Villandon (L'Héritier Jeanne) 1664-1734
Jeanne l'Héritier de Villandon
1664-1734
- Contes : Mme de Villandon remplace le monde des héros de l'Antiquité par celui des fées. Voir le rôle inhabituel qu'elle attribue à ses personnages féminins.
Rondeau
A une jeune demoiselle
C'est grand hasard que trouver un amant
D'esprit poli, de corps gent et charmant
Qui n'aille point de ruelle en ruelle
Faire serment de confiance éternelle
Et protester partout également,
Quoique sachiez (mais bien certainement)
Que jouvenceaux mentent impunément;
Près (de) tels muguets si vous restez cruelle,
C'est grand hasard.
Si voulez donc vivre tranquillement
Et que pensez à l'établissement,
Fuyez, Iris, Blondins et leur séquelle;
Avec ces fous, c'est en vain qu'on est belle:
Si jamais un parle du Sacrement, c'est grand hasard.
Autre rondeau
Impromptu
A Madame de ...
Je n'en crois rien, charmante Séraphine,
Tircis en vain vient me nommer divine,
Tons languissants, enjoués, sérieux
Toujours par moi sont pris pour fabuleux,
Contre tels dits la raison se mutine.
En vain par Vers qui souvent me chagrine,
Par grands soupirs, et languissante mine
Me veut prouver la force de ses feux,
Je n'en crois rien.
Avouerai bien sans en faire la fine,
Que ce Tircis en science raffine,
Qu'il chante juste, et qu'il écrit des mieux:
Mais que jamais je réponde à ses voeux,
Malgré ses vers, sa voix et sa doctrine,
Je n'en crois rien.
Le printemps glacé
Idylle
Le printemps suivi de Flore,
Des beaux jours et des zéphirs,
Avait déjà fait éclore
Dans nos champs mille plaisirs;
Déjà par de doux ramages
Les oiseaux dans les Bocages
Chantaient leurs tendres langueurs,
Et cessant d'être captives
Les Naïades sur leurs rives
Voyaient naître mille fleurs.
Déjà sur ces fleurs naissantes
Les Bergers à leurs Amantes
Racontaient le long du jour
Combien la saison des glaces
Avait coûté de disgraces
Et de maux à leur amour.
Enfin toute la Nature
Pleine d'un espoir charmant
Du retour de la verdure
Marquait son ravissement,
Mais l'hiver impitoyable
Rend ce plaisir peu durable,
Pour bannir le Printemps il revient sur ses pas,
Par ses barbares outrages
On revoit sur nos rivages
Les glaçons et les frimas,
L'Aquilon fier et terrible
Chasse le zéphir paisible
Et ravit à nos champs leurs renaissants appas.
Depuis que sa froide haleine
A triomphé des beaux jours,
Les plaisirs et les amours
Sont disparus de la plaine,
En retournant dans le hameau
Chaque Berger se désespère
De se voir arraché d'auprès de sa Bergère
Par un changement si nouveau.
Tandis que le Berger pleure
Des rigueurs de la saison,
Le Laboureur à toute heure
En tremble pour sa moisson;
Voyant les vents en furie
Exercer leur barbarie,
Dans ses fertiles Guérets,
Troublé, rempli dépouvante,
Il n'ôse plus conter la récolte abondante
Qui l'avait tant flatté par ses riches apprêts.
Enfin par l'horrible guerre
Que le froid fait sur la terre
Tout languit dans l'Univers;
Et les coteaux déjà verts
Quittant leur riante face
Pour céder à son horreur,
On ne voit plus que la trace
Des Autans pleins de fureur.
Hélas ce triste ravage
Qui nous désole si fort
Est une funeste image
Des rigueurs de notre sort,
Lorsqu'après mille traverses
Et mille peines diverses,
Nous croyons n'avoir plus à former de souhaits,
Loin de voir couronner notre persévérance,
Un triste et dur revers trompant notre espérance
Rend nos chagrins plus vifs qu'ils ne furent jamais,
Tel, que l'Ambition flatte
Courant après les honneurs,
Quelquefois à la fin en goûte les douceurs,
Dans un rang éminent où sonpouvoir éclate,
Possédant peu son bonheur,
La fortune qui le joue
D'un fâcheux tour de sa roue
Sait renverser sa grandeur.
Un autre dans le commerce
Fait sa gloire de blanchir;
Sur l'espoir de s'enrichir
Il n'est mer qu'il ne traverse
Malgré mille affreux travaux
Bravant les vents et les ondes
Il fait le tour des deux mondes
Sur de fragiles vaisseaux.
Et lorsque sa main
A fait de nombreux amas
De ce qui naît de plus rare
Dans les barbares climats,
Rempli d'une douce attente
Qui le flatte et qui l'enchante,
Il se remet sur la Mer,
Alors, un fougeux orage
A ses riches vaisseaux faisant faire naufrage,
Il voit au fond des flots son espoir abimer.
Un coeur exempt de supplices
De la morne avarice , et de l'ambition
Qui fait tous ses délices
D'une tendre passion,
N'a plus de repos en suivant la tendresse
Que l'Avare craintif, ni que l'Ambitieux;
A peine ses soins et ses voeux
Ont touché l'objet qui le blesse,
Que de cet état charmant
Il passe au malheur extrême
De voir l'ingrate qu'il aime
En trahissant ses feux courir au changement.
C'est ainsi qu'en mille manières
L'aveugle et bizarre Destin
Sait tourner nos plaisirs en des douleurs amères
Changeant tout en moins d'un matin;
Mais si nos coeurs étaient sans vices
Si nous ne suivions pointles folles passions,
Il ne ferait sur nous malgré tous ses caprices
Que de faibles impressions.
Ces Arbres dépouillés de leurs charmant feuillages
Ces Prés où l'herbe meurt, et ces Ruisseaux glacés
Nous donnent des leçons en leurs muets langages,
Ils ont vu sans frémir leurs appas éffacés,
Quoique le Printemps se retire
Que l'hiver en courroux reprenant son empire
Ravisse toutes leurs beautés,
Ils ne succombent point sous tant de cruautés,
Dans un état toujours semblable
Ces Chênes résistant aux Autans irrités
Attendent des zéphirs le retour favorable.
Si comme eux dans tous les revers
Dont la fortune nous accable
Nous gardions un esprit constant, inébranlable
Attendant en repos se changements divers;
Nous verrions couler notre vie
Dans un état plus doux, et plus digne d'envie
Que si l'on nous rendait Maîtres de l'Univers.
Mais en voulant que tout réponde
A nos tyranniques desseins,
Voulant que pour remplir nos désirs les plus vains:
La terre s'unisse avec l'onde,
Nous nous ferons toujours un destin malheureux,
Si nous voulons goûter une tranquille joie
Profitons des plasirs que le Ciel nous envoie,
Mais ne courons jamais fortement après eux.
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