Zuylen de Nyevelt (Hélène) 1869-1947
(1869-1947)
Variations sur un thème
Les œillets, aiguisant leur piment irrité,
Quand la nuit rampe avec des lenteurs de vipère,
S'abandonnent, et leur roux parfum s'exaspère...
Les œillets sont le rire ardent du jeune Eté.
Leur véhémence fraiche et furieuse éclate,
Orchestre de couleurs fanfare de soleil,
Et, quand songent les yeux violets du sommeil,
Un peu d'ombre se mêle à leur riche écarlate.
Leur souffle monte au cœur de ceux qui s'en vont seuls...
Quand se brisent aux cieux les gemmes vespérales,
Les turquoises et les béryls et les opales
Ils s'éteignent, auprès des rigides glaïeuls.
Pavot noir
Fleur des mauvais jardins au vénéneux sommeil,
Les servantes de l'Ombre et les Magiciennes,
Dont les nocturnes yeux redoutent le soleil,
Respirent âprement tes langueurs léthéennes.
Fleur des mauvais jardins au vénéneux sommeil.
Tu te fanes parmi les âcres chevelures,
Et tu connais le rêve ardent des fronts maudits
Que jamais n'effleura, dans un bruit de ramures,
Le souffle des matins et des simples midis :
Tu te fanes parmi les âcres chevelures.
Tu t'effeuilles auprès des femmes sans désir
Dont les prunelles sont froidement endormies
Dont le cœur ennuyé dédaigne de choisir,
Et dont l'âme est pareille à l'âme des momies
Tu t'effeuilles auprès des femmes sans désir.
Ennui de l'aconit et de la belladone
Dans le soir où la voix des vieilles trahisons
Fait traîner, à l'égal d'un refrain monotone,
La fadeur et la frigidité des poisons !
Ennui de l'aconit et de la belladone !
Les coquillages
Avec ses yeux bleus profonds et sages.
L'onde est plus belle que l'éther.
Voici le faste de la mer.
Les prestigieux coquillages.
Compliquant leurs rares contours,
Ils évoquent les orchidées
Malades, les lèvres fardées
D'un artificiel velours.
Leurs frêles corolles meurtries
Ouvrent des roses ambigus.
Leur nacre aux prismes suraigus
A des lueurs de pierreries.
Elle concentre les couleurs
De l'eau, le mystère des mauves,
Les blancs irréels, les bruns fauves.
Ce sont des gemmes et des fleurs.
Les conques ont vu des aurores
Vertes, de gris midis sereins.
Et le regret des soirs marins
Ruisselle en leurs âmes sonores.
Sépulcre d'aïeule
Que t'importe le soir aux yeux de violette
Et l'aurore exaltant son mystique hosanna?
Tu gis en un cercueil de pierre, ô Josina!
Un anneau d'or antique à ton doigt de squelette.
Que t'importent l'avril d'arc-en-ciel, le soupir
Des fontaines, la fièvre et l'ennui de l'automne,
La verrière du vêpre où le rubis frissonne,
Et les luths suppliants qui meurent de désir?
Ta robe serpentait au détour des allées;
Les ombres baignaient ton visage sororal.
Le ciel lustrait la moire épaisse du canal,
Où vivaient à rebours les rives déroulées.
Tu gis en un cercueil de pierre ô Josina!
Un anneau d'or antique à ton doigt de squelette...
Que t'importent le soir aux yeux de violette
Et l'aurore exaltant son mystique hosanna?
Le promontoire d'or
Complexe et curieux en l'éther d'un bleu noir,
Je vois s'enchevêtrer l'étrange zodiaque.
Sans flux et sans reflux, la mer est une plaque
De saphir dans le bloc d'émeraude du soir.
Les vêtements de fête ont pris des plis funèbres;
Les nuages, pareils à de longs spectres gris,
Traînent obscurément leurs linceuls défleuris:
Des Etres inconnus ont peuplé les ténèbres.
Tout est vague... Voici l'heure de l'Incertain.
Le ciel semble une ébauche et la terre une esquisse;
La barque de la Nuit aventureuse glisse
Avec lenteur vers un promontoire lointain.
Pins nocturnes
Un prompt nuage glisse et fuit,
Comme une barque à la dérive,
Vers l'ambre d'une blonde rive:
Viens, les pins sont plus beaux la nuit.
Dressant leurs fûts de cathédrales,
Ils courbent une nef vert-noir:
Le prisme décevant du soir
Teinte leurs aiguilles d'opales.
Ils semblent rejeter le faix
Du couchant de plomb et d'ardoise.
Dans les coins, blottie et sournoise
L'ombre rit, les cheveux défaits.
Effeuillements, 1904 (lien vers l'intégralité du recueil)
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