Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Villard (Nina de) 1843-1884

Nina de Villard

1843-1884

Née Anne-Marie Gaillard)

ou Nina de Callias ou Mme Hector de Callias

Pianiste et poétesse

 

Feuillets Parisiens, 1885  DOIGT 26.jpg

 

 

 

TESTAMENT

 

    Je ne veux pas que l'on m'enterre - Dans un cimetière triste ; - Je veux être dans une serre, -

Et qu'il y vienne des artistes.

 

    Il faut qu'henry me promette - de faire ma statue en marbre blanc - Et que Charles me jure sur sa tête - de le couvrir de diamants.

 

    Les bas-reliefs seront en bronze doré. - Ils représenteront - Les trois Jeanne, puis Cléopâtre - Et puis Aspasie et Ninon.

 

    Qu'on chante ma messe à Notre-Dame, - Parce que c'est l'église d'Hugo ; - Que les draperies soient blanches comme des femmes - Et qu'on y joue du piano.

 

    Que cette messe soit faite par un jeune homme, - Sans ouvrage et qui ait du talent. - Il me serait très agréable - Que de la chanteuse il fût l'amant.

 

    Enfin, que ce soit une petite fête, - Dont parlent huit jours les chroniqueurs. - Sur terre, hélas !

puisque je m'embête, - Faut tâcher de m'amuser ailleurs.

 

 

DEUX SONNETS

 

 

ISEULT

O timide héros oublieux de mon rang,

Vous n'avez pas daigné saluer votre dame !

Vos yeux bleus sont restés attachés sur la rame.

Osez voir sur mon front la fureur d'un beau sang.

 

TRISTAN

J'observe le pilote assoupi sur son banc,

Afin que le navire où vient neiger la lame

Nous conduise tout droit devant l'épithalame.

Je suis le blanc gardien de votre honneur tout blanc.

 

ISEULT

Qu'éclate sans pitié ma tendresse étouffée !

Buvez, Tristan. Je suis la fille d'une fée ;

Ce breuvage innocent ne contient que la mort.

 

TRISTAN

Je bois, faisant pour vous ce dont je suis capable.

O charme, enchantement, joie, ivresse, remord !

Je renferme l'amour, ce breuvage coupable.

 

 

 

LA JALOUSIE DU JEUNE DIEU

 

Un savant visitait l'Egypte ; ayant osé

Pénétrer dans l'horreur des chambres violettes,

Où les vieux rois Thébains, en de saintes toilettes,

Se couchaient sous le roc, profondément creusé,

 

Il vit un pied de femme, et le trouva brisé

Par des Bédouins voleurs de riches amulettes.

Le beaume avait saigné le long des bandelettes,

Le henné ravivait les doigts d'un ton rosé.

 

Car le pied conservait dans ses nuits infernales

Le charme doux et froid des choses virginales :

L'amour d'un jeune dieu l'avait pris enfantin.

 

Ayant baisé ce pied posé dans l'autre monde,

Le savant fut saisi d'une terreur profonde

Et mourut furieux, le lendemain matin.

 

 

L'ENTERREMENT D'UN ARBRE

 

L'arbre déraciné, grand cadavre verdi,

Sur un chariot lourd est trainé par les rues.

Les oiseaux sont partis d'un coup d'aile hardi,

Les nids sont renversés, les chansons disparues.

Les branchages souillés dans le faubourg malsain

Traînent lugubrement leur chevelure verte.

Ainsi sous le couteau cruel d'un assassin

S'échevèle une femme à la blessure ouverte.

 

 

VERS À PEINDRE

 

Elle a posé sur son front pâle

       Un bandeau blanc

Tout semé de perles - opale

       Et diamant.

 

Sa robe est longue et très galbeuse.

      On aperçoit

Dans des flots d'étoffe soyeuse

      Son pied chinois.

 

La main blanche, aristocratique,

Nerveuse, dompte un instrument.

Et des arômes de musique

Rôdent dans l'air languissamment.

 

Plus bas, on sent vibrer la foule ;

Et son sourire est infernal,

Tandis qu'à ses pieds tombe et roule

Un chaste bouquet lilial.

 

Hautaine, l'oeil plein de menace,

Sein de lys et coeur indompté,

Blagueuse, rouée et tenace,

Mais pure par férocité.

 

 

 

 

 

DIZAINS RÉALISTES (1876)

(Ouvrage collectif, dans lequel on trouve ces 8 dizains de Nina de Villard

 

 

(ON ALLUME...)

 

On allume les becs de gaz ; dans la nuit bleue

les étoiles aussi s'enflamment ; l'on fait queue

devant les guichets des théâtres à succès

qui font aux lycéens rêver tous les excès.

Dans les kiosques on voit s'installer les marchandes

d'oranges, de journaux, et de croquets d'amandes ;

et déjà vient s'asseoir aux tables des cafés,

cachant son front sous des frissons ébouriffés,

pêchant les amoureux, comme on pêche à la ligne,

la promeneuse du boulevard, fleur maligne.

 

 

(CE PAUVRE ENFANT...)

 

Ce pauvre enfant vend des jouets à bon marché.

les gamins du faubourg, après avoir marché,

après avoir, aux verts buissons, usé leurs vestes,

viennent se reposer près des splendeurs modestes

de l'étale, où tout excite leur désir ;

mais le petit marchand, seul, n'y prend pas plaisir,

car, lui, c'est son métier de lancer la ficelle

de la toupie, et l'aigre bruit de la crécelle

le crispe ; le pantin lui fait, naïf bourreau,

l'horreur qu'à l'employé fait son chef de bureau.

 

 

(C'EST LA BOUTIQUE...)

 

C'est la boutique des parfums à prix réduits...

La maigre commençante, habitant un taudis,

mange, dans un bouillon, de noires matelottes

pour économiser de quoi payer ses notes

à la juive qui tient, habile, ce bazar.

Car, c'est le billet pris, dans un jeu de hasard,

c'est l'espoir, c'est la porte ouverte à la fortune,

cette poudre de riz Rachel, fard de la brune !

il faut bien éblouir, à l'angle du trottoir,

le monsieur qui fera débuter quelque soir.

 

 

(LE GRAND FIACRE...)

 

Le grand fiacre roulait avec un bruit berceur.

Il était à ses pieds, perdu dans la douceur

des frous-frous parfumés de la robe de faille.

Elle dit : De bonheur, cher, mon âme défaille...

Il faisait nuit ; la lune évitait d'éclairer

cette idylle : - "N'avez-vous rien à déclarer ?"

Dit la voix. On était devant une barrière,

et le douanier stupide, entr'ouvrant la portière,

ramena dans l'horreur de la réalité

ce beau couple envolé vers un monde enchanté.

 

 

(L'ÉTÉ MEURT...)

 

L'été meurt. Sur les ceps pendent des grappes mûres ;

hors de l'armoire, on va secouer les fourrures

qu'embaumait la senteur faible du vétivert. (graminée d'où l'on extrait un parfum)

Pour la dernière fois allons dans le bois vert

où nous avons dormi sur un tapi de menthes,

dans la sérénité des chaleurs endormantes.

J'accrocherai les plis neigeux de mes jupons

aux ronces du sentier poudreux, grêles harpons ;

accordons-nous ce doux sursis d'une journée???

Nous ferons ramoner demain la cheminée.

 

 

(LE PETIT EMPLOYÉ...)

 

Le petit employé de la poste restant

vient tard à son bureau; son allure est très-lente ;

il s'assied renfrogné sur son fauteuil en cuir,

car il sait qu'au client il lui faudra servir

les lettres, les journaux à timbre coloriste,

Et même les mandats !... Cet homme obscur est triste.

Il se dit, en flairant un billet parfumé,

qu'il ne voyage pas et qu'il n'est pas aimé,

que son nom, composé de syllabes comiques,

n'est jamais imprimé dans les feuilles publiques.

 

 

(JE LA VOYAIS SOUVENT...)

 

Je la voyais souvent au bureau d'omnibus

à l'heure de l'absinthe, après tous les bocks bus,

quand je rentrais troublé, fiévreux de la journée.

Et c'était un repos pour mon âme fanée

de rencontrer parfois cet ange en waterproof.

Sa forme jeune et pure, ignorante du pouf,

ses tresses sans chignon, son front sans maquillage,

et les réalités chastes de son corsage

m'ont fait rêver, portant le bouquet nuptial

à la vierge qui lit mon nom dans un journal.

 

 

(QUAND LA LAMPE...)

 

Quand la lampe carcel sur la table s'allume,

le bouilli brun paraît, escorté du légume,

blanc navet, céleri, carotte à la rougeur

d'aurore, et doucement, moi, je deviens songeur.

Ce plat fade me plaît, me ravit ; il m'enchante :

c'est son jus qui nous fait la soupe succulente.

En le mangeant, je pense avec recueillement

à l'épouse qui, pour nourrir son rose enfant,

perd sa beauté, mais gagne à ce labeur austère,

un saint rayonnement trop pur pour notre terre.

 

 

 

Autres dizains publiés dans les

Feuillets parisiens

 

JOURNAUX ILLUSTRÉS

 

Les journaux illustrés, chaque samedi soir,

Aux lecteurs qui, dans les gais cafés, vont s'asseoir,

Content avec des mots, des dessins et des rimes,

Les succès, les combats, les malheurs et les crimes.

On y voit des héros et des soldats vainqueurs,

Des poètes laurés, des croqueuses de coeurs,

Des sous-préfets corrects, saluant la statue

D'un inventeur honni, mort dans l'oubli qui tue.

On y voit les heureux, les puissants et les forts,

Et les plus arrivés de tous, - ceux qui sont morts.

 

 

REGRETS FILIAUX

 

Tandis que sur les quais flanent les paresseuses,

je regarde les lourds bateaux de blanchisseuses

Il en sort des chansons comme d'un nid d'oiseaux.

les robustes bras blancs, en plongeant dans les eaux

Que bleuit l'indigo, tordent le linge pâle

Et le ciel au-dessus prend des lueurs d'opale.

Moi, tout pensif, je rentre en murmurant tout bas :

"Ma mère n'est plus là pour repriser mes bas

Et mettre un chapelet d'iris dans mon armoire."

Les nuages sur l'eau font des dessins de moire.



09/12/2014
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