Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Waldor (Mélanie) 1796-1871

Mélanie Waldor
1796-1871

- Nantes
- Maîtresse d'Alexandre Dumas


 


  
Mélanie Waldor par Boilly


Nantes
Paris, salon littéraire
Alexandre Dumas


La lettre

Cette lettre... c'est bien ta main qui l'a tracée,
Mais un vain préjugé t'a soumise à ses lois,
Et le monde t'a dit, avec sa voix glacée:
"Tu briseras son coeur"!... N'importe, tu le dois!...

Soudain, t'asservissant à cette loi du monde,
Sans l'aveu de ton coeur ton esprit a dicté,
Et, souriant peut-être à ma douleur profonde,
Du coup qu'il me portait ton orgueil fut flatté!

C'est que tu t'es méprise à l'ardeur qui m'enflamme,
Dans une passion tu n'as eu qu'un désir.
Et tu n'as pas compris que mon âme à ton âme
Demandait du bonheur et non pas du plaisir!

Ne demandez pas de donner à mes chants
Un vol plus élevé: ce qu'ils ont d'harmonie
Je le dois à mon coeur, et non pas au génie.


Dors à mes pieds !...

Dors à mes pieds !... Rêve d'amour
Mon souffle, comme une caresse,
Glissera sur le pur contour
De ce beau front qu'avec paresse
Tu reposes sur mes genoux.
Dors à mes pieds, tout fait silence,
Hors la branche qui se balance,
Souple et frêle, au-dessus de nous ;
Dors à mes pieds, tout fait silence.

Sous mes baisers clos tes yeux noirs,
Tes yeux où brillent tant de flammes,
Qu'on les croirait les deux miroirs
Où se reflètent nos deux âmes.
Dors à mes pieds !... Rêve d'amour ;
Je suis jalouse de tes rêves,
Comme du temps que tu m'enlèves
Avec le monde chaque jour...
Je suis jalouse de tes rêves !...

Le soleil glisse à l'horizon.
Pas un souffle, pas un nuage...
Un rayon d'or, sur le gazon,
Reste comme un heureux présage !
Nos riches tapis ne sont pas
Aussi doux que ce lit de mousse
Où, folâtre, ta main repousse
Le brin d'herbe effleurant mon bras.
Dors sur l'herbe, les fleurs, la mousse...

Dors à mes pieds !... Rêve d'amour :
Mon souffle, comme une caresse,
Glissera sur le pur contour
De ce beau front qu'avec paresse
Tu reposes sur mes genoux.
Dors à mes pieds, tout fait silence,
Hors la branche qui se balance,
Souple et frêle, au-dessus de nous ;
Dors à mes pieds, tout fait silence.


Le bal

Heureux temps, où j'aimais la danse pour la danse ;
Où la veille d'un bal, durant la nuit, mes yeux
Voyaient, demi-fermés, se former en cadence
            Mille groupe joyeux !

Où mon réveil était un bonheur, un délire,
Où la première alors j'étais toujours debout.
Où mon cœur battait d'aise, où par un long sourire
            Je répondais à tout.

Où, sans savoir encor si j'étais laide ou belle,
J'ornais mes noirs cheveux d'une riante fleur,
Sans que mon front gardât, riant et pur comme elle,
            Des traces de douleur !

Car j'ignorais alors que le ciel à la femme
Eût dit : « Tu grandiras pour aimer et souffrir ! »
Et qu'aimer et souffrir fut même chose à l'âme,
            Et fit toujours mourir.

Heureux temps, où mes pieds, dans leur folle vitesse.
Semblaient ne pas poser sur le parquet glissant ;
Où mes regards, n'ayant ni langueur, ni tristesse,
            Trouvaient tout ravissant ;

Où je ne cherchais pas, jalouse et soucieuse,
Du regard un regard, d'une main une main ;
Où le bal le plus beau, pour mon âme oublieuse.
            Etait sans lendemain ;

Où jamais, au retour, une pensée amère.
N'ayant entremêlé de pleurs un court adieu.
Je m'endormais, donnant un baiser à ma mère.
            Une prière à Dieu !

Car j'ignorais qu'il compte et nos jours et nos larmes,
Avant de leur donner de la réalité,
Et je n'avais alors, étrangère aux alarmes,
          De foi qu'en sa bonté !

Heureux temps, à jamais retranché de ma vie,
Jours, dont je garde encore un si doux souvenir ;
Oh ! que vous promettiez à mon âme ravie
            D'autres jours à venir !

Et que je savais peu, dans mon insouciance.
Que l'amour se jouait de nous, comme l'enfant
Fait des fleurs qu'il rejette avec impatience.
            Et cueille triomphant.

Que l'on m'eût dit alors : Tu deviendras rêveuse.
Puis triste, toujours triste ; et j'aurais ri longtemps.
Sans comprendre que l'on pût se trouver malheureuse
            Plus de quelques instants !

Car ma jeune âme était paisible comme l'onde
Sur laquelle un beau jour avant l'orage a lui,
Et souriait au monde, hélas ! tant que ce monde
            Pour moi n'avait pas lui !


 La jeune fille et le fossoyeur

« OH ! rendez-moi ses traits, que je la voie encore,
Que je la trouve ailleurs que dans mon souvenir.
Ne peut-on l'arracher d'ici sans qu'on l'ignore ?
Vous me faites bien peur, mais vous pouvez venir.
Quelle que soit la main qui soulève la pierre
Que depuis hier on voit au bout du cimetière,
Cette main, je veux la bénir.

« La nuit nous cachera, le ciel la fera sombre,
Du bien qu'il m'a repris il me doit consoler ;
Car il avait là-haut de beaux anges sans nombre
Que nul de nous ici ne pouvait rappeler ,
Tandis que pour m'aimer je n'avais qu'une amie !
Oh ! venez, car depuis qu'elle s'est endormie,
Deux jours viennent de s'écouler.

« Quoi ! vous me refusez dans cette triste enceinte.
Que vous faut-il ? de l'or ?... Hélas, je n'en ai pas !
Mais je vous aimerai, mais j'entrerai sans crainte
Dans ce terrible asile, et prenant dans vos bras
(Oubliant la frayeur que votre vue inspire)
Votre plus jeune enfant, je pourrai lui sourire
Et sans trembler guider ses pas.

« A votre feu si froid, où brûlent avec peine
Les humides débris arrachés aux tombeaux,
Je resterai souvent, et filerai la laine
Qui de vos vêtements rattache les lambeaux ;
Vous ne serez plus seul dans ces longues soirées,
Où de votre vieux toit les planches séparées
Laissent voir voler les corbeaux !

« Lorsque vous entendrez autour de vous peut-être
Comme d'étranges voix qui, toujours s'approchant,
Vous glaceront de peur, sans que vous soyez maître
De fermer votre oreille à leur lugubre chant,
Et que vous pourrez voir glisser de grandes ombres
Le long de vos murs blancs, où se dessinant sombres
Elles danseront en marchant ;

« Et que vous saluant d'un long éclat de rire,
De leurs linceuls usés tenant chacune un bout,
Elles s'arrêteront... et viendront vous redire,
Ouvrant un œil éteint qui regardera tout,
Le dernier chant de mort, la dernière prière
Que l'on entend ici, lorsque près d'une bière
Chaque prêtre reste debout !

« Vous pâlissez, brave homme... et détournez la tête,
Ne me repoussez pas, moi qui parmi les morts
Ai déjà tant d'amis... moi, qui souvent m'arrête
Ici des jours entiers à rêver sur les bords
D'une tombe entr'ouverte à l'éternel mystère
Que nous garde le ciel et nous cache la terre,
Comme l'avare ses trésors.
 
« Oh ! si vous saviez bien comment aime une femme,
Vous n'hésiteriez plus ; pour vous je prierais Dieu
Comme ici je vous prie, et Dieu qui voit mon ame
Aurait pitié de vous à l'heure de l'adieu,
Ainsi qu'il aura vu que vous aviez vous-même
Pitié de moi, vieillard... Ma demande est suprême,
Car vous êtes entr'elle et Dieu.

« Un moment, rien qu'un seul, oh, dans un cimetière,
Qu'est-ce donc qu'un moment ?... Ici l'éternité
Se devine et commence, ici la vie entière
N'est qu'un rêve, qu'un mot, dans l'espace jeté :
Ce que j'attends de vous, qui le saura ?... La tombe
A-t-elle jamais dit, qu'elle s'élève ou tombe,
A nul de nous la vérité ? »

Elle parlait ainsi, la pauvre jeune fille,
Et du gardien des morts embrassait les genoux.
Le vieillard, essuyant une larme qui brille
Dans son œil creux et sec, dit : « Tu fais donc de nous
Ce que tu veux, jeunesse... Oh ! si rouvrir la tombe
Qui fut par toi fermée, est péché, qu'il retombe,
Jeune fille, en entier sur vous !

« A ce prix j'y consens, et lorsque la nuit close
Cachera les vivants et les morts à la fois ,
Tu pourras revenir ! Je ne veux autre chose
Pour salaire ce soir, que la petite croix
Suspendue à ton cou : sur elle ma prière
Ira plus vite à Dieu, si mon heure dernière
Est plus proche que je ne crois.»
 
Alors, et non sans pleurs, la pauvre jeune fille
Lentement détacha la croix qu'elle aimait tant :
Elle était le seul bien qu'eût laissé sa famille.
Le vieillard vit ses pleurs, et rit en l'acceptant ;
Et ce rire et ces pleurs du démon et de l'ange
Firent en se mêlant une harmonie étrange,
Mais qui ne dura qu'un instant.

La nuit tomba du ciel, elle était froide et sombre ;
Minuit tinta, bientôt l'enclos des morts s'ouvrit,
Et deux êtres vivants se glissèrent dans l'ombre,
Dont à tous les regards le voile les couvrit !...
Bientôt celui des deux qui portait une bêche,
Heurta d'un pied tremblant une tombe encor fraîche,
Et se mit à creuser sans bruit.

Puis, après un instant de travail et de peine,
Où plus sombre toujours la lune se voila,
Le fossoyeur toucha d'une main incertaine
Les planches d'un cercueil, et lui dit : « La voilà ;
Descendez, jeune fille, en cette tombe ouverte,
La terre me l'avait fidèlement couverte...
Descendez, votre amie est là. »

Elle le fit... Et lui sur le bord de la tombe,
Les pieds pendants, s'assit, comme il faisait souvent,
Regardant ce corps froid, qui se lève et retombe
Entre les bras lassés qui le vont soulevant.
Soudain un cri d'effroi, que rien ne peut combattre,
Part du fond du tombeau... C'est que venait de battre
Sous le linceul un cœur vivant.

Car celle que l'on crut et morte et refroidie
N'avait pas du trépas encor subi la loi,
Dans la terre on l'avait déposée engourdie ;
Elle ouvrit lentement les yeux, et dit : «C'est toi,
Tu ne m'as pas quittée en mes heures funèbres.
Mais pourquoi ce drap froid ? mais pourquoi ces ténèbres ?
Je veux me lever, aide-moi. »

Puis elle se leva. La foule curieuse
Au cimetière ouvert entra le lendemain,
Répétant d'une voix basse et mystérieuse :
« C'était là-bas, dit-on, au bout de ce chemin. »
Et la foule long-temps couvrit d'un œil avide
Un vieillard mort d'effroi près d'une tombe vide,
Tenant une croix dans sa main.




Bibliographie:

- Poésies du coeur, 1835

 
 
Waldor-Masini
Waldor Masini 01.jpg
 
Waldor Masini 02.jpg
 
 
Waldor-Duchambge


Coulez, coulez mes jours
(Paroles: Mélanie Waldor, musique: Pauline Duchambge)


11/03/2010
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