaux verts.
Sont faits de vivants scarabées,
Et je prends les fraises tombées
De ses rouges colliers ouverts.

Mince comme une libellule
Elle s'envole bien souvent.
Et sa jupe s'entr'ouvre au vent
Comme une blanche campanule.

Ses souliers sont des genêts d'or,
Ses bas des gouttes de rosée,
Et sur sa hanche s'est posée
La neige en fleurs de messidor.

Je lui dis ardemment ma flamme.
En contemplant dans son œil pur
La mignonne perle d'azur
Qui me met tout le ciel dans l'âme !

Nous nous cachons dans les buissons,
A l'abri des feuilles cendrées,
Pour cueillir les mûres pourprées
Et chanter de folles chansons.

O cher souvenir qui me grise,
Et charme mes esprits railleurs.
Comme un nid d'oiseaux gazouilleurs
Tombé sur une route grise !

Bientôt la forêt jaunira ;
Les feuilles, comme des phalènes,
S'envoleront le long des plaines.
Et mon doux songe finira ;

Adieu les joyeuses cueillettes
De fruits mûrs et de frais baisers !
Les bois et les rêves brisés
Secoueront leurs mornes squelettes.
 
En attendant, bois endormi
Qui connais ma peine secrète,
Je suis, sous ton ombre discrète,
Comme dans le cœur d'un ami.

                                Évocation



L'ETOILE POLAIRE

Étoile si calme et si belle,
Si lointaine et si près de nous,
Que nous adorons à genoux
Comme une gardienne fidèle !

Nous te disons peine e: bonheur,
Et tu nous montres la première,
Ainsi qu'un glaive de lumière,
La route droite de l'honneur.

Tu reçois nos voeux de tendresse,
Notre acte de foi solennel,
Nos serments d'amour éternel...
Hélas ! nous oublions sans cesse,

Dans les mirages éclatants
De notre pauvre âme captive,
Que le rayon qui nous arrive
Est parti depuis quarante ans !




TENDRESSE D'ÉTOILES

Les mondes, comme les humains,
Dans leur constante inquiétude,
Semblent haïr la solitude ;
Et, par les étranges chemins,

Les grands chemins de pierreries
Où tout nous est enchantement,
S'en vont voluptueusement
Unir leurs corolles fleuries.

Par les beaux soirs de thermidor,
Avec nos pauvres regards troubles,
Nous voyons les étoiles doubles
Se sourire de leurs yeux d'or.

Désert céleste

 

Mais il est aussi des trous d'ombre,
Gouffres étranges et maudits,
Qui font trembler les plus hardis
Au bord de l'immensité sombre.

Dans un abîme inattendu,
Où rien ne vit, où rien ne reste,
L'esprit, errant au bois céleste,
S'arrête et recule éperdu !

Souvent, pendant la nuit entière,
J'ai fouillé le désert lointain
Croyant, dans un rêve incertain,
Y découvrir un cimetière :

Le champ des astres mort aux cieux,
Tués par la haine divine,
Et dont nul ici ne devine
L'horrible vol silencieux.

 


LA MER

O Mer, bonne et terrible à tout regard humain !
Mer aux vagues de lait, mer aux ondes de flamme !
Mer aux baisers plus doux que des baisers de femme,
Tes amours effrayants restent sans lendemain !

Seul, un blanc coquillage, au creux de notre main,
Répète tes soupirs qui nous caressent l'âme,
Prières que le vent vient cueillir sur ta lame
Et que Dieu, nuit et jour, entend sur son chemin.

De même que les pleurs amers de nos souffrances
Sous la voûte infinie aux vagues transparences,
Tu ne seras jamais, Mer, qu'une goutte d'eau!

Puis, tu disparaîtras dans l'immensité sombre
Qui des astres errants est l'éternel tombeau...
Mais la prière, encor, s'envolera dans l'ombre.

Publié dans l'Année des poètes, 1894-1895, Gallica



BIBLIOGRAPHIE. — POÉSIE :

- Les Heures Perdues, A. Lemerre, Paris.
- Les Baisers de la Chimère, Paris. —
- L'Eternelle Chanson, ouvrage mentionné par l'Académie française, Ollendorfï, Paris, 1890, in-18. —
- Minuit, Ollendorfï. Paris.
- Evocation, Ollendorfï, Paris, 1893, in-18
- Les Flammes, ouvrage couronné par l'Académie française, Paris.

L'édition de 1908 est truffée de poèmes assez médiocres qui s'inscrivent dans le fil de la narration et des dialogues. Elle est surtout "agrémentée" de photos plutôt osées et suggestives, "ornée de trente Compositions hors texte d'après le Nu photographique", nous dit l'éditeur d'entrée, et dont la reproduction ci-dessus ne donne qu'un faible aperçu!!!
Ces photos sont-elles cautionnées par l'auteure? la date de parution est en effet celle de la mort de Jeanne Scrive, dite Jane de la Vaudère. Elles sont en tout cas un témoignage étonnant d'une certaine esthétique "début de siècle"


10/03/2010
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 167 autres membres